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Présidentielle américaine : la nébuleuse des nationalistes chrétiens au service de Donald Trump
Selon plusieurs médias américains, la campagne pour un second mandat de Donald Trump serait sous l’influence des nationalistes chrétiens. Ce mouvement aux contours flous et mouvants est présenté par une partie des démocrates comme l’un des plus importants dangers pour les États-Unis.

Ils murmurent à l’oreille de Donald Trump pour préparer son éventuel deuxième mandat de président des États-Unis, affirme le site Politico dans un récent article. Et c’est aussi leur idéologie qui a incité la Cour suprême de l’Alabama à décider qu’un embryon était déjà “un enfant” à protéger, répètent les médias anglo-saxons depuis ce jugement très controversé rendu le 16 février.

Les nationalistes chrétiens seraient devenus une “menace d’ampleur biblique” pour la démocratie américaine, affirme Max Burn, un stratège électoral démocrate dans un article d’opinion publié samedi 24 février par le site américain d’information politique The Hill

Un groupe d'intégristes aux contours flous

C’est aussi ce que pense Rob Reiner, le réalisateur de films à succès comme "Princess Bride" et "Quand Harry rencontre Sally". Sorti le 16 février, son dernier documentaire, "God & Country", s’intéresse à la montée en puissance des nationalistes chrétiens et s’alarme de leur influence politique. D’après un sondage d’opinion du Public Religion Research Institute (PPRI) de 2023, environ 10 % des Américains s'identifient comme "Christian Nationalist".

De l’autre côté du spectre politique, la droite dénonce un "nouvel épouvantail" inventé par les libéraux (la gauche américaine) pour “faire peur aux électeurs centristes non-chrétiens”. Ces conservateurs accusent leurs adversaires d’avoir des visées électoralistes en vue de la présidentielle de novembre alors qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil de l’alliance politique entre la droite religieuse et Donald Trump.

Ce rapprochement politico-religieux “n’est pas un phénomène inédit en soi”, reconnaît Nathalie Caron, spécialiste de l’histoire religieuse des États-Unis à la Sorbonne Nouvelle. L’irruption des évangélistes - des protestants rigoristes - dans l’arène politique au cours des années 1980 à la faveur du mouvement très conservateur de la “Majorité morale” a été maintes fois analysée. Tout comme le mariage de raison en 2016 entre les évangélistes et un Donald Trump multi-divorcé et aux vertus chrétiennes pourtant plus que discutables. Il semble hâtif de réduire les chrétiens nationalistes aux évangélistes qui ont croqué dans la pomme du trumpisme à pleine dent.

Définir les contours du mouvement des chrétiens nationalistes n'est pas chose aisée. “Il y a actuellement plusieurs définitions acceptables", affirme Emma Long, politologue à l’université d’East Anglia et spécialiste de l’engagement politique des évangélistes nord-américains.

Il faut dire que “c’est une appellation un peu nébuleuse qui évolue au gré des nouvelles ‘catégories’ qui sont créées et ajoutées à cet ensemble”, analyse Blandine Chelini-Pont, spécialiste de l’histoire religieuse des États-Unis à l’université d'Aix-Marseille. 

Aux origines de l'extrême droite américaine

Ces mouvements fondamentalistes s'appuient un socle commun de valeurs. L’un des principaux piliers historiques du nationalisme chrétien repose sur “la croyance en l’exceptionnalisme des États-Unis, c’est-à-dire que les États-Unis seraient la Terre choisie par Dieu pour les Chrétiens”, résume Emma Long. 

Les premiers colons à avoir foulé le sol américain - souvent des protestants anglais, hollandais ou allemands - représenteraient une sorte de peuple élu. Les nationalistes chrétiens veulent un retour à cette époque soi-disant bénie où l’Amérique était entre les mains des seuls chrétiens. Du moins dans leur imaginaire. 

