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La capitale saoudienne Riyad a été désignée mardi ville hôte de l’Exposition universelle de 2030, largement plébiscitée devant Rome et la ville sud-coréenne de Busan. Une victoire pour l’Arabie saoudite et le prince héritier Mohammed ben Salmane, partisan d’une politique de modernisation et de développement du royaume. Décryptage pour France 24 du chercheur David Rigoulet-Roze, spécialiste du Moyen-Orient.

Mardi en fin de journée, le quotidien Saudi Gazette relayait sur X (anciennement Twitter) les images de la délégation saoudienne laissant éclater sa joie à l’annonce des résultats du vote du Bureau international des expositions (BEI) pour l’attribution de l’Exposition universelle de 2030. La capitale saoudienne l’a très largement emporté au premier tour du scrutin, face à Rome et la ville portuaire sud-coréenne de Busan. Riyad deviendra ainsi la deuxième ville du Golfe à organiser l’événement, après Dubaï en 2021 (pour l'Expo de 2020).

#VIDEO: #Saudi official delegation's jubilant reaction to winning the bid to host World Expo 2030 in Paris. #RiyadhExpo2030 pic.twitter.com/PJYwd43yfk

— Saudi Gazette (@Saudi_Gazette) November 28, 2023

Tous les candidats en lice se targuaient de porter des projets verts, à forte valeur technologique, pour décrocher l'organisation de l'Exposition universelle – un événement qui attire des millions de visiteurs –, et s'étaient lancés dans d'intenses campagnes de lobbying ces derniers mois.

Et malgré les critiques portant notamment sur la question des droits humains, Riyad l'a emporté, vantant "des paysages naturels de niveau mondial" et "la première exposition carbo-négative", dans un pays pourtant aride, figurant parmi les premiers producteurs de pétrole au monde et premiers émetteurs de gaz à effet de serre par habitant. 

L’année 2030 sera ainsi chargée, voire charnière, pour le royaume saoudien, puisque que l’organisation de l’Exposition universelle de 2030 en Arabie saoudite coïncidera par ailleurs avec "Vision 2030", du nom du vaste programme de réformes et de développement porté par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (dit "MBS") visant à réduire la dépendance du royaume au pétrole.

Mais comment cette victoire résonne-t-elle sur le plan politique et diplomatique pour l’Arabie saoudite, et en particulier pour le prince héritier saoudien ? Éléments de réponse avec David Rigoulet-Roze, rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques (ed. L'Harmattan), chercheur rattaché à l'Institut français d’analyse stratégique ainsi qu'à l'Institut des relations internationales et stratégiques.

France 24 : La large victoire saoudienne est-elle une surprise ?

David Rigoulet-Roze : Ce n’est pas réellement une surprise. De fait, il y a eu un vote très large au profit de l’Arabie saoudite qui conforte la stratégie du royaume de se positionner comme un organisateur de grandes manifestations internationales. Début octobre 2022, l’Arabie saoudite avait déjà bénéficié de l’organisation des Jeux asiatiques d’hiver à Trojena, dans le massif montagneux jouxtant le site de Neom [en 2029, NDLR]. Mais le prince héritier Mohammed ben Salmane tenait absolument à concrétiser sa candidature pour l’Exposition universelle de 2030. C’est un peu l’apothéose pour lui, car elle fait directement écho à son projet emblématique de "Vision-2030".

Parmi les éléments qui ont pu différencier la candidature saoudienne de celle des autres, il y a évidemment l’aspect financier, avec des capacités budgétaires lui permettant de soutenir un dossier ambitieux, ainsi qu’une campagne intense de lobbying de la part de Riyad avec des soutiens importants, dont celui de la France. Il y a également eu dans la validation de cette candidature une affirmation de plus en plus marquée des pays de ce que l’on qualifie souvent de manière un peu caricaturale de "Sud-global", l’Arabie saoudite ayant par ailleurs récemment été acceptée dans les BRICS, avec une intégration effective en janvier 2024. L’idée est de faire la promotion de nouvelles puissances au XXIe siècle.

Cette victoire symbolise-t-elle le retour définitif de Mohammed ben Salmane sur le devant de la scène diplomatique et politique internationale ?

