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La théorie de l’appel d’air, un "mythe" au cœur de la loi immigration
La loi immigration votée mardi et farouchement défendue mercredi par Emmanuel Macron repose en grande partie sur la théorie de l’appel d’air, qui soutient que les migrants choisissent la France en raison de son système social avantageux. Problème : aucune recherche ne démontre la validité de ce discours, qui est pourtant devenu omniprésent dans le débat public.

Restriction des conditions d’accès aux aides, limitation des régularisations de travailleurs sans papiers, durcissement du regroupement familial, création d'un délit de séjour irrégulier : la loi immigration votée mardi 19 décembre au Sénat et à l’Assemblée nationale comporte de nombreuses mesures visant à décourager les migrants – légaux et illégaux – de venir en France.

Sur l’immigration clandestine, qu’il considère représenter un "problème" en France, Emmanuel Macron a lui-même reconnu, mercredi soir sur France 5, que la loi visait "très clairement" à réduire les flux. Et pour cela, le président de la République a accepté les mesures imposées par le parti Les Républicains (LR) permettant de limiter une supposée trop grande générosité du système social français.

J'assume de dire la vérité. pic.twitter.com/V5PYxvcpDY

— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) December 20, 2023

Une vision de l’immigration et un discours qui reposent, estime le philosophe Jérôme Lèbre, sur "un élément connu de la mythologie d’extrême droite" : la théorie de l’appel d’air. "Il consiste à affirmer que les pays qui accueillent le mieux les migrants, ou même les associations qui les sauvent en mer, provoquent instantanément l’arrivée de nouveaux migrants, aggravant donc le problème qu’ils cherchent à résoudre ; il faudrait donc que chaque État organise activement les conditions internes de son inhospitalité et lutte contre les actions humanitaires des citoyens", décrit-il dans un article paru en 2019 dans la revue d’idées Lignes.

C’est ainsi, en raison de la crainte d’un appel d’air, que députés et sénateurs Les Républicains n’ont eu de cesse de s’opposer à l’article du projet de loi initial du gouvernement visant à régulariser les travailleurs sans papiers des métiers en tension, faisant de cette question une ligne rouge de leurs négociations avec l’exécutif.

Et c’est encore en ayant cette théorie à l’esprit qu’ils ont imposé les mesures, inspirées de la préférence nationale chère à l’extrême droite, d'un délai imposé aux étrangers non européens pour percevoir les allocations familiales, l’aide personnalisée au logement (APL) ou l’allocation personnalisée à l’autonomie (Apa).

"C'est un véritable tournant. Ce que nous avons proposé va mettre un terme à l'appel d'air migratoire qui faisait de notre pays le modèle social le plus généreux d'Europe", déclarait ainsi le patron de LR, Éric Ciotti, après la conclusion de l’accord, mardi, en commission mixte paritaire (CMP).

L’AME, symbole d’une dichotomie entre discours et réalité

Pourtant, aucune étude ne confirme la théorie de l’appel d’air. Au contraire, "la répartition des migrants et des réfugiés à travers l’Europe n’a aucun lien avec la générosité de la protection sociale : l’appel d’air est un mythe jamais démontré", affirme dans une tribune publiée mercredi, au lendemain de l’adoption de la loi immigration, l’Institut Convergences Migrations, qui réunit plus de 700 chercheuses et chercheurs en sciences sociales à travers la France sous l’égide du CNRS.

"Les migrations n’ont pas besoin d’appel pour se produire. Elles sont le fait de l’activité naturelle des femmes et des hommes ou alors, le fait de la contrainte, de la misère, des persécutions, des dégâts environnementaux", explique Pascal Brice, ancien directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), dans une vidéo du site Migrations en Questions, un projet lancé en 2018 par les associations Res Publica et European Migration Law.

Souvent pointée du doigt, l’aide médicale d’État (AME) illustre parfaitement la dichotomie entre le discours politique ambiant, désormais repris par Emmanuel Macron, et la réalité des chiffres. Contraint par LR, le gouvernement a ainsi accepté de réformer début 2024 ce dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'un accès aux soins. Pourtant, dans une enquête menée en 2019 par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) auprès d’un échantillon représentatif d’étrangers en situation irrégulière, seuls 9,5 % d’entre eux évoquent la santé comme motif de venue en France, et seuls 51 % des étrangers éligibles ont demandé à bénéficier de l’AME.

Les vrais facteurs de choix du pays d’accueil sont plutôt à chercher du côté de l’attractivité économique du pays en question et de la présence ou non d’une diaspora, selon Hélène Thiollet, chercheuse au CNRS et coordinatrice du livre "Migrants, migrations. 50 questions pour vous faire votre opinion" (Armand Colin, 2016).

"Pour les migrants, le premier critère est d’ordre professionnel : ils cherchent à accéder soit à un emploi, soit à un cursus universitaire, explique-t-elle dans un article publié par Le Monde. Le second critère, c’est l’existence, dans le pays d’accueil, d’une communauté issue de leur pays d’origine. L’activation de ces réseaux sociaux, qu’ils soient familiaux, villageois ou nationaux, permet de faire baisser les risques et le coût de la migration, mais aussi de faciliter l’intégration."