
C’est l’une des décisions les plus importantes de la Cour suprême depuis l'annulation en juin 2022 de l’arrêt Roe vs Wade, qui garantissait le droit à l’IVG aux États-Unis depuis 1973. Mercredi 13 décembre, la plus haute juridiction américaine a annoncé qu’elle se saisissait de la bataille juridique entourant le mifépristone, une pilule abortive très utilisée aux États-Unis.
La prise de mifépristone associée au misoprostol est le moyen le plus efficace de procéder à un avortement médicamenteux, qui représente plus de la moitié des IVG aux États-Unis. Depuis son agrément par l’Agence américaine du médicament (FDA), la mifépristone a été prise par plus de 5,6 millions de femmes.
La Cour suprême, à majorité conservatrice, entendra les plaidoiries sur la pilule abortive l'année prochaine et devrait rendre sa décision d'ici la fin du mois de juin 2024. Si ces restrictions sont adoptées, les femmes enceintes n'auraient plus que sept semaines, au lieu de dix, pour utiliser la pilule. La distribution de la mifépristone par courrier serait également interdite et ce médicament ne pourrait plus être prescrit que un médecin, excluant ainsi les professionnels de la santé tels que les infirmiers ou les sages-femmes.
Les débats devraient assurément agiter la prochaine élection présidentielle, prévue pour novembre 2024. Sydney Calkin, maître de conférences à l'université Queen Mary de Londres, qui a mené des recherches approfondies sur la façon dont les pilules abortives ont transformé les soins reproductifs, revient sur les enjeux qui entourent cette décision judiciaire.
France 24 : Pourquoi la mifépristone est-elle visée par cette décision ?
Dr Sydney Calkin : Le mouvement anti-avortement considère qu'il s'agit de la prochaine étape après la décision dans l'affaire Dobbs v. Jackson Women's Health Organization, qui a annulé l'arrêt Roe vs Wade et supprimé les protections constitutionnelles en matière d'avortement aux États-Unis.
Cet arrêt n'a pas rendu l'avortement illégal dans l'ensemble du pays, il a simplement précisé qu'il s'agissait d'une question relevant de chaque État. Ce que nous constatons actuellement, c'est que les États peuvent interdire l'avortement s'ils le souhaitent. Le mouvement anti-avortement ne peut se satisfaire de cette situation et veut que l'avortement soit illégal partout aux États-Unis.
Beaucoup de gens ont cru que l’arrêt Dobbs serait la dernière marche des restrictions liées à l'avortement et que les États resteraient libres de faire ce qu'ils veulent. On s’aperçoit désormais que ce n’est pas le cas. L’arrêt Dobbs n'était qu'une étape dans la stratégie anti-avortement, qui prévoit d'aller beaucoup plus loin.
Les règles relatives aux médicaments approuvés et à leur utilisation sont fixées au niveau fédéral. Si des restrictions supplémentaires sont imposées à la mifépristone, cela empêcherait les États d’agir, même ceux qui souhaitent que l'avortement reste légal.
Cette décision est très importante, car avant la décision Dobbs, l’IVG médicamenteux représentait la majorité des avortements aux États-Unis. C'est une méthode qui est largement utilisée et beaucoup plus facile d'accès.
Quelles seraient les conséquences concrètes de la restriction de l'accès à la mifépristone ?
Si la Cour suprême adopte les restrictions, la durée d'utilisation de la pilule sera réduite de dix à sept semaines. Aux États-Unis, la grossesse est datée à partir de la dernière période menstruelle, et non de la date de conception. Quand une femme s'aperçoit qu'elle n'a pas eu ses règles, elle peut déjà être enceinte de quatre semaines, ce qui ne lui laisserait plus que trois semaines pour procéder à un avortement médical. Cela réduit vraiment la marge de manœuvre.
Les restrictions limiteraient également le droit de prescription du médicament aux seuls médecins. Or, il y a déjà une pénurie de prestataires de services d'avortement dans tout le pays.
En 2016, l'Agence américaine du médicament (FDA) a révisé les réglementations relatives à la mifépristone et décidé qu'un dosage plus faible du médicament pourrait être utilisé par rapport à ce qui avait été convenu avant. Les restrictions supprimeraient cette exigence, ce qui augmenterait la quantité de mifépristone utilisée et la rendrait donc plus chère.
Depuis 2016, il était également possible de prendre la pilule à domicile et il n’était pas nécessaire d’avoir un rendez-vous de suivi avec son médecin. Ces dispositions seraient supprimées.
Mais surtout, les restrictions empêcheraient les services d'avortement par télémédecine et les services de pilules abortives par correspondance de fonctionner. En 2021, pendant la crise du Covid-19, l’obtention de la pilule abortive avait été facilitée de cette manière.
Quelles seraient les solutions alternatives ?
Ces décisions sont importantes parce qu'elles vont restreindre l'accès à l'avortement dans une certaine mesure. Mais d'un autre côté, elles n'auront pas autant d'impact que le mouvement anti-avortement l’espère.
La possibilité de l'avortement médicamenteux en ligne limite le contrôle des gouvernements et des tribunaux car avant cela l'avortement était une procédure chirurgicale pratiquée dans les hôpitaux et les cliniques. Aujourd'hui, les pilules abortives sont disponibles en ligne, fabriquées dans le monde entier et relativement bon marché.
Il serait évidemment très grave que la Cour suprême décide d'imposer toutes ces restrictions, mais de nombreuses personnes ont déjà accès aux pilules par d'autres voies qui ne seront pas nécessairement affectées par l'arrêt.
Aux États-Unis, certaines femmes se procurent des pilules abortives auprès d'organisations internationales telles que Aid Access, qui est affiliée au groupe néerlandais Women on Web. Elles obtiennent ces pilules auprès de pharmacies en ligne. Le groupe américain Plan C fait un travail considérable pour trouver ces pharmacies et fournir des informations sur le prix, la fiabilité et la rapidité avec laquelle les pilules peuvent être livrées. Les réseaux transfrontaliers entre les États-Unis et le Mexique sont devenus mieux organisés. Quoi qu'il se passe, les gens continueront à pouvoir recevoir des pilules abortives. Mais le risque de condamnation criminelle pour cet usage est réel.
Ceci est une traduction de l'interview originale en anglais.