
Le Super Tuesday l’a confirmé mardi 5 mars : le prochain gouverneur de Caroline du Nord sera Afro-américain ou juif. C’est inédit dans l’histoire de cet État du sud des États-Unis
Le grand raout politique du Super Tuesday, étape essentielle pour la désignation des deux principaux candidats à la présidentielle américaine, sert aussi à savoir qui va se présenter au poste de gouverneur dans plusieurs États américains. Et cette année, tous les yeux étaient tournés vers la Caroline du Nord. Pas seulement à cause du profil atypique des candidats pour cet État toujours gouverné par un chrétien blanc jusqu’à présent. Mais aussi parce que ce duel pourrait “être un très bon indicateur de la manière dont les Américains vont voter pour la présidentielle de novembre”, assure la chaîne ABC News.
Un Donald Trump afro-américain ?
Les stratèges électoraux vont ainsi suivre de près le déroulement de la campagne du très conservateur candidat afro-américain Mark Robinson et de son adversaire, le démocrate Josh Stein.
À droite, mais alors vraiment très à droite, Mark Robinson - actuellement "lieutenant governor" c'est-à-dire le suppléant du gouverneur démocrate Roy Cooper - apparaît comme une sorte de produit dérivé de Donald Trump à la peau noire et… en plus outrancier. “C’est le plus ‘Maga’ des candidats à un poste de gouverneur et probablement l’un des plus extrémistes”, assure Iwan Morgan, spécialiste de l’histoire politique contemporaine des États-Unis à l’University College de Londres.
Un peu à la manière de l’ex-président, Mark Robinson se dépeint comme “l’outsider” qui porte la voix des petites gens face à “l’establishment politique”. Il faut dire que son adversaire, le démocrate Josh Stein, politicien aguerri, a été désigné comme son dauphin par l’actuel gouverneur Roy Cooper et est passé par les meilleures universités du pays. Il est aussi le fils d'un réputé avocat des droits civiques dans le sud des États-Unis.
Mark Robinson aime à rappeler qu'il vient d’un milieu très modeste et qu’il a connu une faillite personnelle. Mais surtout, il aime faire des déclarations incendiaires. Depuis qu’il est sorti de l’anonymat en 2018 avec un discours enflammé en faveur du droit de porter une arme - qui a fait de lui l’une des stars de la très influente NRA, le lobby des armes à feu -, il a injurié la communauté LGTB+, a été accusé de défendre des prédateurs sexuels comme Harvey Weinstein et de se moquer des survivants des fusillades dans les écoles.
Sur sa page Facebook, il a aussi cité Adolf Hitler pour justifier qu’on “pouvait être fier de sa race” et s’en est violemment pris au film "Black Panther" décrit comme les aventures d’un “héros créé par un juif agnostique dont l’histoire a été adapté au cinéma par des marxistes satanistes”.
Des sorties qui “en font un personnage très trumpiste”, reconnaît Thomas Gift, directeur du Centre de recherche sur la politique nord-américaine de l’University College de Londres. L’ex-président ne s’y est d'ailleurs pas trompé puisqu'il a apporté son soutien à la candidature de Mark Robinson, le qualifiant de “Martin Luther King sous stéroïde”. Ironiquement, Mark Robinson n’est pas un fan du célèbre héros de la cause des droits des afro-américains qu'il a qualifié de “communiste”.
Le vote de la femme blanche de classe moyenne
Les stratèges conservateurs craignent que ce parrainage se révèle électoralement risqué pour Donald Trump, explique l’agence de presse AP. Le vote en novembre pour le nouveau gouverneur en Caroline du Nord intervient en même temps que le scrutin présidentiel. Le danger “est que les électeurs qui ont rejeté Mark Robinson vont tout naturellement aussi voter contre Donald Trump”, souligne Iwan Morgan. Lorsqu’on vote contre bonnet blanc, on ne va pas voter pour blanc bonnet.
