Qu’est-ce que le poste-frontière de Rafah ?
Situé le long de la frontière de 12 km entre l’Égypte et la bande de Gaza, le poste-frontière de Rafah est souvent considéré comme un cordon ombilical pour les habitants de l’enclave palestinienne. Il leur permet de maintenir un lien vital avec le monde extérieur et un accès à des ressources essentielles.
Ce poste-frontière au sud de la bande de Gaza – l’autre, celui d’Erez, se situant au nord à la frontière avec Israël – est l'un des deux principaux points de passage pour les Gazaouis. Il est contrôlé par l’Égypte, mais Israël surveille toutes les activités dans le sud de l’enclave palestinienne notamment depuis sa base militaire de Kerem Shalom à la jonction entre Gaza, Israël et l'Égypte.
"En théorie, Rafah devrait être sous le contrôle des autorités palestiniennes et égyptiennes, mais Israël a toujours de l'influence sur ce point de passage", explique Lorenzo Navone, sociologue spécialiste des frontières et des conflits à l’université de Strasbourg.
Les personnes, les biens et l'aide humanitaire passent tous par la frontière de Rafah. Mais cette dernière n’a été ouverte que par intermittence aux Palestiniens depuis 2007 en raison du blocus imposé par Israël à la bande de Gaza.
"Elle ne fonctionne pas comme une frontière normale. Elle est sélective, elle peut être activée ou désactivée", poursuit Lorenzo Navone. "Il ne s'agit pas d'une frontière invisible comme celles que l'on trouve dans l'espace Schengen ou entre les États aux États-Unis. Vous ne pouvez pas traverser librement avec votre voiture. Elle n'est pas ouverte 24 heures sur 24, sept jours sur sept".
La frontière de Rafah a été ouverte pendant 245 jours en 2022, selon les Nations unies, et pendant 138 jours jusqu’à présent cette année.
Pourquoi est-il si important ?
De nombreux habitants de Gaza dépendent du poste-frontière de Rafah pour survivre. Les mouvements d'entrée et de sortie ont été considérablement restreints depuis le blocus – terrestre, maritime et aérien – et l’embargo imposés à la bande de Gaza par Israël en 2007. Depuis, les conditions de vie dans l'enclave palestinienne se sont gravement détériorées.
En temps de paix, le trafic commercial et la circulation des personnes – de Gaza vers l’Égypte, et vice-versa – animent la frontière de Rafah. Ce point de passage permet aux Gazaouis d’avoir accès aux produits de première nécessité et à d’autres biens : carburant, gaz de cuisine, médicaments, matériaux de construction.
C’est aussi le seul endroit par lequel peuvent se retrouver des familles séparées. "Beaucoup de familles transnationales veulent voir des personnes de part et d'autre de la frontière", précise Lorenzo Navone.
Mais il n’est pas facile d’entrer dans Gaza : il faut un permis délivré par le gouvernement égyptien ou le gouvernement israélien. Ceux souhaitant quitter l’enclave doivent, quant à eux, s'inscrire auprès des autorités palestiniennes locales (Hamas) plusieurs semaines à l'avance. En payant un supplément, ils peuvent essayer de passer par les autorités égyptiennes.
Quoi qu’il en soit, "les procédures et les décisions des deux autorités manquent de transparence", selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies. D’autant que c’est un "processus impossible et long", comme l’explique Lorenzo Navone : "Les gens restent assis là, à attendre. Cela peut durer un mois, voire deux, pour entrer dans la bande de Gaza. Puis ils attendent à nouveau pour repasser en Égypte."
Comment le poste-frontière a-t-il changé au fil des années ?
L’expert qualifie de "mobile" la frontière entre l’Égypte et Gaza, notamment déplacée lors de la première guerre israélo-arabe en 1948, de la guerre d'usure en 1970 ou encore de la guerre du Kippour en 1973. Cela a aussi été le cas lors la guerre des Six-Jours en 1967 : Israël a alors occupé la péninsule du Sinaï – avant de s’en retirer en 1982 – et la bande de Gaza, "ce qui signifie que la frontière avec l'Égypte se trouvait en fait sur le canal de Suez", explique Lorenzo Navone.
Auparavant, ce que l'on appelle aujourd'hui la bande de Gaza était sous l'autorité de l'Égypte. "La frontière existait, mais elle était plus ou moins ouverte – c'était l'Égypte", précise Lorenzo Navone.
