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Adulé ou détesté, pourquoi l'empereur Napoléon fascine-t-il autant à l'étranger ?
Sorti mercredi sur les écrans, le film "Napoléon" du réalisateur britannique Ridley Scott a relancé l'intérêt international autour de cette figure historique aux multiples facettes. À cette occasion, France 24 se penche sur les raisons d'un engouement mondial pour l'empereur des Français.

Après le bicentenaire de sa mort, la figure de Napoléon connaît de nouveau un regain d'intérêt à travers le monde depuis l'annonce de la sortie, mercredi 22 novembre, du nouveau film du réalisateur britannique Ridley Scott avec l'Américain Joaquin Phoenix dans le rôle titre.

Pour évaluer cet engouement, la vente d’objets napoléoniens reste un bon indicateur. Le 19 novembre, un bicorne de Napoléon s'est envolé à 1,932 million d'euros lors d'enchères qui ont largement dépassé les estimations de la maison de ventes Osenat.

Cette vente a attiré des "collectionneurs du monde entier" et a suscité une grande effervescence, a indiqué la maison de ventes, qui a battu son propre record : en 2014, elle avait vendu un chapeau de Napoléon pour 1,884 million d'euros.

Depuis une vingtaine d'années, la figure de Napoléon fait décoller les recettes des ventes aux enchèresdopées par des acheteurs américains, russes ou encore chinois. "Tous les objets qui touchent à Napoléon ou même à l'Empire atteignent des prix absolument fabuleux. Il y a une forme de fétichisme liée à la beauté des uniformes, mais cela renvoie aussi à l'acmé d'une gloire et d'un rayonnement passés", souligne François Houdecek, responsable des projets spéciaux à la Fondation Napoléon, auteur de "Maréchaux d'Empire. La gloire pour destin" (éd. Passés composés).

"Napoléon reste aussi le dernier grand personnage de l'Histoire à ne pas avoir connu la photographie et c'est sans doute ce qui explique ce fétichisme et cette fascination pour l'empereur", ajoute David Chanteranne, rédacteur en chef de la Revue du souvenir napoléonien.

Le symbole du "self-made-man"

Mais cette napoléonmania n'est pas l'apanage des élites en quête d'un morceau du pouvoir ayant jadis appartenu à ce général visionnaire qui a érigé le Premier Empire (1804-1814). Partout à travers le monde, il existe des sociétés napoléoniennes, même dans les pays où l'empereur n'a jamais mis les pieds, comme à Cuba, où a été inauguré un musée napoléonien.

Personnage complexe aux multiples facettes, Napoléon reste un objet d'étude intarissable pour les historiens tandis que les grandes batailles napoléoniennes sont décortiquées dans toutes les académies militaires de la planète. Des reconstitutions historiques organisées par des passionnés ont également lieu en Europe, continuant à faire vivre le souvenir de cette période qui voit naître les fondements de l'État moderne.

Selon David Chanteranne, cet engouement mondial pour le personnage de Napoléon s'explique en partie par la trajectoire fulgurante du militaire né à Ajaccio le 15 août 1769. "Napoléon est le symbole du self-made-man. Lorsqu'il quitte définitivement la Corse, il n'a plus rien. Onze ans plus tard, il devient le souverain de quasiment la moitié de l'Europe, et onze ans après, il a tout perdu."

"En exil à Sainte-Hélène, Napoléon avait lui-même souligné : 'Quel roman que ma vie !'", rappelle l'historienne Natalie Petiteau, autrice de "Napoléon Bonaparte. La Nation incarnée" (éd. Armand Colin). Et effectivement, quel meilleur héros de roman peut-on trouver dans la réalité que Napoléon lui-même ?"

Au-delà de ce destin exceptionnel, Napoléon a également su manier comme personne l'art de la propagande, diffusant son propre mythe à l'étranger. "De l'Italie jusqu'au mémorial de Sainte-Hélène, il a raconté et mis en scène son histoire. Il était déjà un formidable communicant", analyse François Houdecek.

"Il faut bien voir que la France et toute une partie de l'Europe a vécu au XIXe siècle sous l'ombre portée de Napoléon, que cela soit dans la peinture, la littérature et dans l'imaginaire", abonde Natalie Petiteau.

L'héritage Napoléon

Vu de l'étranger, Napoléon laisse cependant un souvenir contrasté à nos voisins. Ennemi juré des Anglais, il est également peu apprécié en Espagne, pays qui garde en mémoire la répression sanglante des troupes napoléoniennes en 1808 à Madrid, immortalisée par le tableau de Goya "Tres de mayo".

Adulé ou détesté, pourquoi l'empereur Napoléon fascine-t-il autant à l'étranger ?

En Russie, l'incendie aux causes incertaines lors de la prise de Moscou en 1812 a jeté une ombre sur la figure du conquérant. "Cependant, même en Russie, il y a des fanatiques de l'empereur", perçu comme l'archétype de l'homme fort, explique Natalie Petiteau. Malgré cet épisode sombre, Napoléon reste l'étranger le plus célèbre en Russie, selon un sondage publié en 2017.

À l'image de la France, les pays européens entretiennent une certaine ambivalence, entre légende noire et dorée, vis-à-vis de Napoléon. Enfant de la Révolution devenu son fossoyeur, despote qui a rétabli l'esclavage, il est aussi considéré comme un génie militaire et un grand modernisateur.

"Napoléon a permis de moderniser la France et en partie aussi le reste de l'Europe", explique François Houdecek, qui cite le réaménagement des codes civils, le cadastre ou encore le système métrique. "C'est un héritage qui est encore très vivant", souligne l'expert.

Cet héritage s'exportera même jusqu'en Amérique du Sud grâce au révolutionnaire vénézuélien Simon Bolivar, qui a assisté au couronnement de l'empereur le 2 décembre 1804. "Bolivar, qui souhaite libérer l'Amérique latine du joug espagnol et portugais, se voit en héritier de Napoléon et veut en faire un modèle de l'organisation de l'État", détaille David Chanteranne.

La Pologne reconnaissante

Les actions hors de France de Bonaparte, devenu Napoléon, ont également laissé des empreintes franchement positives au regard de certaines nations étrangères. En Pologne, l'empereur est considéré comme celui qui a contribué à faire renaître les prémices d'un État polonais sous le nom de grand-duché de Varsovie.

L'hymne polonais lui rend encore aujourd'hui hommage en mentionnant l'empereur Napoléon Bonaparte dans ses paroles. "Napoléon a aussi eu une histoire personnelle avec la Pologne. Il a eu une maîtresse polonaise, Marie Walewska, avec laquelle il aura un fils qui deviendra ministre français des Affaires étrangères", précise David Chanteranne.

En Italie, Napoléon, qui avait des racines italiennes par son père, est également vu d'un bon œil pour avoir inspiré l'unification nationale. "Plus qu'ailleurs, il a gardé l'image de celui qui a exporté la Révolution française", note Natalie Petiteau.

Dans une moindre mesure, l'Égypte conserve aussi un souvenir reconnaissant de Napoléon pour avoir contribué à faire rayonner le pays à travers le monde. "À l'origine, Napoléon voulait renverser le pouvoir des Mamelouks, qui était un pouvoir extrêmement oppresseur", rappelle François Houdecek. "Même si la campagne a été un échec sur le plan militaire, elle a permis à l'égyptologie d'entrer dans une nouvelle dimension, grâce à l'apport des scientifiques. Là encore, il a essayé de faire entrer ce pays dans la modernité."