Des forces pro-ukrainiennes ont mené des incursions en territoire russe et se sont même temporairement emparées d’un village dans la région frontalière de Koursk. Des opérations similaires à celles du printemps 2023, mais menées dans un contexte militaire et politique très différent.
Ils sont de retour sur le territoire russe. Des forces pro-ukrainiennes ont même affirmé, mardi 12 mars, avoir pris le contrôle total d’un village. La Légion "Liberté pour la Russie", formée essentiellement de combattants russes anti-Poutine, a posté une vidéo montrant des soldats russes désertant Tetkino, une localité de la région de Koursk, de l’autre côté de la frontière au nord-est de l’Ukraine.
Des escadrons d’autres groupes pro-ukrainiens – les Corps des volontaires russes et le Bataillon de Sibérie – ont également annoncé avoir fait des incursions dans les régions de Koursk et de Belgorod. Des attaques menées avec le soutien de "chars, de véhicules blindés et de drones", soulignent les experts de l’Institute for the Study of War, un centre américain d’analyse militaire.
Un air de 2023
Moscou a initialement nié la réalité de ces incursions, avant d’affirmer en fin de journée que ces troupes ennemies ne sont pas allées très loin… et ont toutes été repoussées. "Grâce au sacrifice des soldats russes, toutes les attaques des terroristes ukrainiens ont été repoussées", a ainsi affirmé le ministère russe de la Défense.
La situation sur le terrain semble être un peu moins claire que le suggèrent les autorités russes. "Actuellement, il y a toujours des combats autour de Tetkino, et les forces pro-ukrainiennes apparaissent encore en mesure de contrôler une partie de cette localité", résume Sim Tack, analyste militaire pour Force Analysis, une société de surveillance des conflits.
En fait, cette opération est "très similaire à ce qui s’était produit au printemps et à l’été 2023", souligne Huseyn Aliyev, spécialiste de la guerre en Ukraine à l’université de Glasgow. À l’époque déjà, des troupes de Russes pro-Kiev avaient franchi la frontière – un peu plus au sud, dans la région de Belgorod – et s’étaient temporairement emparées d’un village avant de rebrousser chemin sous la pression de l’artillerie russe.
Ces incursions, alors inédites, avaient servi à mettre la pression sur la Russie en soulignant que son territoire national était mal protégé. La dynamique de la guerre était alors dans le camps ukrainien, dont l’armée avait su tenir tête à la Russie. Ces "raids" avaient en outre débuté peu avant le déclenchement de la contre offensive et permettaient de donner l’impression que l’Ukraine pouvait frapper n’importe où.
Depuis, la situation a bien changé. La contre-offensive a fait long feu et l’Ukraine est dorénavant davantage sur la défensive. Surtout, "Moscou a fait construire une ligne de défense – similaire à celle qu’elle a mise en place en Ukraine – à une vingtaine de kilomètres à l’intérieur du territoire russe", note Huseyn Aliyev. Ces tranchées s’étendent du nord de la région de Koursk jusqu’au sud de celle de Belgorod.
Les forces pro-ukrainiennes n’ont, d’ailleurs, pas choisi d’attaquer vers Tetkino par hasard. Cette commune "se trouve avant la ligne de défense dans une zone tampon que les Russes défendent moins mais qu’ils sont capables de bombarder si des Ukrainiens s’y aventurent", résume Huseyn Aliyev.
Peser sur l'élection présidentielle en Russie ?
Autrement dit, la Légion "Liberté pour la Russie" et autres bataillons de Russes anti-Poutine ont choisi une cible relativement facile à attaquer et contrôler. Reste à savoir combien de temps ils vont pouvoir y rester. "S’ils ont pris des véhicules blindés, c’est aussi en prévision d’une retraite rapide, donc ils se doutent qu’ils ne pourront pas occuper Tektino", note Sim Tack.
Mais alors pourquoi s’aventurer en Russie plutôt que de renforcer les défenses sur la ligne de front dans le Donbass, où la situation est très tendue pour Kiev ? Officiellement, la Légion "Liberté pour la Russie" a affirmé vouloir "peser sur l’élection présidentielle", souligne le Moscow Times.
Ces Russes pro-Kiev veulent montrer à leurs compatriotes qu’il existe une alternative à Poutine. "C’est une manière pour eux d’essayer de prouver aux Russes qu’ils ont les moyens de ‘libérer la Russie de Poutine’", explique Nicolo Fasola, spécialiste des questions militaires russes à l’université de Bologne.
L’état-major ukrainien a d’ailleurs affirmé que ces troupes avaient agi de leur propre chef sans en informer Kiev. "C’est peu probable car pour pouvoir déplacer des troupes et des chars dans cette région, il faut au moins l’accord tacite de l’armée ukrainienne. Mais cela permet de renforcer le récit d’une opération menée par des Russes pour renverser Vladimir Poutine", estime Sim Tack.
Sauf que "c’est évidemment ridicule. Ces combattants n’ont pas les moyens d’aller bien loin", ajoute cet expert. Ils n’ont même pas cherché à franchir la ligne de défense russe. Surtout, "rares sont les Russes qui vont entendre parler de la prise de ce village car la propagande dans les médias nationaux la présente essentiellement comme une tentative ratée des Ukrainiens", souligne Huseyn Aliyev.
Unités de diversion
À ce titre, ces "raids" pourraient même être contre-productifs. "En cette période électorale, ces incursions apportent une légitimité à la rhétorique du Kremlin que la Russie est assiégée et qu’il faut voter pour Vladimir Poutine [seul capable de défendre la nation, NDLR]", précise Nicolo Fasola.
Mais ces opérations ne sont pas inutiles aux yeux de l’état-major ukrainien. "Ces bataillons de Russes anti-Poutine font partie des unités de diversion dont dispose Kiev. Chacune de leurs opérations sert à pousser Moscou à affecter des ressources capables d’intervenir rapidement pour défendre ses points d’entrée sur le territoire russe", souligne Sim Tack.
Pour lui, ces "raids" s’intègrent à "une stratégie plus globale à l’œuvre ces dernières semaines" – il y a eu les attaques contre les navires russes de guerre en mer Noire, fin février, puis l’envoi de drones kamikazes contre la raffinerie du géant pétrolier russe Lukoil à Kirichi, non loin de Saint-Pétersbourg. Autant d’opérations de diversion censées démontrer la capacité de nuisance de l’Ukraine, même en étant acculée à un rôle essentiellement défensif sur la ligne de front.