Avant la nouvelle guerre entre Israël et le Hamas, les habitantes de la bande de Gaza pouvaient, durant leur grossesse, passer des examens de santé, recevoir des conseils en matière de nutrition et préparer leur logement à l'arrivée de leur nourrisson. Aujourd'hui, des milliers de femmes enceintes vivent dans des abris où il n'y a pas assez de nourriture ou d'eau potable et redoutent la perspective d'accoucher à même le sol, sans l'aide d'un médecin ou d'une sage-femme.
Shorouq est enceinte de sept mois de son premier enfant. Elle vit dans un abri à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. "Comment pourrais-je accoucher ici ? demande-t-elle. Il n'y a pas d'accès aux soins de santé et pas d'hygiène. Accoucher dans cet abri serait catastrophique pour moi".
Elle fait partie des 50 000 femmes enceintes vivant dans la bande de Gaza, où plus de 150 naissances ont lieu chaque jour, selon le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap).
Depuis les attaques terroristes du Hamas qui ont fait 1 400 morts, le 7 octobre en Israël, l’État hébreu mène une campagne de bombardements massifs sur la bande de Gaza et a lancé une opération terrestre centrée sur le nord du territoire palestinien. Les Nations unies estiment que plus d'un million de personnes ont été déplacées à l'intérieur de la bande côtière.
Mais même avant le 7 octobre, le système de santé gazaoui était confronté à des "défis importants en raison du blocus qui dure depuis 16 ans", déclare Dominic Allen du Fnuap. Israël a restreint l'entrée de marchandises et de carburant dans l'enclave depuis que le Hamas en a pris le contrôle par la force en 2007, après avoir remporté les élections législatives un an plus tôt.
"Aujourd'hui, le système de santé est au bord de l'effondrement et, dans certains établissements, il s'est déjà effondré", poursuit Dominic Allen. "Les femmes enceintes n'ont pas accès aux services de santé maternelle de base. Elles sont confrontées à des défis inimaginables."
"J'ai tellement peur pour mon enfant à naître"
Shorouq, interprète titulaire d'une maîtrise en traduction anglais-arabe, n'a pas vu de médecin depuis qu'elle a fui le nord de Gaza, il y a un mois.
Les frappes aériennes israéliennes ont détruit deux bâtiments près de sa maison, si bien qu'elle pense qu'elle a été au moins partiellement détruite. Elle ne peut pas retourner chez elle pour voir si les vêtements et les jouets qu'elle a choisis pour sa fille à naître sont intacts. "Je les ai achetés un par un et j'ai été très sélective dans le choix de ses affaires", confie-t-elle.
Elle n'a emporté qu'un seul jouet dans sa fuite avec son époux : un jouet qu'elle a fabriqué elle-même. "Je l'ai fait pour ma princesse", explique-t-elle.
Shorouq et son mari avaient prévu de tenter leur chance pour voir l'un des rares médecins ou de l'une des sages-femmes du centre de santé situé à proximité de leur abri. Mais alors qu'ils s'y rendaient, une voiture a été visée par un bombardement sous leurs yeux. "Nous étions si près, c’était terrifiant. On a commencé à courir vers notre abri, abandonnant notre projet de visite au centre de santé."
Les bombardements sont traumatisants pour Shorouq. "Si je n'étais pas enceinte, je pourrais peut-être y faire face. Mais j'ai tellement peur pour mon enfant à naître", dit-elle.
Leur refuge à Khan Younis n'est pas un abri anti-aérien et n'a pas été conçu pour accueillir les 50 000 personnes déplacées qui s'y trouvent actuellement. Il s'agit d'un collège géré par l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA).
Quatre-vingt-huit écoles de l'UNRWA ont été transformées en abris temporaires. "Ces abris sont une bouée de sauvetage, mais ils sont soumis à de fortes pressions", souligne Dominic Allen.
Partager des toilettes avec des milliers de personnes
Sans compter le risque de contracter des maladies respiratoires ou liées au manque d'eau potable.
"Vous devez faire une longue queue pour aller aux toilettes, et pendant que vous faites la queue, vous vous mettez à penser que vous êtes exposé à de nombreuses maladies dont peuvent être porteurs les milliers d'autres personnes avec lesquelles vous partagez les toilettes. Et on ne trouve presque jamais de savon", déplore Shorouq.
