Proclamé vainqueur de l'élection présidentielle par la Cour constitutionnelle avec le score en "béton" de 73,47 % des suffrages exprimés, Félix Tshisekedi, surnommé "Fatshi béton" par ses partisans, entame un second mandat samedi 20 janvier.
Selon l'agence congolaise de presse (ACP), une quarantaine de délégations, avec au moins 20 chefs d'État et de gouvernement, sont attendues à la cérémonie d'investiture qui doit se tenir au stade des Martyrs à Kinshasa. "La présidence congolaise se garde de rendre publique la liste des invités", indique également l'ACP.
Le Sud-Africain Cyril Ramaphosa, le Tchadien Mahamat Idriss Déby Itno, le président par intérim du Gabon Brice Oligui Nguema, le Sénégalais Macky Sall, le voisin congolais Denis Sassou-Nguesso ou encore le Togolais Faure Gnassingbé sont "quasiment certains" de faire le déplacement. Les 15 chefs d'État de la Communauté d'Afrique de l'Est devraient aussi faire le déplacement, à l'exception du Kenya et du Rwanda.
Une reconnaissance internationale inédite
Joseph Kabila, le prédécesseur de Félix Tshisekedi entre 2001 et 2019, a lui aussi été invité, mais a décliné l'invitation en raison de "la thèse de doctorat qu'il défendra bientôt" à l'université de Johannesburg, en Afrique du Sud, où il réside désormais. Son parti, le Front commun pour le Congo (FCC), avait refusé de prendre part aux élections du mois de décembre.
Toujours selon l'ACP, le président américain Joe Biden a désigné mardi une forte délégation pour assister à l'investiture. Si cette liste d'invités se confirme, Félix Tshisekedi connaîtra samedi une véritable reconnaissance à l'échelle internationale, une première pour un chef d'État congolais depuis la chute du maréchal Mobutu en 1997.
En effet, en janvier 2019, lors de sa première investiture, seul le président kényan Uhuru Kenyatta était présent. En 2011, lors de la réélection contestée de Joseph Kabila, la présence internationale s'était limitée à celle de Robert Mugabe, l'ex-président du Zimbabwe.
En ce qui concerne la France, selon le site Africa intelligence, c'est Jérémie Robert, le tout nouveau "Monsieur Afrique" d'Emmanuel Macron qui devrait faire le déplacement à Kinshasa.
L'opposition dénonce toujours "un simulacre d'élection"
De son côté, Moïse Katumbi (18,08 %), Martin Fayulu (5,33 %) et Floribert Anzuluni (moins de 1 %), trois candidats de l'opposition, ont appelé leurs partisans à manifester leur "mécontentement" samedi, jour de l'investiture, pour protester contre un scrutin entaché, selon eux, par des "fraudes massives" et qu'ils qualifient de "braquage électoral".
Dans un communiqué diffusé jeudi, les évêques de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), qui a déployé 45 000 observateurs lors des élections du 20 décembre, parlent eux d'une "catastrophe électorale" mais appellent le peuple "au dialogue, au calme, à la paix et à l'apaisement des esprits".
Ithiel Batumike, chercheur à l'Institut congolais de recherche Ebuteli sur la politique, la gouvernance et la violence, regrette lui aussi que les élections qui se sont tenues il y a un mois n'aient pas tenu toutes leurs promesses.
"Ces élections n'ont malheureusement pas permis au pays de consolider sa démocratie au regard des irrégularités, des cas de fraudes, y compris venant de la Ceni (la Commission électorale nationale indépendante, NDLR) elle-même. La légitimité du président de la République est aussi écornée par le faible taux de participation. Seulement 43 % des Congolais inscrits sur les listes électorales ont finalement pu voter, ça réduit largement sa légitimité (...) On aurait espéré que l'UDPS (l'Union pour la démocratie et le progrès social, le parti présidentiel NDLR), qui a longtemps milité dans l'opposition, contribue à l'organisation de meilleures élections qui garantissent la transparence".
Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l'université de Liège et spécialiste de la région des Grands lacs et des élections, est encore plus sévère. "Je ne vais pas y aller par quatre chemins. C'est un processus électoral qui n'est ni crédible, ni transparent, ni équitable (...) En fait, on ne peut pas vraiment dire qu'il y a eu des élections. On a plutôt l'impression que c'est un arrangement entre politiciens pour se distribuer les postes à pourvoir. C'est un fiasco total, général."
La situation sécuritaire dans l'Est, l'enjeu n°1 du second mandat
Si le chaos électoral qui a entouré la tenue du scrutin, entre le 20 et le 24 décembre 2023, a été observé sur tout le territoire congolais, les électeurs de plusieurs localités de l'est du Congo tenues par les rebelles du M23, un groupe armé soutenu par le Rwanda voisin selon l'ONU, n'ont tout simplement pas pu voter.
La violence des groupes armés qui ravage depuis des décennies les Kivu et l'Ituri ont fait de la situation sécuritaire dans l'est de pays l'urgence numéro 1 à laquelle le président congolais doit s'atteler. "Lors de son premier mandat, il a promis monts et merveilles, mais malheureusement toutes les mesures et stratégies militaires, politiques, diplomatiques qu'il a mises en œuvre, sont un échec total", explique Ithiel Batumike.