Il y a déjà eu un retour de Mohammed ben Salmane sur la scène médiatique mondiale depuis plusieurs mois, à la faveur de l’évolution de la conjoncture géopolitique. On l’a par exemple vu avec la visite du président américain Joe Biden, le 16 juillet 2022 à Riyad, après avoir traité le prince héritier en paria. Puis avec la visite effectuée à Paris le 16 juin 2023, dans le prolongement des conséquences géoéconomiques et géopolitiques induites par la guerre en Ukraine. Guerre dans laquelle il avait rapidement offert ses offices de médiateur en faisant libérer une dizaine de prisonniers internationaux le 22 septembre 2022. On a également pu le voir à la faveur de la réunion de Riyad, le 5 août 2023, sur l’examen d’un possible plan de paix ukrainien en dix points après avoir reçu spectaculairement le président Volodymyr Zelensky lors du sommet de la Ligue arabe qui s’était tenu à Djeddah le 19 mai précédent.

Cette restauration d’image avait été favorisée par la reconnaissance du statut du royaume comme un acteur central et incontournable sur fond de crise énergétique consécutive à la guerre en Ukraine. Un acteur dont on ne peut stricto sensu "faire l’économie" puisqu’il est le pilier principal au sein de l’alliance mondiale de l’OPEP+ [les 13 pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, auxquels s’ajoutent dix autres pays producteurs, dont la Russie avec laquelle l’Arabie saoudite forme une sorte de condominium, NDLR].

Mohammed ben Salmane est incontestablement revenu au centre du jeu international et profite de cette réhabilitation pour relativiser ce qui lui a été vertement reproché par le passé [notamment sa responsabilité de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018, NDLR].

Le fait de vouloir organiser l’Exposition universelle de 2030 ou d’autres événements d’importance mondiale participe évidemment à la restauration du blason de Mohammed ben Salmane, mais ce n’est sans doute pas le mobile premier sous-jacent. On a souvent tendance à penser qu’il s’agit simplement d’un instrument qui serait destiné à faire oublier un certain nombre de turpitudes en matière de droits de l’Homme. Mais l’enjeu fondamental va bien au-delà et ne se réduit pas à cette question. Il y a incontestablement une ambition stratégique de faire du royaume un État clé du XXIe siècle, dont l’envoi dans l’espace, le 21 mai 2023, de deux astronautes saoudiens vers la station spatiale internationale – dont une femme, Rayyanah Barnawi – constitue l’expression emblématique. Et la victoire de la candidature saoudienne pour l’organisation de l’Exposition universelle s’inscrit dans cette stratégie globale.

Est-ce qu’en voulant organiser tout un panel d’événements dans les années qui arrivent (les Jeux asiatiques d’hiver en 2029, l’Exposition universelle de 2030, "Vision 2030", voire la Coupe du monde de football de 2034 qu’elle ambitionne d'accueillir), l’Arabie saoudite n’a pas les yeux plus gros que le ventre ?

C’est un reproche qui lui a déjà été fait, notamment avec le projet pharaonique de Neom, dont le financement serait estimé à quelque 500 milliards de dollars et qui constitue le projet-phare dans le cadre de sa "Vision 2030". On reproche à "MBS" d’avoir une sorte de folie des grandeurs. Il est de fait très ambitieux pour le royaume et pense qu’il faut être proactif pour concrétiser des rêves. Mais tous les projets ne sont pas aussi disproportionnés. Le développement d’Al-Ula, site archéologique majeur, est beaucoup plus recevable en termes de faisabilité et déjà avancé. Il en est de même pour les projets de parc de loisir, comme Qiddiya [dont la surface couvrirait l’équivalent de trois fois la ville de Paris] ou pour l’organisation de grandes épreuves sportives comme le Dakar.

L’Arabie saoudite est le premier pays exportateur de pétrole du monde, ce qui lui permet d’engranger une manne financière considérable, de l’ordre de plusieurs centaines de millions de dollars par jour, qui alimente son fonds public d’investissement, bras armé financier de cette stratégie de développement et de diversification du royaume. Mohammed ben Salmane est également quelqu’un de pressé. Il a un calendrier qui est très contraint jusqu’à 2030 et il sait qu’il a peu de temps pour que son plan se concrétise. Et la réussite de son plan est pour lui une véritable obsession.

Dans cette posture résolument proactive, il y a, dans la promotion de projets tous azimuts et simultanés, parfois une impression de confusion, mais cela n’obère pas la cohérence dans l’ambition déclarée de "MBS". Et ce, même si tous les projets ne se concrétiseront sans doute pas, en tous les cas dans les délais impartis.