
La première élection présidentielle de l'année 2024 se déroule à Taïwan. Les 19 millions d'électeurs – sur 23,5 millions d'habitants – de cette île de l'Indo-Pacifique sont appelés aux urnes samedi 13 janvier pour élire leur nouveau président et leurs 113 députés pour les quatre prochaines années.
Après huit ans au pouvoir, la présidente sortante Tsai Ing-wen – qui ne peut se représenter au terme de deux mandats – espère passer la main à son dauphin Lai Ching-te, vice-président du Parti démocrate progressiste (PDP). Si ce dernier apparaît comme favori de l'élection, l'issue reste cependant incertaine. D'autant plus si on se fie à l'Histoire : jamais, jusqu'ici, un parti n'a réussi à remporter trois élections présidentielles de suite.
Au total, trois candidats s'affrontent lors de ce scrutin à un tour. Face à Lai Ching-te se trouvent Hou Yu-ih du Kuomintang (droite nationaliste) et Ko Wen-je, du Parti populaire taïwanais (populiste), présenté comme un outsider. Ces dernières semaines, plusieurs sujets ont pu rythmer la campagne pour les départager : le coût de la vie, le droit au logement ou encore les écarts de richesse. Mais c'est la question des relations avec Pékin qui s'est rapidement imposée comme le thème central des débats.
Les tensions avec Pékin se sont en effet accrues sous la gouvernance de Tsai Ing-wen, le président Xi Jinping affichant régulièrement, de façon offensive, son souhait de réunifier la Chine avec Taïwan – qu'il considère comme son territoire, même si la Chine populaire n'a jamais contrôlé la République de Chine (nom officiel de Taïwan). Cette position s'est encore renforcée à l'approche des élections : alors que les exercices militaires chinois autour de l'île sont devenus quotidiens, le ministère taïwanais de la Défense a dénoncé la présence d’une vingtaine de ballons espions chinois dans son ciel en un mois. De quoi rappeler que ce vote sera crucial pour l'avenir de l'île.

Le dauphin de Tsai Ing-wen

Le candidat du parti au pouvoir, Lai Ching-tei, crédité d'environ 38 % des voix selon les derniers sondages, est le plus ferme vis-à-vis de Pékin. Ce docteur de 64 ans, fils d'un mineur de charbon, diplômé de l'université de Harvard, aux États-Unis, s'est lancé en politique en 1998. Élu en 2010 maire de Tainan, ville du sud de Taïwan, il a rejoint le gouvernement de Tsai Ing-wen en 2017. Il est désormais vice-président du PDP.
Celui qui se présente toujours sous son nom britannique, William Lai, se définit comme "un ouvrier pragmatique de l'indépendance de Taïwan", un défenseur de sa souveraineté et de son identité multiple.
Sa posture de favori provoque ainsi la colère de Pékin, qui le décrit comme un "fauteur de troubles" et un "séparatiste". "S'il arrive au pouvoir, il continuera à promouvoir les activités séparatistes liées à l'indépendance de Taïwan", ce qui est une "voie néfaste", a estimé jeudi 11 janvier un porte-parole du bureau chinois responsable des relations avec l'île, Chen Binhua, appelant les habitants de Taïwan à faire "le bon choix".
Fidèle à la posture plutôt prudente et modérée vis-à-vis de la Chine qu'a affichée la présidente sortante Tsai Ing-wen, le candidat du PDP s'est pourtant montré en faveur d'un statu quo avec Pékin. S’il apparaît comme le parti plus "indépendantiste", le PDP n’a en effet jamais franchi la ligne d’une déclaration d’indépendance formelle de Taïwan. Il a cependant toujours rejeté en bloc le principe d'"une seule Chine" théorisé en 1992 entre le Kuomintang – qui gouvernait Taïwan à l'époque – et le Parti communiste chinois, selon lequel les deux côtés du détroit de Taïwan reconnaissent qu'il y a "une seule Chine".
Tout en s'engageant à renforcer la défense militaire de l'île, William Lai a ainsi assuré laisser la porte ouverte à des échanges et à une coopération avec la Chine. "Tant qu'il y aura égalité et dignité des deux côtés du détroit de Taïwan, la porte de Taïwan sera toujours ouverte", a-t-il affirmé lors d'un débat.
"Si Lai gagne, il poursuivra l'approche chinoise de Tsai : 'Tout dialogue avec Pékin doit se faire dans le respect mutuel et sur un pied d'égalité'", résume Chang Chun-hao, professeur de sciences politiques à l'université Tunghai, à Taïwan. "Pour eux, l'essentiel reste la souveraineté de Taïwan et de rejeter ce consensus de 1992", ajoute-t-il.
Le pékinophile