"L'état de siège (instauré en mai 2021 NDLR) n'a pas empêché la poursuite des massacres. Dans la province du Nord-Kivu, le M23 continue de progresser ou garde ses positions. Le pouvoir a échoué pendant le premier mandat (...) et le rapport de forces sur le terrain n'est pas à l'avantage du gouvernement."
"Pour ce second mandat, il est attendu sur la question sécuritaire à l'est du Congo en raison du nouveau front (l'Alliance Fleuve Congo, NDLR) qui vient de se former avec une large coalition de différents groupes armés du Nord-Kivu, mais aussi du Sud-Kivu, et de la Province Orientale plus au nord", poursuit Bob Kabamba. "Avec les déboires que les FARDC (Forces armées de la RDC, NDLR) connaissent sur le terrain militaire, il y a des doutes par rapport à la capacité même de Tshisekedi à pouvoir éradiquer la violence dans cette partie du Congo", précise-t-il.
Réparer l'économie, s'occuper du social
L'autre grand chantier du président n'est autre que la situation économique et sociale du pays, caractérisée par une inflation galopante, une immense pauvreté et un déficit d'infrastructures. Une thématique qui fut au centre de la campagne électorale.
Pour Colette Braeckman, autrice d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la RD Congo depuis les années 1990, le succès qu'a rencontré la campagne de Félix Tshisekedi tient au fait que le président réélu a affiché sa volonté de s'attaquer à certains graves problèmes sociaux du pays. "À Kinshasa, nombre d'électeurs nous ont déclaré qu'ils avaient été sensibles aux décisions 'sociales' prises par le président, à savoir la gratuité de l'enseignement primaire et de l'accouchement, des mesures encore mal appliquées mais qui ont frappé l'imagination", écrit la journaliste belge.
"C'est un énorme chantier", confirme Bob Kabamba. "Les Congolais, que ce soit à l'est, à l'ouest, au centre, au sud, disent tous la même chose : ils veulent avoir de meilleures conditions de vie, envoyer leurs enfants à l'école, les soigner, les vêtir et leur donner des conditions de vie acceptables."
"Le budget est passé de 4 milliards à 16 milliards de dollars" pendant le premier mandat de Félix Tshisekedi, rappelle Ithiel Batumike. "Mais le bas peuple ne ressent pas l'impact de cette augmentation sur son vécu quotidien et ça reste un grand défi. C'est évident que le pouvoir en place n'a pas assez œuvré à la redistribution du revenu national. On sent qu'il n'est pas toujours enclin à répondre favorablement aux demandes de réduction du train de vie des institutions, qui finalement continuent à consommer l'essentiel des ressources qui sont produites".
Le chercheur congolais précise que "face au dollar, la monnaie nationale, continue à se déprécier chaque jour et les prix des produits de première nécessité continuent d'augmenter". Il ajoute : "Malheureusement, l'agriculture n'a pas été l'une des priorités de ce mandat, nous continuons à importer de la nourriture".
Un second mandat sous surveillance ?
Transparence de la vie publique, lutte contre la corruption, lutte contre la violence armée dans l'Est et pouvoir d'achat, les défis qui attendent Félix Tshisekedi pour son second mandat sont immenses.
À la faveur du processus électoral qui vient de s'achever, le président réélu devra sans doute aussi prêter attention aux tensions communautaires qu'il a pu enflammer au cours de la campagne électorale.
Dans les colonnes du Soir, Colette Braeckman s'inquiète des effets d'"une campagne malsaine dénonçant la 'nationalité douteuse' de Moïse Katumbi et les appuis trop voyants dont aurait disposé le Dr Mukwege dans les pays occidentaux. Félix Tshisekedi a aussi eu recours à un discours souverainiste, il a injurié Paul Kagame (le traitant de 'nouvel Hitler'), renforcé l'armée et eu recours à des milices congolaises ou 'prêtées' par le Burundi. Cette posture nationaliste du chef de l'État lui a certainement valu des voix, mais elle risque d'aiguiser encore la rancune des pays de la région".
Bob Kabamba affirme lui aussi que "l'autre enjeu, c'est la cohésion nationale". La publication des résultats des élections législatives, provinciales et communales qui se sont tenues en même temps que la présidentielle "révèle qu'une communauté est vraiment surreprésentée par rapport à d'autres communautés (la communauté Luba à laquelle appartient le président Tshisekedi, NDLR)", précise-t-il. "Dans plusieurs provinces, on constate toute une série de dynamiques conflictuelles, communautaires qui débouchent sur de la violence. Ma crainte, c'est que cette violence s'accentue et rende le Congo difficilement gérable et contrôlable. Ça aussi, c'est un autre élément avec lequel il faut absolument tenir compte pour le prochain mandat."
Après avoir été adoubé par ses pairs africains et les envoyés de ses principaux partenaires économiques, Félix Tshisekedi devrait "retenir qu'un chef d'État élu n'est redevable qu'envers les électeurs qui lui ont fait confiance, plus qu'envers ses amis, qu'ils viennent de Bruxelles, du Kasaï (la région d'origine du président, NDLR), ou de partout ailleurs dans le monde" avertit Colette Braeckman, la journaliste belge.
Pour Bob Kabamba, le président congolais sera sous surveillance de la communauté internationale. "Les États-Unis et l'Union européenne ont stigmatisé le processus électoral mais ont pris acte. Il y a des lignes rouges par rapport à son second mandat. Il va devoir absolument s'atteler à la question de sa légitimité pour espérer asseoir son pouvoir".