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À la veille de l'élection présidentielle, Madagascar dans l'impasse
Une campagne électorale hors norme s'est achevée mardi dans un climat délétère à Madagascar. La quasi-totalité de l'opposition et des organisations de la société civile contestent un scrutin présidentiel verrouillé, selon elles, par le président sortant, Andry Rajoelina.

À Madagascar, les alternances sont rarement de longs fleuves tranquilles. Mais la campagne qui s'est achevée mardi 14 novembre, deux jours avant la tenue du scrutin présidentiel, relève du jamais-vu : accusations de "coup d'État institutionnel", répression de l'opposition, appels au boycott, polémique sur la double nationalité du président sortant... La grande île de l'Océan indien vit depuis plusieurs mois au rythme d'une crise pré-électorale aigüe et insoluble.

Dernière péripétie en date : le collectif d'opposition rassemblant dix candidats à la présidentielle, dont les deux anciens présidents, Marc Ravalomanana et Hery Rajaonarimampianina, a appelé mardi les Malgaches à ne pas se rendre aux urnes pour le premier tour du scrutin prévu jeudi. 

"Nous refusons l'élection de jeudi et nous appelons tous les Malgaches à considérer que cette élection n'existe pas", a déclaré au nom du collectif le candidat et opposant Hajo Andrianainarivelo, 56 ans, lors d'une conférence de presse dans la capitale Antananarivo.

"Le processus électoral s'est révélé inéquitable puisque les candidats n'ont pas eu les mêmes conditions d'expression, de meeting et de moyens pour se réunir et s'exprimer pendant la période préélectorale puis électorale", affirme la politologue et chercheuse invitée au Cevipof (Sciences Po), Christiane Rafidinarivo, selon qui la défiance de l'opposition repose également sur les nombreuses irrégularités constatées sur les listes électorales.

Les accusations de clientélisme ont aussi marqué cette campagne sous haute tension. Début novembre, l’antenne malgache de Transparency international avait mis au jour un système de corruption électorale mise en place par le parti présidentiel. Selon l'ONG, le camp d'Andry Rajoelina s'était servi des listes électorales pour organiser une distribution de nourriture et de diverses denrées.

"On a une illustration parfaite de l’utilisation des structures étatiques à des fins de campagne électorale, ce qui est formellement interdit par la loi", avait souligné Ketakandriana Rafitoson, la directrice exécutive de l’antenne malgache de Transparency International, auprès de RFI.

Coup d'État institutionnel

Depuis plusieurs semaines, la pression s'accentue sur le gouvernement malgache pour décaler la date d'un scrutin déjà reporté d'une semaine le mois dernier à la suite de la blessure d'un candidat lors d'une manifestation. 

Depuis le début du mois d'octobre, les manifestations et marches pacifiques à l'appel du collectif d'opposants se sont multipliées, malgré la répression des forces de l'ordre. "Un usage disproportionné de la force", s'est inquiété l'ONU au mois d'octobre, de même que plusieurs gouvernements et organisations, dont l'Union européenne et les États-Unis.  

Ces tensions sont encore montées d'un cran le 11 novembre aux abords de l’emblématique place du 13 Mai dans la capitale Antananarivo, lorsque des manifestants ont riposté aux jets de gaz lacrymogène par des engins explosifs artisanaux.  

À ce climat de tensions sur le terrain s'ajoute une féroce bataille juridique entre le camp d'Andry Rajoelina et l'opposition. Conformément à la constitution malgache, le chef de l’État a quitté ses fonctions deux mois avant le premier tour de la présidentielle. Pendant ce laps de temps, le président du Sénat devait assurer l'intérim. Coup de théâtre le 8 septembre dernier : Herimanana Razafimahefa renonce à cette fonction dans une lettre transmise à la Haute Cour constitutionnelle (HCC), invoquant des "raisons personnelles".

Dans cette configuration inédite, l'intérim est revenu au Premier ministre Christian Ntsay, un proche de Rajoelina, alimentant les accusations de "coup d'État institutionnel". D'autant qu'un mois plus tard, le président du Sénat a souhaité revenir sur sa décision, affirmant avoir reçu des menaces de mort de la part du pouvoir en place. Il sera finalement destitué quelques jours plus tard par ses pairs en raison de "sa déficience mentale". 

Mais cet épisode ubuesque n'est pas le seul à avoir mis le feu aux poudres. En juin, plusieurs médias ont révélé que le président sortant avait discrètement acquis la nationalité française en 2014. Selon l'opposition, qui invoque le Code de la nationalité, Andry Rajoelina a de ce fait perdu sa nationalité malgache : il ne peut donc plus, selon elle, être éligible à un second mandat. La justice a toutefois rejeté en bloc les recours réclamant que sa candidature soit invalidée. 

De son côté, le président sortant minimise, évoquant "un bout de papier" acquis uniquement pour faciliter la poursuite des études de ses enfants dans l'Hexagone. Mais cette révélation a été vécue comme une trahison par bon nombre de Malgaches et a affaibli Andry Rajoelina et ses discours aux accents souverainistes lors de la campagne, notamment sur la question des îles éparses administrées par la France, l'ancienne puissance coloniale, mais revendiquées par Madagascar.

"L'argument qui revient souvent est de dire qu'une personne naturalisée a prêté serment. Le questionnement est simple : que se passera-t-il en cas de conflit d'intérêts ? Au fond, cela pose la question de la souveraineté" de Madagascar, estime Christiane Rafidinarivo.

Tentative de médiation

Face à cette crise politique, plusieurs personnalités du parti présidentiel ont tenté de prôner le dialogue et l'apaisement avec l'opposition. "Les germes d’un conflit pour une guerre fratricide sont visibles et ne cessent de s’amplifier", avait mis en garde le 17 octobre la présidente de l’Assemblée nationale devant les députés.

Soutenue par le Conseil œcuménique des Églises chrétiennes (FFKM), Christine Razanamahasoa tente depuis de renouer les fils du dialogue et plaide pour un report du scrutin. Une prise de position qui lui a attiré les foudres de son camp et lui a valu d'être exclue de sa formation politique.

Le 13 novembre, la présidente de l'Assemblée nationale a également demandé à la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) de jouer les médiateurs dans la crise politique en cours. 

De son côté, Andry Rajoelina refuse tout compromis et martèle que l'élection aura bien lieu le 16 novembre. "L'opposition essaye de manoeuvrer pour aller vers une transition [...]. On n'a plus besoin de crise politique à Madagascar, nous avons besoin de paix et de stabilité", a fait valoir le président sortant lors d'un entretien accordé en octobre à France 24. 

Mais aujourd'hui, personne ne sait quelles pourraient être les conséquences de ce passage en force. "La population n’acceptera certainement pas de reconnaître le vainqueur d’un scrutin massivement fraudé", estime l’écrivaine Michèle Rakotoson dans une tribune parue dans le journal le Monde.

"Les gens se sont longtemps résignés à un état de non droit" à Madagascar, analyse la politologue Christiane Rafidinarivo. "Mais là, ils ont découvert qu'on peut collectivement affirmer que son vote n'est pas à vendre. Cela donne de la force à la mobilisation."

Si la suite du mouvement de contestation est impossible à prédire, les analystes s'accordent à dire que l'abstention devrait atteindre des sommets dans un pays où les préoccupations du quotidien l'emportent le plus souvent sur le devoir électoral : selon la Banque mondiale, Madagascar affiche l'un des taux de pauvreté les plus élevés de la planète, atteignant 75 % en 2022.

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