Jusqu’à récemment, ce péril était minime tant la Caroline du Nord était un fief républicain lors des présidentielles. “Depuis 1976, cet État n’a voté qu’une seule fois en faveur d’un candidat démocrate à la présidentielle : pour Barack Obama en 2008”, souligne Iwan Morgan. Mais au fil du temps, “l’électorat est devenu de plus en plus divisé”, note Thomas Gift. La faute à l’évolution démographique : “Il y a eu le boom de ce qu’on appelle le ‘triangle de la recherche’ autour des villes de Raleigh, Durham et Chapel Hill avec des grandes universités et une population plus éduquée et modérée qui s'est développée”, ajoute ce spécialiste.
Il y a aussi une très importante classe moyenne blanche dans les banlieues des grandes villes de l’État et personne ne sait vraiment pour qui elle va voter. “Les femmes issues de cette population, qui penche traditionnellement plutôt à droite, pourraient basculer en raison des prises de position des conservateurs contre le droit à l’avortement”, estime Iwan Morgan. Mark Robinson, là encore, n’a pas fait dans la demi-mesure en qualifiant tout ceux qui pratiquent l’avortement de "bouchers de l’humanité" et les femmes qui y ont recours de “meurtrières".
“C’est sûr que les démocrates ont dû être contents de constater que les républicains n’ont pas choisi un candidat modéré en Caroline du Nord”, résume Mark McLay, spécialiste de la politique américaine à l’université de Lancaster, au Royaume-Uni. Et c’est l’une des raisons principales pour laquelle CNN estime que la Caroline du Nord représente "la meilleure chance de Biden de remporter un État où il avait échoué à gagner en 2020". Le score en 2016 (50,5 % des voix contre 46,7 % pour Hillary Clinton) et en 2020 (49,9 % contre 48,6 % pour Joe Biden), avait déjà été très serré en faveur de Donald Trump dans cet État.
Un fief à prendre ?
Avec 16 grands électeurs en jeu, la Caroline du Nord peut être une prise de choix pour les démocrates en novembre. Pour l’instant, le camp Biden “se concentre sur les États les plus disputés que sont le Michigan, la Pennsylvanie, ou encore le Wisconsin, mais s’ils gagnent en Caroline du Nord, ils pourront se permettre de ne pas remporter l’un de ces grands ‘swing states’ [les États où le rapport de force est le plus serré, NDLR]”, estime Iwan Morgan.
Le fait que l’issue du vote - aussi bien pour le prochain gouverneur que pour le futur président - semble plus incertain que jamais en Caroline du Nord a aussi des conséquences financières. “Les républicains n’ont pas l’habitude de dépenser beaucoup pour assurer la victoire en Caroline du Nord. Cette fois-ci, ils vont probablement devoir investir davantage, ce qui veut dire moins d’argent pour faire campagne ailleurs”, estime Thomas Gift.
Mais il pense que les républicains restent les favoris en Caroline du Nord, malgré les excès d’un Mark Robinson. “Donald Trump est un politicien assez unique qui a prouvé que les déboires de candidats qu’il a soutenus, notamment durant les élections de mi-mandat, n’ont pas beaucoup affecté sa popularité”, souligne Thomas Gift.
La Caroline du Nord représente en outre un “swing state à l’électorat peu élastique”, souligne Mark McLay. C’est un concept politique américain qui désigne des États où le rapport de force électoral est certes serré, mais avec un nombre d’électeurs indécis faibles. C’est-à-dire qu’il faudrait vraiment que tous les indépendants ou presque votent pour Joe Biden pour que Donald Trump perdent la Caroline du Nord. Ce serait alors un véritable exploit. Le Parti républicain pourrait alors vraiment regretter de ne pas avoir tout fait pour éviter que son candidat pour le poste de gouverneur soit un politicien qui invoque Adolf Hitler en renfort de ses idées.