"S'assurer qu'aucun lieu dans le monde n'est un refuge pour les criminels", tout en évitant les notices rouges visant des opposants politiques. Voilà la tâche herculéenne d'Interpol qui, face aux scandales, a nettement renforcé ses contrôles.
Plus d'un millier de responsables du monde entier sont réunis cette semaine à Vienne pour l'assemblée générale de l'organisation internationale de coopération policière, née il y a 100 ans dans la capitale autrichienne.
Sa mission : transmettre au réseau des avis de recherche émis par la justice d'un pays à l'encontre de suspects désignés sous le terme de "Wanted persons" (Personnes recherchées), ces fameuses "notices rouges", dans le but de faciliter leur interpellation.
"Nous aidons à connecter les continents pour identifier et localiser des criminels en cavale", explique Jürgen Stock, secrétaire général de cette "plateforme d'échanges d'informations" transférée en France après la guerre.
Au rang des plus grands succès d'Interpol, la capture de l'ancien dirigeant politique serbe de Bosnie Radovan Karadzic, en fuite pendant près de 13 ans avant son arrestation en 2008, ou encore le tueur en série français Charles Sobhraj, dit "Le Serpent".
Appel au grand public pour identification de corps
La base de données est impressionnante. Interpol dispose de quelque 125 millions de fichiers policiers, pour 16 millions de recherches quotidiennes.
Au-delà de son travail de lutte contre la criminalité, Interpol a lancé en mai une campagne inédite, faisant appel au grand public pour l'identification des corps de 22 femmes retrouvés sur plusieurs décennies en Allemagne, Belgique et aux Pays-Bas.
L'une d'entre elles, dite "la femme à la fleur tatouée", tuée en 1992, a ainsi pu récemment recouvré son nom, Rita Roberts.
Un contrôle des notices
Mais derrière ces succès, l'organisation lyonnaise est régulièrement accusée d'être instrumentalisée par certains États pour traquer leurs dissidents.
Peu après sa prise de fonctions en 2014, Jürgen Stock prend le problème à bras le corps. Il met en place une équipe d'une quarantaine d'experts chargés de contrôler les avis de recherches avant leur publication.
"Nous analysons bien sûr la situation géopolitique dans le monde et vérifions la conformité des notices", assure le secrétaire général, se félicitant d'un "mécanisme robuste".
"Un petit pourcentage" est rejeté ou annulé : 1 465 en 2022, pour un total de quelque 70 000 valides. "Si un dossier a des dimensions politique, militaire ou religieuse, si on a des doutes, Interpol se retire aussitôt, insiste-t-il.
Il ajoute avoir instauré "une nouvelle politique des réfugiés" pour protéger ceux qui ont reçu ce statut.
"Organisation sous-financée"
Plusieurs États sont actuellement sous surveillance de l'organisation, dont la Russie qui ne peut plus transmettre directement de messages aux autres membres depuis l'invasion de l'Ukraine. Désormais ses demandes passent systématiquement par le secrétariat général. Interpol refuse de nommer les autres.
Pour autant, "il peut y avoir des erreurs, rien que par le fait qu'il n'existe pas de définition communément admise du terrorisme", reconnaît Jürgen Stock.
Le journaliste Mathieu Martinière, qui a publié en octobre avec Robert Schmidt une enquête fouillée sur Interpol, pointe "le manque de moyens humains d'une organisation sous-financée", avec un budget de 155 millions d'euros l'an dernier.
"Oui, la situation s'est améliorée mais plus d'une centaine d'innocents passent encore à travers les mailles du filet chaque année et peuvent être extradés puis emprisonnés", dit à l'AFP le co-auteur de "Interpol : l'Enquête" (éditions Harper Collins).
Autre motif d'inquiétude, l'élection en 2021 à la tête d'Interpol du général émirati Ahmed Nasser al-Raisi, visé en France par une enquête pour complicité de torture. Son rôle est essentiellement protocolaire, répond Interpol qui défend son indépendance.
Avec AFP