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Suède, Danemark, Norvège... la grève des salariés de Tesla égratigne Elon Musk
Parti de Suède le 27 octobre, le conflit social qui oppose Tesla aux mécaniciens de ses ateliers de réparation s’est étendu au Danemark et à la Norvège. Le constructeur américain de voiture électrique refuse toujours de signer la convention collective de ses salariés suédois. Plusieurs puissants fonds d’investissement nordiques, actionnaires de Tesla, ont rappelé Elon Musk à l’ordre.

Elon Musk ne s’attendait pas à subir un tel revers après avoir refusé de signer la convention collective qui fixe le salaire minimum de 130 mécaniciens de ses ateliers de réparation en Suède. Six semaines après le début, le 27 octobre, d'un mouvement de grève dans une dizaine d’ateliers de réparation de Tesla dans sept villes suédoises, le mouvement a pris une ampleur internationale. Et la vente de la célèbre marque américaine de voiture électrique est bloquée en Suède.

"L’erreur de Tesla est de s’être attaqué aux conventions collectives qui fixent les salaires minimum secteur par secteur en Suède. Un pays où 70 % de la population est syndiquée, comparé aux 8 % de Français adhérents à un syndicat [dans le secteur privé]", commente le politologue et spécialiste de la Scandinavie Yohann Aucante, chercheur à l'EHESS Paris. Ces textes, qui couvrent près de 90 % de tous les employés en Suède, constituent la base du modèle du marché du travail nordique.

Soucieux de protéger ce modèle social, une quinzaine de syndicats suédois ont suivi le mouvement de grève à l’appel du puissant syndicat IF Metall. Les dockers ont cessé de décharger les voitures, les transporteurs d’acheminer les véhicules, les électriciens ont refusé de réparer les bornes électriques de recharge, les agents de ménages ont arrêté de nettoyer les showrooms de la marque, et les ordures s’entassent devant les centres Tesla depuis que les éboueurs refusent de les ramasser.

La poste suédoise a même rejoint cette grève solidaire, empêchant l’acheminement des plaques d’immatriculation, indispensables à la mise en circulation des nouvelles Tesla. À l’autre bout de la chaîne, les concessionnaires ont cessé de proposer la marque à leur client et les taxis de Stockholm ont suspendu leurs achats de Tesla.

Elon Musk en colère

Cette fronde a suscité l’ire d’Elon Musk. "C’est insensé" a commenté le milliardaire sur son réseau social X, le 23 novembre.

This is insane

— Elon Musk (@elonmusk) November 23, 2023

En réaction, Tesla a déposé une requête visant à forcer l’opérateur postal suédois à lui livrer les plaques d'immatriculation, et a demandé réparation pour un manque à gagner de plus de 87 000 euros. Mais sa demande de poursuite a été rejetée le 7 décembre par un tribunal suédois.

Loin d’en rester là, la "grève de sympathie" s’est étendue aux pays voisins. La mise sur le marché de ses véhicules en Suède étant bloquée, Tesla avait envisagé de faire acheminer ses voitures par le Danemark et la Norvège. Mais les dockers de ces trois pays ont rejoint le mouvement.

Après le plus important syndicat danois, 3F, qui a décrété le 5 décembre une grève de solidarité avec les ouvriers suédois, le plus gros syndicat du secteur privé en Norvège a averti le 6 décembre qu'il bloquerait le transit de voitures Tesla vers la Suède si le constructeur américain ne parvenait pas à un accord avec ses ouvriers suédois d'ici au 20 décembre.

"Il y a aussi des conventions collectives et des syndicats puissants en Norvège, et tout particulièrement au Danemark, où l’essentiel du droit du travail est fixé par ces textes. Dès lors, Norvégiens et Danois tiennent à ce modèle où les syndicats ont un minimum de pouvoir de négociation face aux employeurs", explique Yohann Aucante.

Cet outil de "grève de sympathie" est rarement utilisé, précise-t-il. La dernière grande mobilisation date de 1995, lorsque l’entreprise de jouets Toys’r’us avait tenté de contourner les syndicats et d’imposer ses propres règles salariales. L’enseigne américaine avait fini par céder, après trois mois de grève en Suède et en Europe.

L’attitude de Tesla jugée "très préoccupante" par ses investisseurs nordiques

Autre menace, plus sérieuse encore pour Elon Musk, plusieurs puissants fonds de pension de la région, dont le norvégien KLP, ont épinglé Tesla en jugeant "très préoccupante" son "attitude à l'encontre du droit à la négociation collective". Dans une lettre qu’ils ont prévu d’adresser cette semaine à la direction du constructeur automobile, ils prennent la défense du modèle de marché de travail de la région. "Ce modèle a permis aux pays nordiques de devenir l'une des régions les plus prospères et les plus harmonieuses du monde", indique la lettre consultée par Reuters.

Ces fonds de pension, dont Folksam en Suède, ainsi que PFA et PensionDanmark au Danemark (détenteur de 255 millions d'euros d'actions Tesla fin juin), prévoient de demander une réunion avec le constructeur. "Il ne s'agit pas seulement du modèle de travail dans les pays nordiques, mais aussi des droits de l'homme fondamentaux", a déclaré Kiran Aziz, responsable des investissements responsables chez KLP, détenteurs d'environ 195 millions d'euros d’actions de Tesla.

Le fonds souverain norvégien, septième actionnaire de Tesla avec une participation d'environ 6,3 milliards d'euros, n’a pas prévu jusqu’ici de signer la lettre, mais a déclaré la semaine dernière qu'il continuerait à faire pression sur l'entreprise pour qu'elle respecte les droits du travail tels que la négociation collective.

Coup dur pour l’image de Tesla

Pour Tesla l’enjeu est de taille. "Les Scandinaves étant les premiers consommateurs de Tesla en Europe, l’entreprise n’a pas intérêt à faire durer un conflit qui va fortement nuire à son image", relève Yohann Aucante, qui estime que Tesla va devoir mettre le prix. "Avec cette tendance au verdissement des économies, cela fait 'mauvais genre' de produire ses automobiles en Chine quand on construit une voiture électrique dont le but est de limiter l’impact carbone. C’est pourquoi Tesla essaie de rapatrier une partie de sa production en Europe, mais le coût du travail n’est pas le même et il y a davantage de règles ici."

Si la grève ne concerne pour le moment que les pays du nord de l’Europe, elle pourrait donner des idées aux 11 000 salariés de la marque à Berlin, où se trouve la Gigafactory, son premier site de production en Europe. Les employés allemands y ont obtenu, début novembre, une hausse de salaire de 4 %, fruit de la pression des syndicats allemands.

Mais cette concession de la direction pourrait aussi être liée, selon le Washington Post, à la crainte d’une contagion de la grève entamée dans les pays nordiques. Tesla redoute également que ses travailleurs aux États-Unis ne se syndiquent davantage par effet boomerang.

Avec AFP