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Depardieu, "monstre sacré" ou ogre ?
Publié le : 05/01/2024 - 16:12

Un "génie", le dernier "monstre sacré" du cinéma français… Les adjectifs dithyrambiques pour qualifier Gérard Depardieu ne manquent pas. Mais aujourd’hui, l’acteur est dans la tourmente, accusé au moins par seize femmes de viol, agression ou harcèlement sexuel. De son côté, l’interprète césarisé de Cyrano de Bergerac affirme être innocent et assure que les relations qu'il a eues étaient toutes consenties.

Dans le milieu du cinéma, Gérard Depardieu est connu pour son humour potache, voire un peu déplacé, mais bon, "C’est Gérard...", l’excuse-t-on souvent. Mais en 2020, l’acteur français a été mis en examen pour viol et agression sexuelle. La plainte initiale, déposée par la jeune actrice Charlotte Arnould, a libéré la parole et plusieurs femmes, qui ont depuis témoigné elles aussi dans ce sens.

En France, la diffusion, dans l’émission Complément d’enquête, d’images tournées en Corée du Nord, montre un Gérard Depardieu qui sexualise toutes les femmes, et même une fillette de 10 ans. Par le passé, l'acteur s’est aussi vanté dans la presse, auprès du magazine américain "Time Magazine " ou dans les pages de l’édition française de "Lui ", en 1978, évoquant sa jeunesse : "On a violé beaucoup de filles"...

Vantardise, expression exagérée ou reflet de la réalité ? Pour notre invitée, la sociologue et spécialiste du viol Véronique Le Goaziou, ces déclarations datent d’une époque fort différente, révolue… et les blagues sexistes et misogynes de Depardieu en Corée du Nord sont, à tout le moins, la preuve qu’il n’a pas su évoluer avec la reste de la société, qu’il n’a pas compris que certaines choses ne se disent ou ne se font plus et que la permissivité aveugle de la libération sexuelle est loin derrière nous. 

Alors que l’affaire est toujours en cours d’investigation par la justice, de nombreux proches de l’acteur ne veulent pas croire les accusations. Plusieurs dizaines ont d’ailleurs signé une tribune de soutien dénonçant un "lynchage ", appelant à ne pas "effacer " Depardieu, affirmant qu’en visant l’acteur "c’est l’art qu’on attaque " et critiqué avec virulence ce qu’ils ou elles qualifient de "tribunal médiatique ".

Même si depuis, plusieurs signataires ont rétropédalé et qu’une contre-tribune a réuni en 48 heures les signatures de plus de 8 000 artistes, Gérard Depardieu a trouvé un soutien de poids en la personne du président Emmanuel Macron, qui a lui-même évoqué une "chasse à l’homme " contre un acteur "qui rend la France fière " et à laquelle il n’a pas l’intention de retirer sa Légion d’honneur. Pour beaucoup en tout cas, il ne faut pas condamner Gérard Depardieu avant que la justice l’ait fait. 

Pourtant, les chiffres dans ce domaine révèlent la marge de manœuvre limitée de l’institution, pour ne pas dire son impuissance. En 2018, un rapport du ministère de l’Intérieur faisait état de 114 000 viols par an en France, dont 82% perpétrés sur des femmes. Parmi ces dizaines de milliers de viols, seuls 30% environ font l’objet d’une plainte. Les statistiques déclinent encore après : 70% des affaires sont classées sans suite, par manque d’éléments permettant de trancher. En fin de course, on estime qu’environ 1% des violeurs feront l’objet d’une condamnation.

La justice ne peut donc pas tout et ses modus operandi, les règles qui la régissent, ne permettent pas de faire beaucoup mieux… et l’absence de condamnation n’est donc pas synonyme d’innocence.

S’interdire de parler de ces affaires dans les médias avant une condamnation par la justice n’a donc pas de sens. Mais parmi ceux qui traitent d’accusations portées contre des personnalités publiques, de strictes règles encadrent leur pratique – pour éviter, notamment, tout risque de poursuite en diffamation. Médiapart, par exemple, a beaucoup travaillé sur les affaires PPDA, Nicolas Hulot, les accusations d’agression sexuelles portées par Adèle Haenel à l’encontre du réalisateur Christophe Ruggia ou encore les plaintes pour violences conjugales concernant l’animateur-star de M6, Stéphane Plaza. Mais dans tous ces dossiers, le site s’astreint à une sévère discipline déontologique. Pour la co-directrice éditoriale Valentine Oberti, celles et ceux qui tirent à boulet rouge sur la presse en l’accusant de prise de parti se trompent. Les dossiers qui sont publiés font l’objet d’enquêtes journalistiques poussées, nourries par des témoignages que reçoit Médiapart et qui sont eux-mêmes étudiés attentivement – et abandonnés si les plaignant·es renoncent finalement. Surtout, insiste-t-elle, les parties mises en cause sont systématiquement contactées, la possibilité de s’exprimer leur est offerte, des questions précises et détaillées leur sont transmises. Mais beaucoup bottent en touche et refusent de prendre la parole pour se défendre.