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La principale initiative de l’opposition à Vladimir Poutine pour la présidentielle russe du 15 au 17 mars est d’appeler les Russes à aller voter dimanche à midi pile. Une initiative portée notamment par Ioulia Navalnaïa pour essayer de montrer que les opposants à la guerre sont nombreux dans le pays.

Vladimir Poutine craint peut être que l’un de ses vœux pour la présidentielle du 15 au 17 mars se réalise : voir les Russes aller voter en grand nombre. Surtout si c’est le dernier jour, et à midi précis. Ce ne serait alors pas une bonne nouvelle pour le président sortant, qui brigue un cinquième mandat.

En effet, l’électorat russe peut avoir du mal à se motiver à participer à un scrutin sans enjeu et sans réelle opposition (papier grégoire). Sauf pour répondre à l’appel du "Midi contre Poutine", dernière action citoyenne soutenue par Alexeï Navalny avant sa mort. "Savoir à quel point cette initiative portée aujourd’hui par la veuve de Navalny va mobiliser les électeurs représente la seule donnée intéressante de cette élection à mes yeux", assure Matthew Wyman, spécialiste de politique russe à l’université de Keele (Royaume Uni).

"L'héritage politique de Navalny"

Les promoteurs du "Midi contre Poutine" veulent que les Russes attendent dimanche 17 mars à midi pour se rendre à leur bureau de vote. Peu leur chaut le candidat pour lequel ils votent pourvu qu’ils viennent à cette heure précise. Ainsi, ils pourront réaliser un geste de soutien à l’opposition à Vladimir Poutine et à la guerre menée en Ukraine.

"Ce sera notre manière de saboter l’élection", assure Maxim Reznik, opposant russe en exil et initiateur de cette idée, interrogé par Meduza, un site d’information russe indépendant. Il l’avait proposé lors d’une débat – "Que faire pour l’élection présidentielle ?" – diffusé en janvier 2024 sur la chaîne d’opposition Dojd.

Depuis lors, la plupart des grandes figures de l’opposition russe ont affiché leur soutien à l’initiative "Midi contre Poutine", à commencer par la Fondation anti-corruption de feu Alexeï Navalny, qui ne manque pas une occasion d’en faire la promotion. À tel point que cet appel a été qualifié de "testament politique de Navalny" par le journal russe indépendant Novaïa Gazeta.

"C’est en effet parfaitement dans l’esprit des actions promues par le célèbre opposant à Vladimir Poutine", souligne Matthew Wyman. "Il demandait avant tout à chacun de faire des petits gestes, faciles et peu risqués qui, mis bout à bout, pourraient faire une différence", ajoute Jenny Mathers, spécialiste de la Russie à l’université d'Aberystwyth, au pays de Galles.

"Midi contre Poutine" rentre parfaitement dans ce cadre. Se rendre au bureau de vote à une heure précise ne demande pas d’effort particulier et le risque est minime. "Toute la beauté de cette initiative est que les personnes vont manifester leur opposition à la guerre et au régime en faisant exactement ce que le pouvoir leur demande : aller voter", résume Matthew Wyman. La police aurait du mal à justifier des arrestations d’électeurs remplissant leur devoir citoyen.

Il est aussi important de commencer par des petits gestes. Le pouvoir "a fait très mal à l’opposition en Russie ces dernières années, et Ioulia Navalnaïa, qui a repris le flambeau de son mari et soutient activement 'Midi contre Poutine', sait qu’il ne faut pas brûler les étapes. Ce n’est que la première petite pierre pour reconstruire une opposition solide", note Jenny Mathers.

Avoir une idée du nombre de Russes opposés à la guerre

Ce type d’action illustre "la créativité dont l’opposition doit faire preuve pour éviter d’être arrêté", explique Matthew Wyman. "Midi contre Poutine" s’inscrit dans une liste à rallonge d’initiatives dans le même esprit :  il y a eu les manifestants qui brandissaient des feuilles blanches pour symboliser la censure de toute critique à l’égard de la guerre ou encore les militants qui ajoutaient des QR codes à des panneaux publicitaires ordinaires pour accéder à des sites critiques de Vladimir Poutine. "C’est symptomatique des dérives autoritaires d’un régime, et ce type d’initiatives n’est pas sans rappeler les Chinois qui doivent utiliser des moyens détournés pour critiquer Xi Jinping en le comparant, par exemple, à Winnie l’Ourson", remarque Jenny Mathers.

Mais à quoi bon ? "Il est évident que ce n’est pas ‘Midi contre Poutine’ qui va empêcher Vladimir Poutine de remporter la présidentielle", reconnaît Jenny Mathers. En revanche, "ce sera un bon moyen d’avoir une idée plus précise du nombre de Russes opposés à la guerre", estime Matthew Wyman.

La foule rassemblée à l'occasion des funérailles d’Alexeï Navalny en avait déjà donné un aperçu. "Mais il s’agissait avant tout de Moscovites qui avaient fait le déplacement jusqu’au cimetière. Là, c’est un moyen pour des Russes de toutes les régions de témoigner de leur opposition à Poutine en allant au bureau de vote dimanche (17 mars) à midi", note Stephen Hall, spécialiste de la Russie à l’université de Bath.

Voler la vedette médiatique à Poutine

Selon cet expert, la mobilisation ailleurs qu’à Moscou ou Saint-Pétersbourg constitue l’un des principaux enjeux de cette opération. "Vladimir Poutine a toujours compté sur le soutien populaire en périphérie des grands centres urbains. Si des longues files se forment un peu partout en Russie devant les bureaux de vote à midi dimanche, il pourra commencer à s’inquiéter sur le niveau réel de sa popularité", explique Stephen Hall.

Un autre enjeu de "Midi contre Poutine" est de voler la vedette médiatique au Kremlin. Le pouvoir "ne veut aucun problème durant ces trois jours de vote afin de pouvoir imposer son récit", souligne Jenny Mathers. "Vladimir Poutine veut absolument que tous les titres des journaux soient consacrés uniquement à sa large victoire afin de perpétuer le mythe que Poutine est la Russie. Nous allons faire en sorte qu’on parle aussi du spectacle des gens soutenant ‘Midi contre Poutine’", assure Maxim Reznik.

"Il s’agit de créer un contre-narratif", abonde Matthew Wyman. À la fois pour que les Russes opposés au régime ne se sentent pas seuls, mais aussi "pour dire au monde que la Russie ne se résume pas à Vladimir Poutine et qu’il y a un mouvement à soutenir", conclut Jenny Mathers. Encore faut-il qu’il y ait du monde devant les bureaux de vote dimanche à 12 h.