Lai Ching-tei affronte Hou Yu-ih, 66 ans, ex-policier et maire de la ville de New Taipei, située en périphérie de Taipei. Crédité d'environ 36 % des voix, il est le candidat du principal parti d'opposition, le Kuomintang (KMT).
Ce parti, fondé en Chine continentale en 1912 et installé à Taïwan depuis 1949, est historiquement celui qui est le plus proche de Pékin, et il a longtemps soutenu l'idée d'une unification avec la Chine. Sa position officielle a cependant évolué ces dernières années lorsque le sentiment national taïwanais s'est affirmé au sein d'une partie de la population.
Lors de la campagne pour l'élection présidentielle, Hou Yu-ih a ainsi affirmé s'opposer à l'indépendance de l'île, mais aussi au scénario d'"un pays, deux systèmes" – le modèle mis en place par Pékin pour gouverner Hong Kong. Il s'est en revanche présenté comme un fervent défenseur du statu quo et le "candidat de la paix entre les deux rives du détroit".
La question de la "réunification" ne sera pas au programme s'il est élu, a-t-il promis. "Quoi qu'en pense la Chine, ce que l'opinion publique à Taïwan veut que nous fassions, c'est maintenir le statu quo", a-t-il assuré.
"Contrairement à William Lai et au PDP, qui considèrent ouvertement la Chine comme une menace pour Taïwan, Hou Yu-ih et le KMT acceptent la théorie d'une seule Chine", estime Chen Fang-yu, professeur adjoint de sciences politiques à l'université Soochow, à Taïwan. "Ses membres évitent simplement de dire ce qu'est, selon eux, la vraie Chine."
L'outsider

Le troisième homme en lice est l'ancien maire de Taipei, Ko Wen-je, 64 ans. Candidat du Parti populaire taïwanais, qu'il a lui-même fondé, il est perçu comme un "outsider" venu briser le duel traditionnel entre le PDP et le KMT. Initialement, Ko Wen-je et Hou Yu-ih voulaient réunir leurs voix pour peser davantage contre le parti au pouvoir. Faute d'accord, ils ont finalement enregistré des candidatures séparées.
Ko Wen-je a surtout fait campagne en direction des jeunes, se focalisant sur des problématiques internes comme les prix de l'immobilier ou les bas salaires. Un discours qui lui a permis de convaincre sa cible mais, crédité de 24 % des voix, il reste loin de ses deux concurrents.
Sur la question des relations avec la Chine, il reste cependant "très ambigu", analyse Chang Chun-hao. "S'il critique la volonté du KMT de resserrer les liens avec Pékin, il serait probablement lui-même favorable à plus de dialogue et de coopération [avec la Chine]", prévoit le spécialiste.
"Taïwan et la Chine coopéreront s'ils peuvent coopérer, rivaliseront s'il y a un besoin de rivaliser, et s'affronteront s'ils doivent s'affronter", a-t-il expédié lors d'un débat, citant le secrétaire d'État américain Antony Blinken. "Les gens des deux côtés du détroit de Taïwan sont de la même race et ont la même histoire, la même langue, la même religion et la même culture", a-t-il rappelé, se disant toutefois favorable à "maintenir (le) système politique et (le) mode de vie démocratique et libre" de Taïwan.
Lorsque les électeurs se rendront aux urnes samedi, le poids du voisin chinois pèsera ainsi clairement dans la balance. La dernière élection, en 2020, était survenue juste après la vague de manifestations à Hong Kong contre l’ingérence chinoise. La répression du mouvement avait certainement joué en la faveur de Tsai Ing-wen. Cette fois, le parti de la présidente sortante est talonné par l'opposition, qui, selon plusieurs accusations, bénéficierait d'un soutien actif du pouvoir chinois.
Cet article a été adapté de l'anglais par Cyrielle Cabot. L'original est à retrouver ici.