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Iran : les ultraconservateurs lorgnent sur l'Assemblée des experts nommant le guide suprême
L’Iran vote vendredi pour renouveler son Assemblée des experts, déterminante en principe dans le choix du futur guide suprême. Un durcissement du régime se dessine car les personnalités modérées qui en faisaient partie n’ont pas été autorisées à se représenter. La succession d’Ali Khamenei se prépare.

Quelque 61 millions d’Iraniens sont appelés à se rendre aux urnes, vendredi 1er mars, pour choisir leurs députés, mais aussi les 88 membres de l’Assemblée des experts. Cet organe est chargé de surveiller et éventuellement démettre le guide suprême. C’est aussi ce collège, composé de clercs chiites, qui doit nommer le successeur du guide suprême si celui-ci meurt. Or le personnage clé de la République islamique, Ali Khamenei, a 84 ans.

Au sommet du pouvoir iranien, cet homme religieux, nommé à vie, concentre la majorité des pouvoirs politiques et décisionnaires de la République islamique d'Iran, bien qu'il soit secondé par un président. C’est pourquoi la santé du guide reste un sujet tabou en Iran, où son entourage préserve le secret depuis qu'Ali Khamenei a été traité en 2014 pour un cancer de la prostate.

Étant donné l’âge avancé du numéro un iranien, les religieux de l’Assemblée des experts – uniquement des hommes – pourraient avoir la charge de résoudre l'épineuse question de sa succession, puisqu’ils sont élus pour huit ans. Pour Thierry Coville, spécialiste de l'Iran à l’Iris, l’élection de ces experts revêt donc un enjeu plus important que les législatives, "le guide ayant un rôle central dans le système politique iranien".

La mainmise des ultraconservateurs

À l’heure actuelle, les ultraconservateurs dominent l’Assemblée des experts, plus vieillissante et plus conservatrice que jamais. Son président est l'ayatollah Ahmad Jannati, connu pour son opposition farouche à l'idée de réformes en Iran. Âgé de 97 ans, il a annoncé qu’il ne se représenterait pas.

Iran : les ultraconservateurs lorgnent sur l'Assemblée des experts nommant le guide suprême

Jusqu’à aujourd'hui, quelques figures modérées issues du sérail, comme l’ancien président Hassan Rohani (2013-2021), siégeaient encore parmi les "experts". Mais le Conseil des gardiens de la Constitution, autre organe central de la République islamique chargé d’examiner la validité des candidatures, a disqualifié cette fois un grand nombre d’entre elles, y compris celle de Hassan Rohani, qui siégeait depuis 1999.

"Le guide a tout verrouillé", explique Jonathan Piron, historien spécialiste de l’Iran au centre de recherche Etopia, à Bruxelles. La moitié des membres du Conseil des gardiens de la Constitution, dominé lui aussi par de vieux religieux conservateurs, est désignée par le Guide suprême en personne. "Tout est fait par le régime pour empêcher l’élection de voix dissidentes et éviter toute mauvaise surprise", commente le chercheur.

L’élection devrait donc renforcer la mainmise des ultraconservateurs, proches d’Ali Khamenei, sur l’Assemblée des experts. Parmi les 144 candidatures validées par le Conseil des gardiens de la Constitution, qui en a examiné 500, se trouvent, selon les médias iraniens, 105 partisans de la ligne dure du régime, tandis que 39 se présentent en tant qu'indépendants.

"Les candidats qui se déclarent indépendants ne font absolument pas partie du camp modéré et encore moins du camp réformateur, laminé en Iran depuis plusieurs années", commente Jonathan Piron. Ce qui risque de favoriser une abstention record. Selon l’un des rares sondages réalisés ces dernières semaines pour la télévision d'État, seulement la moitié des électeurs a prévu de se rendre aux urnes.

Les opposants en Iran et de la diaspora appellent d'ailleurs depuis des semaines à un boycott, présentant toute participation à ce double scrutin comme un signe de compromis avec le système.

Un successeur imposé

Sur le papier, l’Assemblée des experts reste une instance importante, chargée de nommer, surveiller et éventuellement démettre le guide suprême. Mais en coulisses, explique l’historien, "ce n’est finalement pas elle qui va décider du prochain guide. Ce n'est pas une instance qui va réfléchir sereinement. Elle n’aura qu’à valider un choix fait en amont par le 'Beit' au service d'Ali Khamenei, et très certainement aussi par les Gardiens de la révolution. D’ailleurs, ils sont sans doute déjà en train de s'entendre sur le choix du successeur."

En Iran, le "Beit", nébuleuse de conseillers entourant le guide suprême, fonctionne comme une institution parallèle aux organes étatiques, avec sa propre administration visant à faire valider les décisions prises à différents étages du pouvoir afin qu'elles soient en conformité avec celles de l'ayatollah Khamenei. Ainsi, le Bureau du guide dispose de relais dans les rangs de l'administration judiciaire, des services de sécurité ou encore de la télévision d'État. À sa tête, Ali Khamenei a nommé son plus fidèle allié, qui n’est autre que son fils, Mojtaba Khamenei.

Iran : les ultraconservateurs lorgnent sur l'Assemblée des experts nommant le guide suprême

Ce dernier est vu par de nombreux observateurs de la politique iranienne comme l’un des favoris pour succéder à son père au poste de guide suprême, même s’il est "décrié par une partie du clergé chiite, qui ne veut pas voir une dynastie se remettre en place en Iran", comme le souligne Jonathan Piron.

À ses côtés dans cette course de l’ombre, l’actuel président conservateur Ebrahim Raïssi figure comme un autre successeur potentiel. Il brigue d’ailleurs un troisième mandat au sein de l’Assemblée des experts et sa candidature a été validée.

"Khamenei a fait trop de vide autour de lui"

Proche du guide, Ebrahim Raïssi est pour sa part critiqué par une partie des soutiens d’Ali Khamenei "parce qu'il est vu comme quelqu'un de faible, qui ne parvient pas à redresser l'économie. Il serait davantage un second couteau qu'une personnalité de premier plan, à même de contrôler l'ensemble des piliers du régime", analyse Jonathan Piron. "Le problème est que personne n’émerge vraiment car Khamenei a fait trop de vide autour de lui. Il n’a délégué aucun levier du pouvoir, de sorte qu’aucune personnalité ne dispose de suffisamment de pouvoir pour s’affirmer."

"Le régime pourrait voir s'ouvrir des brèches à l'intérieur de son noyau dur, ce qui fragilisera la légitimité du successeur", conclut le chercheur. D'où le danger que représente cette succession pour le pouvoir iranien.

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