Le Conseil de l’Europe est une institution veillant au respect des Droits humains, particulièrement bafoués et remis en cause sur notre continent récemment. Il fête ses 75 ans en 2024 et rassemble, au-delà des Vingt-Sept, 46 États membres. En cette année d’élections européennes, nous recevons sa Secrétaire générale, la Croate Marija Pejcinovic Buric, qui achève en 2024 son mandat de cinq ans. Elle nous parle de l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe, de l’aide à l’Ukraine, facilitée par le registre des dommages que son institution a mis en place, de la guerre qui oppose Israël et le Hamas, mais également de la liberté de la presse, qu’il faut "protéger si on veut sauvegarder la démocratie".
Le 16 mars 2022, le Conseil de l’Europe a exclu la Russie, qui en était membre depuis 26 ans. Une première dans l’histoire de cette institution. Mais pour Marija Pejcinovic Buric, après l’invasion de l’Ukraine, "il n'y avait pas d’autre possibilité que d'exclure la Russie [...], qui viole depuis longtemps les standards du Conseil de l’Europe", notamment "avec les agressions contre la Géorgie en 2008 ou l'annexion illégale de la Crimée en 2014".
Le Conseil de l’Europe a par la suite créé un registre des dommages pour les compensations des victimes de la guerre en Ukraine, adopté par 43 des 46 membres (à l’exception de la Hongrie, Serbie et Turquie), "le seul instrument juridiquement contraignant pour la responsabilité de la Russie dans les crimes qui sont commis contre l'Ukraine", affirme Marija Pejcinovic Buric, même si elle concède qu’il sera "très difficile juridiquement" d’obliger la Russie à payer effectivement les sommes dues. "L'idée était d’arriver à un accord partiel élargi afin d'ouvrir la possibilité d'une alliance au-delà du Conseil de l'Europe. [...] Tous les États du G7 sont membres. On est déjà présent sur les trois continents. On espère avoir plus de membres."
Le 7 octobre 2023, la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe était parmi ceux qui ont immédiatement condamné l’attaque "inhumaine et horrible" du Hamas sur le territoire d'Israël : "Il est vrai qu’Israël a le droit légitime de se défendre, mais il est vrai aussi qu'on ne peut pas accepter les souffrances que les Palestiniens subissent tous les jours." Elle appelle donc "à un processus de paix qui malheureusement traîne depuis longtemps, mais qui est à mon sens le seul moyen pour se sortir de ce cercle infernal avec beaucoup trop de victimes des deux côtés".
Marija Pejcinovic Buric a insisté sur l’adoption de lignes directrices concernant l’utilisation de l’intelligence artificielle, notamment dans le journalisme, pour lutter contre la désinformation. Elle craint en effet que le développement de la technologie n’aille "à l'encontre des droits humains, de la démocratie et de l'État de droit. [...] La Convention européenne des droits de l'homme doit s'appliquer dans de nouvelles conditions et nous sommes en train de négocier une convention sur tout le cycle de la vie de l'intelligence artificielle [...] avec des acteurs en dehors de l'Europe, très puissants et très importants : tous les pays d'Amérique du Nord, la plupart des pays d'Amérique du Sud, plusieurs en Asie, par exemple le Japon, la Corée du Sud: environ 90 pays et des représentants de la société civile sont également impliqués."
Dans le même temps, "il faut sauvegarder le journalisme de qualité si on veut sauvegarder la démocratie [...] et on voit en Europe, mais ailleurs aussi, que les journalistes sont de plus en plus soit attaqués physiquement, soit intimidés, soit certaines lois sont changées : beaucoup de méthodes sont utilisées pour réduire l'espace de la liberté des médias et de la sécurité des journalistes, des femmes journalistes qui sont très souvent ou plus souvent attaquées, en ligne surtout, et qu'il faut protéger", insiste-t-elle.
En juin prochain se tiendront les élections européennes pour élire 720 députés pour cinq ans. Marija Pejcinovic Buric regrette que "de moins en moins de personnes participent aux élections et qu’il y ait une crainte ou un malaise avec les institutions démocratiques : voter est non seulement un droit, mais également une responsabilité".
Pour des raisons personnelles, elle ne se représentera pas pour un deuxième mandat. De ses cinq années à la tête du Conseil de l’Europe, elle retient la pandémie de Covid "à laquelle personne n’était pas préparé", l’exclusion de la Russie, "le plus grand état du monde", ainsi que le "recul démocratique auquel l’Europe doit faire face".
Trois hommes sont en lice pour lui succéder : le Belge Didier Reynders, actuel Commissaire européen à la Justice, le Suisse Alain Berset, qui fut président de la Confédération suisse en 2018 et 2023, et l’Estonien Indrek Saar, ancien ministre de la Culture. Marija Pejcinovic Buric regrette à demi-mots qu’il n’y ait pas de femme : "Quand je me suis présentée il y a cinq ans, il y avait une égalité de sexe, nous étions deux femmes et deux hommes. Et j'étais très heureuse parce que le Conseil de l'Europe, qui essaie de pousser à l'égalité des genres, n'était pas le champion lui-même. Une seule femme, Catherine Lalumière, avait jusque-là dirigé le Conseil de l’Europe. [...] Ça devrait changer et le fait qu'on ait trois hommes maintenant n'y aide pas".
Elle souligne "l’importance" de la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique "un fléau universel encore au XXIᵉ siècle" et sur le fait que son successeur "doive aussi s’attaquer à ces questions", en faisant respecter la Convention d’Istanbul, "parce qu'il n'y a pas de meilleur standard dans le monde", conclut-elle.
Émission préparée par Isabelle Romero, Perrine Desplats et Sophie Samaille