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Le candidat à l’élection présidentielle russe Boris Nadejdine affirme avoir réussi à rassembler les 100 000 signatures nécessaires pour pouvoir se présenter face à Vladimir Poutine en mars 2024. Des milliers de Russes ont manifesté leur soutien à ce politicien au programme 100 % anti-guerre et anti-Poutine. Difficile d’imaginer une telle candidature dans le contexte politique russe actuel… sauf à être manipulé en coulisse par le Kremlin ?

Il faisait un froid de canard ce jour-là, à Iakoutsk, en Sibérie. Le thermomètre était tombé à -34 °C, dimanche 21 janvier, ce qui n'a pas empêché des dizaines de personnes de faire la queue pour signer. Ils sont venus apporter leur soutien à Boris Nadejdine, un improbable candidat d'opposition à Vladimir Poutine à l'élection présidentielle russe de mars prochain.

Des scènes similaires ont été filmées et postées sur les réseaux sociaux devant les bureaux de campagne de Boris Nadejdine à Saint-Pétersbourg, Krasnodar, Iekaterinbourg ou encore Moscou. "Ils sont des milliers dans tout le pays à venir ainsi apporter leur signature à Boris Nadejdine", a constaté le Moscow Times. "Des queues pro-Nadejdine se sont aussi formées devant les ambassades russes en Israël, Serbie, Croatie et d'autres pays où il y a une diaspora russe", précise Will Kingston-Cox, spécialiste de la Russie à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Objectif 150 000 signatures

Des signatures dont ce représentant du parti de centre-droit Initiative civile a besoin. En effet, l'un des premiers obstacles sur le chemin du Kremlin pour tout candidat qui n'appartient pas à un parti représenté à la Douma est de rassembler 100 000 soutiens à soumettre ensuite à la commission électorale.

Rekordszámú sor alakult ki tegnap ismét Moszkvában, hogy aláírjanak Nadezhdin, ellenzéki politikus mellett.

Szmolenszkből, Apatityből, Izsevszkből, Voronyezsből, Tomszkból, Volgográdból és más városokból is közzétesznek fotókat és videókat a sorban állókról. pic.twitter.com/FoGoOVUkWs

— NAFO Hungary 🇭🇺🇺🇦🇪🇺 (@NAFO_Hungary) January 24, 2024

Les responsables de campagne de Boris Nadejdine ont affirmé, mardi 23 janvier, avoir réussi à réunir les fameuses signatures... mais préfèreraient en récolter 150 000. On ne sait jamais : "la commission détient un pouvoir important et une certaine marge de manœuvre pour décider de la validité d'une candidature", précise Stephen Hall, spécialiste de la Russie à l'université de Bath.

Ce candidat dont la plateforme politique consiste à prendre le contre-pied de Vladimir Poutine sur tout, préfère ainsi prendre ses précautions avec un organe accusé par le passé d'être un outil pour se débarrasser des opposants encombrants pour le Kremlin. Car Boris Nadejdine ne se contente pas de critiquer la guerre. Il a qualifié la loi anti-LGBT de "retour au Moyen-Âge", s'est prononcé pour un assouplissement des règles sur l'avortement et a critiqué le rapprochement sino-russe initié par Vladimir Poutine, tout en prônant un renforcement des liens avec l'Europe occidentale.

Des prises de position qui lui ont valu le soutien d'opposants au président russe de premier plan. Le collectif de lutte contre la corruption fondé par Alexeï Navalny, le farouche détracteur du pouvoir russe actuellement en prison, lui est favorable. Mikhaïl Khodorkovski, le milliardaire anti-Poutine en exil, s'est aussi exprimé en sa faveur. Tout comme Ekaterina Dountsova, journaliste et opposante à Vladimir Poutine, qui vient de voir sa propre candidature à l'élection présidentielle retoquée pour "vice de forme" par la commission électorale.

Le Kremlin à la manœuvre ?

De quoi inquiéter Vladimir Poutine ? Pas forcément, et Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a déclaré mercredi 24 janvier : ce candidat "ne nous fait pas peur". Une partie des opposants au maître du Kremlin trouvent d'ailleurs le nouveau champion de leur cause trop parfait pour être honnête. Ils s'étonnent qu'il ait pu s'exprimer aussi librement pour critiquer Vladimir Poutine sans être inquiété. "La moitié de mes amis refusent de fournir leur signature à un candidat qu'ils qualifient de marionnette du Kremlin", affirme Pavel Sychev, un membre du comité de campagne de Boris Nadejdine, interrogé par le Moscow Times.