En ce sens, les nationalistes chrétiens sont des héritiers des nativistes du début du XIXe siècle. “Le nativisme peut être considéré comme une réponse identitaire, une réaction passionnelle au danger de l’altérité, qui se déclenche dès que l’étranger n’est ni protestant, ni blanc, ni anglophone”, assure Blandine Chelini-Pont, dans un chapitre consacré au nationalisme chrétien qu’elle a écrit pour un ouvrage collectif sur la droite religieuse nord-américaine. 

“Le nativisme représente l’émergence de l’extrême droite aux États-Unis dans les années 1820-1830 avec un discours extrêmement xénophobe”, poursuit Nathalie Caron. À l’époque, les indiens ou les catholiques italiens sont les principaux ennemis, tandis qu’aujourd’hui cette haine se retourne contre les musulmans et les hispaniques.

Pour Emma Long, “les évangélistes blancs représentent le gros des troupes des nationalistes chrétiens”, mais ce rejet viscéral de l’autre fait aussi que ce mouvement “se confond de plus en plus avec le suprémacisme blanc”, précise Randall J. Stephens, historien de la religion aux États-Unis à l’université d’Oslo.

Parmi les groupes qui se sont ajoutés ces dernières années à cette nébuleuse, “il faut compter les dominionistes (évangélistes) qui font des élections une bataille spirituelle pour l'Amérique et les post-libéraux catholiques pour qui le libéralisme américain est la cause diabolique de l'effondrement du pays”, explique Blandine Chelini-Pont. 

Mike Johnson, lié aux dominionistes

Si ces mouvements extrémistes intéressent, c’est parce que "l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 par les partisans de Trump a fait prendre conscience au grand public de leur existence et de leur importance au sein du parti républicain”, assure Randall J. Stephens. 

Ces “soldats des dieux” au service de Trump se sont montrés aussi violents que les hurluberlus Qanonistes déguisés en chaman et les militants du groupuscule paramilitaire des “Oath Keepers” qui ont forcé les portes du Capitole. 

“C’est la présidence Donald Trump qui les a encouragés à sortir du bois, car ils se sont rendus compte que les institutions n’étaient pas forcément un obstacle à leur projet”, note Emma Long.

Ils ont beau être minoritaires, ces fondamentalistes ont profité de la soumission du Parti républicain à Donald Trump pour s’emparer de postes clés. L’un des juges de la Cour suprême de l’Alabama - qui vient de rendre ce verdict très critiqué sur le statut de l’embryon - appartient ainsi au mouvement des dominionistes. C’est aussi le cas de Mike Johnson, l’influent président de la Chambre des représentants

Les dominionistes illustrent parfaitement les velléités militantes de ces chrétiens nationalistes. Ils se battent pour ce qu’ils appellent “le mandat des 7 montagnes” : il s’agit d’une théorie selon laquelle il faut contrôler sept secteurs stratégiques - médias, famille, religion, divertissement, gouvernement, monde des affaires, éducation - pour “rendre l’Amérique aux chrétiens”. 

Mais si les chrétiens nationalistes sortent autant leurs griffes actuellement ce n’est pas seulement par opportunisme politique lié à la possibilité d’un retour de Donald Trump au pouvoir. C’est aussi un réflexe de défense. L’évolution démographique aux États-Unis fait que les chrétiens blancs représentent une part de plus en plus faible de la population. "Ils ressentent une angoisse existentielle de disparition et on assiste actuellement à un sursaut pour tenter de survivre”, estime Nathalie Caron. Il n’y aurait pas d’animal plus dangereux que l’animal acculé en quelque sorte.

Concrètement, cela signifie qu’il vont essayer d’inscrire un maximum d'idées dans le programme de Donald Trump, comme le souligne Politico. “Ils rajoutent des éléments de langage à la campagne de Trump pour attirer les ‘chrétiens’ vers d’autres thématiques que le combat contre l’avortement, qui n’a plus la même actualité”, explique Blandine Chelini-Pont. Leur principal cheval de bataille, d’après elle, serait “la dictature des LGBTQ-libéraux qui veulent détruire les chrétiens et donc l'Amérique”.