
Des ouvriers qui effectuent des réparations d'urgence en février 2025 après la frappe d'un drone contre la centrale de Tchernobyl en Ukraine. AP - Efrem Lukatsky
La structure de confinement de la centrale nucléaire ukrainienne de Tchernobyl n'est plus en mesure de bloquer les radiations. Cette annonce, faite par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) vendredi 5 décembre, n’est pas de nature à rassurer sur l'avenir de la tristement célèbre centrale, site de la pire catastrophe nucléaire de l’histoire, survenue en 1986.
"La semaine dernière, une équipe de l’AIEA a achevé une évaluation complète des dommages causés à la nouvelle structure de confinement, gravement endommagée par une frappe de drone en février. Cet événement a entraîné un incendie majeur dans le revêtement extérieur de l’imposante structure en acier construite pour empêcher tout rejet radioactif du réacteur détruit en 1986", explique l’agence de sécurité atomique.
De 100 ans à zéro
Une frappe de drone sur la centrale dans la nuit du 14 février – attribuée à la Russie par l'Ukraine – "a perforé le toit extérieur de la structure de confinement et la couche intérieure. La frappe initiale a créé un trou d’environ 15 mètres carrés sur le côté nord-ouest du sommet du toit au-dessus du réacteur 4 [celui où l’incident de 1986 s’est produit, NDLR]", relate Shaun Burnie, spécialiste des questions nucléaires pour Greenpeace, qui s’est rendu à Tchernobyl six heures après la frappe de drone de février.
Conclusion de l’évaluation des experts de l’AIEA : "La mission a pu confirmer que la structure a perdu ses principales fonctions de sécurité, notamment sa capacité de confinement."
La structure de confinement, aussi appelée l’Arche de Tchernobyl, a été installée en 2016 au-dessus du célèbre sarcophage bâti en catastrophe 30 ans auparavant autour du réacteur numéro 4 de la centrale. Il était censé avoir une durée de vie de 100 ans et protéger contre les conséquences d’un éventuel effondrement de la structure du sarcophage.
Ces 100 ans ont été réduits à zéro par la frappe de drone. Le constat de la mission de l’AIEA implique, en effet, "que toute radioactivité qui serait libérée à l’intérieur du confinement pourrait s’échapper par le trou et les dommages causés à l’Arche", précise Attila Aszódi, spécialiste des questions de sécurité nucléaire à l’Institut des techniques nucléaires de l'Université de technologie et d'économie de Budapest.
De quoi craindre un nouveau déluge de radioactivité se déversant sur l’Ukraine, la Biélorussie et plus loin encore ? Pas de panique… pour l’instant. Les niveaux de radiations aux alentours de Tchernobyl sont restés sensiblement identiques à ce qu’ils étaient avant la frappe de drone, a confirmé Fredrik Dahl, un porte-parole de l’AIEA interrogé par le New York Times.
"Pour l’instant, c’est un problème local surtout, car ce qui peut s’échapper par le toit perforé, ce sont les rayonnements directs – les rayons gamma – qui ne vont pas très loin. Dans le cas de Tchernobyl, je dirais qu’au-delà de deux kilomètres autour du site, il n’y a pas de risque immédiat", explique Robert Kelley, spécialiste des sécurités nucléaires associé au SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), qui a dirigé en 1992 et 2001 les inspections de l’AIEA en Irak.
Attention aux cendres
La vraie bombe à retardement de Tchernobyl vient "des matériaux radioactifs contenus dans le sarcophage, comme les quelque 4 000 kilogrammes de poussières hautement radioactives qui s’y trouvent", assure Shaun Burnie.
Ce qui inquiète les experts interrogés par France 24, c’est que "si quelque chose permet à toutes ces particules très fines de s’échapper du sarcophage, l’arche ne serait plus, actuellement, en mesure de les empêcher de se disperser par le trou dans le toit", résume Attila Aszódi.
Depuis la frappe de drone de février, les experts en sécurité nucléaire espèrent ainsi que le sarcophage construit du temps de l’Union soviétique tiendra le coup. Ce n’est pas un pari anodin.
"Il n’a jamais été conçu pour durer 30 ou 40 ans !", rappelle Shaun Burnie. "Il a été construit dans la précipitation et dans des conditions extrêmement difficiles, et ce n’est pas une structure très stable", ajoute Attila Aszódi.
Les dommages causés à l’arche protectrice pourraient, notamment, laisser entrer l’humidité extérieure, ce qui aurait un effet corrosif sur l’immense tombeau de 1986, conçu en partie en acier.
Si cette poussière hautement radioactive commence à s’échapper du sarcophage, elle aurait ensuite de multiples manières de continuer son périple au-delà du site de Tchernobyl. "L’un des risques souvent évoqués dans ces cas-là vient des oiseaux qui peuvent construire leur nid dans ce genre de structures, puis transporter la poussière sur des distances plus longues", explique Robert Kelley.
Des réparations compliquées et coûteuses
Autant ne pas tester la résistance du sarcophage et entreprendre les réparations nécessaires. Le "patch" installé sur le toit peu après la frappe de drone "n’est pas suffisant pour rétablir la fonction protectrice de l’arche", assure Shaun Burnie.
Heureusement, "la mission de l’AIEA a également conclu que l’intégrité de la structure n’était pas remise en question. Autrement dit, l’arche ne risque pas de s’effondrer et peut être réparée", souligne Attila Aszódi.
Plus facile à dire qu’à faire. "La priorité sera d’assurer la sécurité des ouvriers qui devront se rendre sur le toit contre les radiations", note Shaun Burnie. L’impératif d’agir rapidement suggère que ces réparations auront probablement lieu avant la fin de la guerre. D’éventuels combats ou d’autres tirs de drones "peuvent également menacer les équipes chargées de réparer les dommages", souligne Attila Aszódi.
Cette unique frappe de drone va aussi coûter très cher. "La Banque européenne pour la reconstruction et le développement est en train de préparer un plan prévisionnel pour l’an prochain, qui prévoit des réparations qui s’élèveraient à plusieurs centaines de millions d’euros", conclut Attila Aszódi.