Et il ajoute : "Toutes les questions relatives à la frontière sont apparues après les accords d'Oslo en 1993". Ces accords ont été salués à l'époque comme une avancée, ouvrant la voie à la création de l'Autorité palestinienne et permettant aux Palestiniens de disposer de zones d'autonomie transitoire en Cisjordanie et à Gaza. "Mais la bande de Gaza était toujours occupée par les colons israéliens. Pour des raisons de sécurité, la circulation entre l'Égypte et Gaza n'était donc pas facilitée", reprend l’expert.
Israël s’est retiré de Gaza en 2005. Un an plus tard, le Hamas a remporté les élections législatives dans les Territoires palestiniens et en a finalement pris le contrôle en 2007. "Depuis, la bande de Gaza est de plus en plus isolée du monde", précise Lorenzo Navone. L'Égypte et Israël ont tous deux largement fermé leurs points de passage avec Gaza au motif qu'aucune autorité n'assurait la sécurité du côté palestinien, en raison de la présence du Hamas sur le terrain.
Ces restrictions et le blocus ont poussé la création d'un système de tunnels entre Gaza et l'Égypte permettant aux marchandises et aux personnes de franchir illégalement la frontière – même si l'existence de tunnels a été documentée par Israël dès 1983.
Puis, lorsqu'une insurrection islamiste s'est emparée du Sinaï en Égypte en 2011, les autorités du pays ont imposé des contrôles stricts sur les personnes autorisées à se rendre dans les villes proches du poste-frontière de Rafah. Pour Lorenzo Navone, "tout le nord du Sinaï a été fermé pour des raisons de sécurité depuis la révolution égyptienne de 2011. C'est une vaste zone frontalière."
Que ce soit du côté égyptien ou palestinien, Rafah a toujours été une plaque tournante de la contrebande grâce aux tunnels construits sous le point de passage. Pour détruire ce système souterrain, l'Égypte a délibérément inondé la zone frontalière en 2015.
Au cours des dix dernières années, le point de passage de Rafah a été plus souvent fermé qu’ouvert.
Que s'est-il passé à Rafah depuis le 7 octobre ?
Jusqu’à l’attaque du Hamas du 7 octobre, l'aide entrait par le point de passage de Kerem Shalom – contrôlé par Israël. L'État hébreu a depuis renforcé les restrictions existantes, faisant de Rafah le seul point d'entrée de l'aide humanitaire.
Au cours des premiers jours de la guerre, l'Égypte a déclaré que le poste-frontière était ouvert mais pratiquement inopérant en raison des bombardements – l’armée israélienne a effectué trois frappes aériennes sur Rafah en 24 heures, le 10 octobre. La frontière et ses environs ont été dévastés. Les routes étant devenues impraticables, les camions chargés d'aide humanitaire sont restés bloqués côté égyptien.
Le premier convoi a finalement pu entrer dans l’enclave palestinienne le 21 octobre.
Avant la guerre Israël-Gaza, près de 500 camions entraient chaque jour dans la bande de Gaza par le poste-frontière de Rafah, selon les Nations unies. Quelque 374 camions au total – soit environ 31 par jour – ont pu accéder à l’enclave palestinienne depuis le 21 octobre. Une "goutte d'eau dans l'océan", selon le Dr Michael Rayan, chef des programmes d'urgence de l'OMS.
L'importation de carburant, nécessaire pour faire fonctionner les infrastructures vitales et les usines de production d'eau, est toujours interdite par les autorités israéliennes. Mais Rafah était principalement utilisé comme point de passage pour les civils avant le 7 octobre, ce qui signifie que son utilisation pour des opérations de secours à grande échelle est une "entreprise vraiment énorme", ont déclaré des responsables de l'aide humanitaire à Reuters.
Des évacuations limitées ont été autorisées par le poste-frontière de Rafah grâce à un accord négocié par le Qatar – et accepté par l'Égypte, Israël et le Hamas, en coordination avec les États-Unis.
Au moins 600 détenteurs de passeports étrangers et personnels d'ONG ont pu quitter la bande de Gaza depuis le 1er novembre. D'autres devraient le faire dans les semaines à venir. L'Égypte a également accepté de laisser passer une centaine de personnes gravement blessées, ainsi que les membres de leur famille.
"Mais la situation est très incertaine pour les Palestiniens de Gaza", déclare Lorenzo Navone. Les politiciens, les experts et les groupes humanitaires ont tiré la sonnette d'alarme lorsqu'ils ont entendu parler des plans israéliens visant à déplacer la population de Gaza vers la région égyptienne du Sinaï.
Quelque 1,7 million de Palestiniens de Gaza sont considérés comme des réfugiés par les Nations unies. L’expert conclut : "Ils seraient réfugiés pour la deuxième fois. Et même s'ils pouvaient retourner à Gaza, où retourneraient-ils ?"
Cet article est une adaptation d'un article en anglais disponible ici.