"C'est stressant pour moi de penser que je pourrais être infectée par l'une de ces maladies et que cela pourrait affecter mon bébé. Depuis que je suis ici, j'ai commencé à avoir des vertiges, je tousse beaucoup et j'ai mal au dos parce que je dors par terre", ajoute-t-elle.
"Beaucoup de gens, surtout des enfants, souffrent d'infections, notamment de plaies cutanées et de maladies d'origine hydrique comme la diarrhée", explique le docteur Bachar Murad, directeur de l'hôpital Al-Quds, dans la ville de Gaza. "Ils vivent dans des abris où l'hygiène laisse à désirer et où les gens sont très proches les uns des autres, ce qui favorise la propagation des maladies".
La diarrhée, qui crée notamment une forte déshydratation, peut être mortelle. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) indique qu'il s'agit de la deuxième cause de décès chez les enfants de moins de 5 ans dans le monde.
Deux morceaux de pain par jour
Selon Dominic Allen, la norme humanitaire en matière de consommation d'eau est de trois litres par jour et par personne, au minimum. "Les femmes enceintes ont besoin d'au moins un tiers de litre en plus, et les femmes qui allaitent ont besoin d'au moins deux tiers en plus, précise-t-il. Une femme qui a accouché il y a sept mois nous a dit que son lait s'était tari parce qu'elle ne buvait pas assez d'eau, et aussi à cause du stress et de la tension engendrés par les déplacements d'un abri à l'autre".
Hiba Tibi, de l’ONG Care International, explique que certaines femmes qui ne peuvent pas allaiter "sont obligées d'utiliser de l'eau contaminée pour le lait maternisé car elles n'ont pas accès à de l'eau propre". Alors qu'un nombre limité de camions d'aide sont autorisés à entrer dans la bande de Gaza par le point de passage de Rafah, Israël interdit le passage de carburant, de peur que le Hamas ne s'en empare. Or le carburant est nécessaire au fonctionnement des systèmes de dessalement de l'eau et des pompes.
Shorouq a soif et faim en permanence. "Quand j'ai de la chance, je reçois une petite bouteille d'eau par jour et deux morceaux de pain, avec du fromage fondu et parfois du thym séché", dit-elle.
Il n'y a pas de source de protéines, de légumes frais ou de fruits dans le refuge. "La plupart d'entre nous commencent à souffrir de malnutrition", prévient Shorouq.
"Il n'y a aucun endroit sûr à Gaza pour le moment"
"Il y a aussi la question de la sécurité : où va-t-elle accoucher et comment ? confie Dominic Allen. Il n'y a aucun endroit sûr à Gaza pour le moment".
Shorouq ne sait pas où elle donnera naissance à son premier enfant. En raison des coupures de communication régulières et de la couverture réseau globalement inégale à Gaza, les femmes qui accouchent ne peuvent compter sur la possibilité d'appeler une ambulance, un médecin ou une sage-femme. "Il est également dangereux de se déplacer en raison des bombardements", explique le Dr Bachar Murad.
Si toutefois elles parviennent à se rendre dans un l'hôpital, les mères risquent de sortir quelques heures seulement après la naissance de leur enfant. "Il n'y a pas de suivi régulier après l'accouchement", explique Hiba Tibi. "Si le bébé est dans un état très critique, elles peuvent peut-être obtenir l'une des très rares places dans les hôpitaux.
Mais même à l'intérieur des hôpitaux, les femmes et les nouveau-nés risquent d'attraper des infections. Débordés par le nombre de victimes des frappes israéliennes et à court d'équipements médicaux, "les hôpitaux réutilisent désormais du matériel jetable qui ne devrait servir qu'une seule fois", assure Hiba Tibi. En raison du manque d'électricité et de carburant nécessaire pour alimenter les pompes et les désinfectants, il y a un manque d'eau".
Une fois sorties de l'hôpital, les mères et leurs nouveau-nés ne rentreront pas chez eux, mais retourneront dans les abris surpeuplés et insalubres. "Nous prions chaque jour pour pouvoir rentrer chez nous et mener une vie normale", soupire Shorouq.
Cet article a été adapté de l'anglais. L'original est à retrouver ici.