La famine devient une réalité de plus en plus tangible pour une population palestinienne épuisée par cinq mois de guerre. Au moins 20 personnes sont mortes de malnutrition et de déshydratation, a fait savoir, mercredi 6 mars, le ministère de la santé de la bande de Gaza, contrôlée par le Hamas.
Des employés de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont visité ces derniers jours des hôpitaux dans le nord de l'enclave assiégée, une première depuis octobre. Ils ont observé "des niveaux graves de malnutrition, des enfants mourant de faim, d'importants manques de carburant, de nourriture et d'équipements médicaux, des bâtiments hospitaliers détruits", selon le chef de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Selon l’ONU, la famine, qui correspond à un état de privation alimentaire extrême, caractérisé par des niveaux d'inanition, de décès et de malnutrition aiguë, est "quasiment inévitable" pour les 2,2 millions d’habitants de Gaza.
Dans l'enclave, 90 % des enfants de 6 à 23 mois, ainsi que des femmes enceintes et allaitant, font face à de graves manques de nourriture, affirme une alliance d'ONG menée par l'Unicef et le Global Nutrition Cluster.
Ces organisations blâment un blocage de l'entrée de l'aide humanitaire par Israël, qui combat le Hamas dans la bande de Gaza le Hamas, après l'attaque meurtrière du 7 octobre ayant marqué le déclenchement de la guerre.
Selon Jean-Raphaël Poitou, responsable Moyen-Orient de l'ONG Action contre la Faim, les Palestiniens n'ont tout simplement "plus rien à manger" dans le nord de Gaza et si le volume d'aide humanitaire continue d'être aussi faible, le nombre de morts pourrait "augmenter de façon beaucoup plus importante" dans les prochaines semaines.
France 24 : Doit-on parler d'une famine en cours à Gaza ou bien d'un risque de famine ?
Jean-Raphaël Poitou : On est dans une situation où l'on commence à voir des gens, notamment des enfants, mourir de malnutrition. Donc on peut parler effectivement de famine ou du moins d'un risque de famine extrêmement avancé. Pour déterminer si une famine est en cours, l'ONU s'appuie sur le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC). C'est un rapport écrit par le programme d'alimentation mondiale (PAM) et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) avec le soutien de tous les acteurs qui travaillent sur la sécurité alimentaire. En décembre, ces organismes avaient déjà alerté sur des risques extrêmement avancés dans plusieurs zones de Gaza. Sur une échelle qui comporte cinq paliers, nous étions alors au niveau trois [niveau de crise]. Dans la mesure où l'aide humanitaire est toujours insuffisante, il est évident que trois mois plus tard toutes ces personnes sont passées aux niveaux quatre ou cinq [catastrophe et famine], représentant le seuil d'alerte maximum.
La situation est particulièrement dramatique pour les enfants car ils ont un système immunitaire qui n'est pas encore bien développé. Leur organisme ne peut donc pas lutter comme le ferait celui d'un adulte en cas de carences. Par ailleurs, il faut prendre en compte tous les phénomènes qui accélèrent ce processus de malnutrition sévère : l'absence d'eau potable, les conditions sanitaires dégradées, les problèmes respiratoires qui représentent environ 300 000 cas, et un accès aux soins complètement détruit. Pour les enfants, la malnutrition a des conséquences sur le long terme notamment sur le cerveau. C'est pour cette raison qu'on priorise ceux qui ont moins de cinq ans car leur cerveau n'est pas encore bien développé.
Le nord de Gaza fait partie des zones les plus touchées par des problèmes de malnutrition. Qu'est-ce que les Gazouis trouvent encore à manger ?
Ils n'ont plus rien à manger. Quand on discute avec nos employés sur place, ils nous expliquent que les Gazaouis mangeraient n'importe quoi comme de l'herbe ou des feuilles. Des dizaines de missions des Nations unies ont essayé de rentrer dans le Nord, mais selon les derniers chiffres dont je dispose, sur 77 demandes, seules 20 % ont été acceptées par l'armée israélienne. À Rafah [dans le sud de la bande de Gaza] les denrées alimentaires sont hors de prix. Les camions d'aide humanitaire ne rentrent pas non plus de façon significative. Il n'y a pas eu d'amélioration à ce niveau là. Les assauts sur des camions d'aide montrent que les gens sont dans un désespoir total pour trouver de la nourriture pour pouvoir survivre.
C'est ce qui rend notre travail extrêmement compliqué sur le terrain. On ne peut pas mettre en danger nos équipes et donc on doit travailler sur des échelles beaucoup plus restreintes avec des communautés que l'on connaît bien. Nos distributions incluent généralement des pois chiches, de l'huile ou encore de la farine car le pain est un aliment de base. On a également distribué des légumes quand il y avait encore des récoltes disponibles dans les champs.
Quand on parle de famine, l'imaginaire collectif retient souvent les images terribles de ces enfants décharnés en Somalie au début des années 1990. Est-ce quelque chose que l'on pourrait voir à Gaza ?
Ce sont effectivement des images que nous n'avons pas l'habitude de voir dans un contexte comme le Moyen-Orient mais c'est déjà ce qui se passe en ce moment à Gaza et qu'on risque de voir de plus en plus. Sans un cessez-le-feu, on ne peut pas acheminer de l'aide de façon importante et on ne peut pas organiser les distributions. Pourtant, nous avons des solutions et des protocoles pour traiter les cas extrêmes de malnutrition notamment des aliments à base de cacahuètes, très riches au niveau calorique. Cela permet aux enfants de se reconstituer et d'arrêter le processus de malnutrition. Encore faut-il pouvoir avoir accès à ces populations. En attendant, si on ne fait rien, les gens vont mourir de faim et le nombre de victimes va commencer à augmenter de façon beaucoup plus importante.
Le week-end dernier, les Américains ont largué des rations alimentaires par avion. Est ce que ça peut être une solution pour compenser le peu de camions qui entrent dans l'enclave ?
De notre côté, on considère que ce n'est pas la méthode qu'il faut employer. Par expérience, on sait que le parachutage peut ensuite être accaparé par des petits groupes et que cela favorise la criminalité. Par ailleurs, il y a un deuxième problème : les gens les plus faibles n'auront pas accès à cette aide parce que ce sera le plus fort qui sera en mesure de la récupérer. Voilà pourquoi nous n'encourageons pas du tout ce genre de pratique. Il faut vraiment travailler au niveau diplomatique pour ouvrir d'autres accès pour l'aide humanitaire et s'assurer de sa bonne distribution.
- au moins 20 % des foyers font face à des pénuries de nourriture.
- au moins 30 % des enfants souffrent de malnutrition aigüe.
- au moins deux personnes sur 10 000 meurent de faim chaque jour ou au moins quatre enfants de moins de cinq ans sur 10 000 meurent quotidiennement d'inanition ou en raison d'une maladie liée.