C'est un problème récurrent en Russie, où le paysage politique est verrouillé par Vladimir Poutine. Dès qu'un opposant pointe le bout de son nez, surtout en période électorale, il est soupçonné d'être secrètement à la solde du Kremlin. Il y a même un terme spécifique pour les principaux partis dits d'opposition, comme les communistes et les ultranationalistes de Parti libéral-démocrate de Russie : c'est l'opposition "systémique". Il s'agit de formations qui s'opposent sur la forme à Vladimir Poutine, mais le soutiennent sur le fond.

"En Russie, on se demande toujours qui est le bienfaiteur ou le protecteur d'un candidat, et dans le cas de Boris Nadejdine, ce n'est pas clair. Il semble plus ou moins sorti de nulle part", souligne Stephen Hall.

Ce sexagénaire n'est pas novice en politique pour autant. Au début des années 2000, il était député de la Douma. Il a aussi été un conseiller de Boris Nemtsov, un ancien Premier ministre russe et célèbre opposant assassiné en 2015. Mais depuis l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, Boris Nadejdine végète dans un assemblée locale de la région de Moscou. Ce n'est pas la trajectoire politique d'un poids lourd de la politique.

Les sceptiques ont cependant noté quelques détails biographiques qui les chagrinent. Il a notamment été observateur d'élections pour Vladimir Poutine lors de la présidentielle de 2012. Surtout, "il a été proche de Sergueï Kirienko, un conseiller politique de Vladimir Poutine, réputé pour être un fin stratège électoral", note Stephen Hall.

Pour cet expert, cette proximité passée pourrait suggérer que la candidature de Boris Nadejdine a été façonnée "pour obtenir une image réaliste de la popularité des idées libérales et anti-guerre en Russie, car les sondages d'opinion ne sont pas les indicateurs les plus fiables".

Trop de handicaps ?

D'autres préfèrent laisser le bénéfice du doute à Boris Nadejdine. D'abord, "parce que sa carrière politique ne donne pas l'impression que c'est quelqu'un qui a profité du système mis en place par Vladimir Poutine", note Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics.

Ensuite, il ne s'est pas improvisé opposant à Vladimir Poutine à la veille de l'élection présidentielle. "Il a commencé à le critiquer dès 2020", souligne Will Kingston-Cox. À l'époque, il s'était opposé à la très importante réforme constitutionnelle qui a permis au président de rester au pouvoir au-delà de deux mandats consécutifs. "Et depuis 2022, il est un farouche détracteur de la guerre en Ukraine, comparant notamment la grande offensive russe à un acte de colonialisme", poursuit l'expert de l'ITSS Verona.

Enfin, malgré ses soutiens prestigieux et ses prises de position, Boris Nadejdine a "trop de handicaps pour représenter un réel danger pour le régime", estime Jeff Hawn. Ce politicien "incarne toutes les valeurs défendues par les hommes au pouvoir en Russie dans les années 1990, et il est l'héritier de cette génération largement discréditée aux yeux d'une majorité de la population russe", résume Jeff Hawn. Pour lui, c'est un candidat qui fera plaisir à l'intelligentsia des grandes villes et à la diaspora, mais le commun des Russes garde de très mauvais souvenirs des réformes économiques à marches forcées des années 1990.

Cette candidature téléguidée – ou non – représente donc une aubaine pour Vladimir Poutine. Le risque électoral est quasi nul pour lui, et la présence de Boris Nadejdine donne l'impression que l'opposition à la guerre a voix au chapitre lors de cette élection. C'est donc peut-être bien un candidat tout ce qu'il y a de plus indépendant, mais que quelqu'un dans l'entourage de Vladimir Poutine, comme Sergueï Kirienko, a gentiment encouragé à se présenter… sans plus.

Ce que le pouvoir n'avait peut-être pas anticipé, ce sont tous les Russes qui font la queue, malgré le froid et le risque de soutenir un candidat anti-guerre, pour apporter leur signature. "C'est probablement ce qu'il y a de plus important dans cette candidature, car ce sont des manifestations claires et inhabituelles de mécontentement politique de la population", estime Will Kingston-Cox.

En l'état actuel, ce n'est pas un danger pour le pouvoir car "il s'agit plus d'actes de désobéissance civile [manifester son opposition à la guerre est interdit, NDLR] que de vrais troubles à l'ordre public", résume Will Kingston-Cox.