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Au Burkina Faso, la justice impuissante face au musellement des voix discordantes
Un mois après son arrestation, l'avocat burkinabè Guy Hervé Kam reste enfermé, sans espoir d’un procès. Il était pourtant le plus célèbre défenseur des voix réduites au silence. À Ouagadougou, les enlèvements de militants continuent, en dehors de tout cadre juridique.

Lui qui se trouvait d’habitude derrière le micro pour défendre ses clients apparaît cette fois sur une banderole plastifiée, devant une chaise vide. "Libérez Me Guy Hervé Kam et tous les citoyens enlevés", peut-on lire à côté de sa photo. Un mois après l’arrestation de ce célèbre avocat, qui a notamment été le défenseur de la famille de l'ex-président Thomas Sankara, les partisans de son mouvement SENS (Servir et non se servir) ont une nouvelle fois condamné sa "séquestration arbitraire", lors d'une conférence de presse organisée le 26 février à Ouagadougou,. 

"Maître Guy Hervé Kam a toujours été du côté des victimes de l’arbitraire. Est-ce pour cela qu’il a été enlevé ?" questionne Idrissa Barry, secrétaire général de Sens, rappelant que les autorités n’ont toujours pas saisi la justice. Malgré l’armada d’avocats qui le soutiennent, le cas de Guy Hervé Kam, comme de tous les autres enlèvements et réquisitions forcées dans le pays, semble sans issue. 

Grâce à un décret de mobilisation générale signé en avril 2023 pour une durée d’un an, le président de transition burkinabè Ibrahim Traoré peut en effet réquisitionner des citoyens pour participer à la guerre que mène le pays contre les terroristes présumés. Depuis, de plus en plus de détracteurs du pouvoir disparaissent et se retrouvent au front. 

Suspension des réquisitions 

Enlevé dans la nuit du 24 au 25 janvier à l’aéroport de Ouagadougou par des individus en civils, Guy Hervé Kam - également cofondateur du mouvement Balai Citoyen, une organisation connue pour tenir tête aux pouvoirs en place - a ensuite été emmené à la Sûreté nationale, où il est toujours détenu. Condamnant avec force l’arrestation de leur confrère, le Syndicat des avocats du Burkina Faso (SYNAF) avait alors observé une journée de grève le 15 février. "Sans que rien ne bouge du côté des autorités", déplore pourtant un des membres, qui a souhaité garder l’anonymat. 

"Le cas de Maître Kam est une prise d’otage qui ne dit pas son nom", dénonce un membre de la société civile, pour qui la justice, impuissante, reste limitée dans ses actions. "Nous déposerons de nouvelles plaintes et de nouveaux recours", assure pourtant un des avocats de Guy Hervé Kam à France 24. 

Quelques semaines avant son arrestation, le 6 décembre, Guy Hervé Kam avait réussi, avec un collectif d'avocats, à faire suspendre par le Tribunal administratif de Ouagadougou, un ordre de réquisition qui visait Issaka Lingani, journaliste, et deux activistes du Balai Citoyen, Bassirou Badjo et de Rasmane Zinaba. Après plusieurs audiences dénonçant un "détournement de pouvoir", ils avaient obtenu gain de cause.  

Ces derniers avaient vu apparaître leurs noms sur une liste de douze personnalités visées par des enrôlements de force. Parmi elles : Ablassé Ouedraogo, ex-ministre et président du parti Le Faso Autrement, ou encore Daouda Diallo, secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC). 

Enlevé et envoyé trois jours après sur le front

Le point commun entre ces douze personnalités était d'avoir dénoncé les restrictions de libertés et critiqué ouvertement le régime d’Ibrahim Traoré, accusé de dérives autoritaires. "Les réquisitions sanctions ou les réquisitions punitions sont un moyen de casser les voix discordantes" déclarait Rasmane Zinaba sur un plateau de télévision le 6 novembre.

Il s'est ensuite fait plutôt discret, jusqu'à sa récente disparition. Le 20 et 21 février, Rasmane Zinaba et Bassirou Badjo se sont fait arrêter et ont été emmenés vers une destination inconnue, hors de tout cadre juridique. "Les autorités n’ont pas besoin de réquisitions, ni de s’embêter avec des recours. Il vaut mieux enlever directement les gens, c’est plus simple", ironise un membre du SYNAF, interrogé par France 24. 

"Trois individus en civil et armés sont venus chez Rasmane Zinaba autour de 6 heures du matin. Ils ont frappé avec insistance, jusqu’à ce qu’il leur ouvre", témoigne Ollo Mathias Kambou, un autre membre de Balai citoyen. "Ils l’ont embarqué, et depuis, on n’a aucune nouvelle de lui. On ne sait pas où il est, qui l’a enlevé ou pourquoi. C’est ignoble" confie-t-il à France24. 

Rasmane Zinaba et Bassirou Badjo peuvent-ils réapparaître en tenue de Volontaire pour la défense de la patrie (VDP, supplétifs civils de l’armée), en treillis et une arme à la main, dans des images postées sur les réseaux sociaux ?  C'est ce qui est arrivé à Daouda Diallo et Ablassé Ouedraogo - respectivement enlevés les 1er et 24 décembre 2023. Trois jours après son arrestation, une photo de Daouda Diallo a été diffusée, sur laquelle on voit le défenseur des droits humains, l'air hagard, en tenue militaire à l'arrière d'un pickup, kalachnikov sur les genoux.

Les contrôles renforcés à la sortie du pays  

Dans un communiqué diffusé après les disparitions de Rasmane Zinaba et Bassirou Badjo, le Balai Citoyen "prend à témoin l’opinion nationale et internationale de l’arbitraire, de l’intimidation et des menaces de mort dont font l’objet ses militants depuis l’avènement du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR)" et interpellé les autorités "pour qu’elles assument leur rôle" face à une "pratique devenue banale". Contactées, les autorités de transition n’ont pas répondu aux sollicitations de France 24. 

"Nous n’aurons plus de sentiments. Quiconque va trahir sa patrie au profit de l’impérialisme sera traité comme tel", a menacé le 17 février Ibrahim Traoré, debout au milieu du stade Ouaga 2000 rempli de ses partisans. S’adressant à une partie des forces vives, le jeune putschiste a une nouvelle fois mis en garde ceux qui s’opposent à "son combat contre l’impérialisme."  

Certaines personnes visées par les réquisitions n’ont pas hésité à quitter le pays. Une option qui risque pourtant de devenir compliquée dans le futur. Ce 22 février, les députés de l’Assemblée législative de transition ont adopté un projet de loi durcissant les conditions d’entrée et de sortie du pays, y compris pour les nationaux, et particulièrement pour les agents publics.  

Au Burkina Faso, la justice impuissante face au musellement des voix discordantes