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Irlande du Nord : Michelle O'Neill devient la première républicaine à diriger le gouvernement
Michelle O'Neill est devenue samedi la première cheffe de gouvernement de la province britannique favorable à l'unification de l'île, alors que l'assemblée locale d'Irlande du Nord a redémarré ses travaux après deux ans de blocage politique lié à un contentieux hérité du Brexit.

Après deux ans d'un blocage lié aux conséquences du Brexit, les institutions nord-irlandaises ont redémarré, samedi 3 février, avec pour la première fois dans l'histoire de la province britannique une Première ministre nationaliste, Michelle O'Neill (Sinn Fein). Un tournant historique dans ce territoire au passé marqué par trois décennies de conflit sanglant.

Le parlement nord-irlandais de Stormont a élu l'unioniste Edwin Poots en tant que président ("speaker"), première étape de la restauration des institutions nord-irlandaises, avant que la patronne du Sinn Fein nord-irlandais ne devienne officiellement la première cheffe de gouvernement de la province britannique favorable à l'unification de l'île.

À son arrivée à Stormont, la cheffe du Sinn Fein pour toute l'île d'Irlande, Mary Lou McDonald, a estimé que le gouvernement nord-irlandais ne "pouvait pas être entre de meilleurs mains". "C'est une victoire pour tout le monde aujourd'hui, la démonstration que l'égalité et l'inclusion sont à l'ordre du jour", a-t-elle ajouté.

En vertu de la cogouvernance issue des accords du vendredi Saint de 1998 qui ont mis fin à trois décennies de conflit sanglant, Michelle O'Neill, 47 ans, aura à ses côtés l'unioniste Emma Little-Pengelly (attachée au maintien de l'Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni), qui a été choisie comme vice-Première ministre.

Une unioniste aux idées de gauche

Le Sinn Fein était arrivé en tête des élections de mai 2022, un basculement inédit qui montre la dédiabolisation de cette formation qui était jadis la vitrine politique de l'IRA (Armée républicaine irlandaise).

Michelle O'Neill a promis d'être une "Première ministre pour tous" et qualifié de "jour d'optimisme" la reprise des institutions, dont la paralysie affectait les services publics locaux et excédait la population.

Entrée en politique il y a plus de 25 ans, Michelle O'Neill a grandi entourée de fervents républicains. Son père, un couvreur, a été prisonnier de l'IRA avant d'être élu local du Sinn Fein. Un de ses cousins, membre de l'IRA, a été tué en 1991 dans une embuscade de l'armée britannique.

En 2022, elle avait remporté l'élection en mettant en avant les thèmes du quotidien, comme l'amélioration des services de santé en Irlande du Nord. 

Elle est particulièrement appréciée des jeunes pour ses idées de gauche, face aux unionistes aux positions conservatrices sur des sujets comme l'avortement.

Elle a remisé au second plan l'objectif historique du Sinn Fein, la réunification de l'Irlande.

En 2019, au congrès du Sinn Fein, elle avait déclaré que "la question (n'était) plus de savoir si, mais quand se tiendra le référendum sur la réunification". 

Son discours est désormais plus modéré, qualifiant mercredi la partition d'"échec pour tous les habitants de l'île" : "Notre peuple a été contraint de vivre dos à dos au lieu de vivre côte à côte". 

Elle a appelé à un débat "inclusif", sur les identités britannique et irlandaise, "tous ensemble".

Samedi, Michelle O'Neill a salué "un jour historique" et "une nouvelle ère" pour la province britannique.

"C'est un jour historique et cela représente une nouvelle ère", a-t-elle déclaré, s'exprimant devant l'Assemblée locale d'Irlande du Nord, relevant qu'il aurait été "inimaginable pour la génération de (ses) parents" qu'un nationaliste dirige l'exécutif local.

This is a day of historic change.

I am determined to deliver for everyone as a First Minister for all. pic.twitter.com/VmqCYbROuT

— Michelle O’Neill (@moneillsf) February 3, 2024

Le gouvernement local, compétent dans des domaines comme le logement, la santé, l'emploi, l'agriculture et l'environnement doit être constitué. Les affaires courantes étaient gérées par l'administration et Londres depuis deux ans en raison du blocage qui suscitait une exaspération au sein de la population.

Éviter le retour d'une frontière physique

Après des mois de négociations avec le gouvernement britannique, les unionistes du Democratic Unionist Party (DUP) ont annoncé leur décision cette semaine de mettre fin à leur boycott. Celui-ci entraînait la paralysie de l'Assemblée et de l'exécutif local, où le pouvoir est partagé entre les unionistes – attachés au maintien de l'Irlande du Nord dans le giron britannique – et les nationalistes.

Il y a deux ans jour pour jour, le parti unioniste avait annoncé qu'il se retirait des institutions locales pour protester contre les dispositions commerciales post-Brexit, dans lesquelles il dénonçait une menace sur la place de l'Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni.

Dans la mise en œuvre du Brexit, l'une des principales difficultés consistait à trouver une solution qui évite le retour d'une frontière physique entre la République d'Irlande, membre de l'UE, et la province britannique, tout en protégeant l'intégrité du marché unique européen.

Une modification de ces dispositions négociée entre Londres et Bruxelles il y a un an, baptisée "cadre de Windsor" et allégeant les contrôles sur les marchandises, n'avait pas suffi à convaincre le DUP.

Mais le parti unioniste dirigé par Jeffrey Donaldson a fini par accepter cette semaine un accord avec le gouvernement britannique, estimant que ce texte offre suffisamment de garanties et qu'il supprime la frontière en mer d'Irlande qu'il dénonçait. Cette décision ne fait toutefois pas l'unanimité au sein du parti.

Sous le regard de Bruxelles

L'accord est scruté à Bruxelles, qui a promis d'"analyser attentivement" le texte, surveillant tout changement fondamental des dispositions négociées avec Londres.

Downing Street a fait valoir jeudi que les mesures qui ont été annoncées sont "opérationnelles" et ne nécessitent pas de blanc-seing formel de Bruxelles.

Le Premier ministre irlandais Leo Varadkar s'est entretenu mercredi avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, et a affirmé que "personne à ce stade ne signale de drapeau rouge ou quoi que ce soit qui suscite chez nous de préoccupation majeure".

Le redémarrage des institutions nord-irlandaises va aussi permettre le déblocage par Londres d'une enveloppe de 3,3 milliards de livres sterling (environ 3,9 milliards d'euros) pour soutenir les services publics, qui ont récemment connu une grève d'une ampleur historique.

Le président américain Joe Biden a salué samedi le redémarrage des institutions en Irlande du Nord, évoquant une "étape importante" pour l'avenir de la province.

"Je salue et soutiens fermement le rétablissement de l'exécutif et de l'Assemblée d'Irlande du Nord au (palais de) Stormont, et je félicite les dirigeants politiques d'Irlande du Nord d'avoir pris les mesures nécessaires pour rétablir ces institutions fondamentales", a affirmé Joe Biden dans un communiqué.

Il a dit espérer que ce "retour à la stabilité d'un gouvernement de partage du pouvoir renforce les dividendes de la paix, rétablit les services publics et qu'il continue à s'appuyer sur les immenses progrès réalisés au cours des dernières décennies".

Le président américain, aux origines irlandaises, s'était rendu en avril dernier en Irlande du Nord, à l'occasion du 25e anniversaire de l'accord de paix dit du Vendredi saint, qui a mis fin à trois décennies de violences.

Avec AFP