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Dans ce pays d'Asie du Sud-Est à majorité musulmane de plus de 270 millions d'habitants, les électeurs sont appelés aux urnes, dans la nuit du mardi 13 février au mercredi 14 février, pour désigner le successeur de l’actuel président, Joko Widodo, qui ne peut plus se représenter après deux mandats. Lors de ce scrutin, ils doivent aussi élire leurs 580 députés, ainsi que 20 000 conseillers locaux.
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Un défi logistique
Ce pays aux 17 000 îles élabore cette journée de vote depuis des mois. Il s’agit en effet de l'un des plus grands scrutins au monde, organisé sur une seule journée. Un exploit qui nécessite de transporter le matériel électoral par bateau, avion, à dos de cheval ou de buffle à travers toute l’Indonésie. Des milliers de bénévoles préparent depuis des mois le matériel nécessaire et plus de cinq millions de volontaires se relaieront pour tenir quelque 800 000 bureaux de vote. Dans ce laps de temps, 205 millions d’électeurs sont appelés aux urnes.
Sur un territoire qui s'étend sur 5 000 kilomètres et trois fuseaux horaires, les bureaux de vote ouvriront à 7 h du matin dans l'ouest de l'archipel (22 h GMT mardi 13 février) et ne resteront ouverts que durant six heures.
"On attend un taux de participation de plus de 80 %. Les Indonésiens prennent très au sérieux le vote et la démocratie. Surtout que c'est une démocratie jeune, qui a émergé après la chute de la dictature du général Suharto en 1998", explique David Camroux, chercheur associé au Ceri (Centre de recherches internationales de Sciences-Po) et spécialiste de l’Asie du Sud-Est.
Parmi les éléments à prendre en compte, la météo risque d’influer sur l’organisation du scrutin. "La distribution du matériel et le vote auront lieu en pleine saison des pluies", a relevé il y a quelques mois le président de la commission électorale, Hasyim Asyari, espérant que "le pire ne se produirait pas" dans un pays où des quartiers entiers sont régulièrement inondés lors de la mousson.
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Un ancien proche du dictateur Suharto donné favori
Largement favori avec plus de 50 % des intentions de vote, selon les derniers sondages, l'actuel ministre de la Défense, Prabowo Subianto, 72 ans, pourrait être élu à la présidence dès le premier tour. Son principal rival, Anies Baswedan, ne recueille qu'environ 25 % des intentions de vote.
"Cet ex-général reste populaire malgré un passé trouble", indique David Camroux. Prabowo Subianto est notamment accusé par des ONG d'avoir ordonné l'enlèvement de militants pro-démocratie à la fin des années 1990, dans les derniers jours du régime de Suharto, dont il était le gendre.
Parmi les raisons de la popularité nouvelle du doyen des candidats, le choix de Prabowo Subianto de faire de Gibran Rakabuming Raka, qui n’est autre que le fils ainé de Joko Widodo, son colistier, souligne David Camroux.
Pour l'ancien militaire devenu homme d'affaires, une victoire mettrait fin à plusieurs décennies de tentatives infructueuses pour accéder au pouvoir. Il a ainsi été battu deux fois par Joko Widodo dans la course pour accéder à la fonction suprême en 2014 et 2019. Mais la probabilité croissante de son accession à la présidence suscite des inquiétudes quant à un éventuel basculement vers un régime plus autoritaire.
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L’ombre de Joko Widodo
Autre motif d’inquiétude pour les analystes, cette élection s'apparente à un référendum sur la continuité par rapport au bilan de Joko Widodo. L’actuel chef d’État, qui ne peut pas se représenter après avoir effectué deux mandats, est accusé par des ONG et des juristes d'avoir manipulé les conditions d'éligibilité pour installer son fils, Gibran Rakabuming Raka, 36 ans, comme candidat à la vice-présidence de Prabowo Subianto.
Malgré son jeune âge – les colistiers doivent avoir au moins 40 ans -, Gibran a pu se présenter en vertu d'une décision controversée de la Cour constitutionnelle, adoptée grâce au vote décisif du président de la cour, Anwar Usman, qui n'est autre que son oncle. Une attitude dynastique qui, pour certains, met en danger la démocratie indonésienne.
Dans le pays, les textes de loi n’interdisent pas ouvertement un président de soutenir un candidat, mais le soutien présumé de Joko Widodo à Prabowo Subianto suscite la controverse, car il est rare dans en Indonésie qu'un président en exercice soutienne activement un successeur.
Quant à Prabowo Subianto, son programme reste fidèle aux politiques de l’actuel président : il prévoit de poursuivre les chantiers de développement et de construction d'infrastructures, la politique de nationalisme des ressources, notamment du nickel, et de la stratégie des "non-alignés" sur le plan diplomatique.
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Une campagne massive sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux ont beaucoup pesé sur cette campagne, et en premier lieu TikTok, avec le risque de voir circuler des fake news. Avec ses 125 millions d'utilisateurs, l'Indonésie représente, après les États-Unis, le plus grand marché au monde pour l’application chinoise, et le premier en Asie du Sud-Est.
Le principal bénéficiaire de cette campagne en ligne, Prabowo Subianto, a su s’en servir pour adoucir son image. "En 2014, il se présentait encore en tenue militaire. Désormais il danse sur TikTok pour se montrer en grand-père sympathique et rondelet. Et ça marche !", commente David Camroux. Sa chorégraphie, qui a inondé l'application mobile, fait partie des vidéos les plus populaires de cette campagne électorale.
Pour lui emboîter le pas, des supporteurs ont même organisé des compétitions de danse en ligne, offrant des centaines de millions de roupies (des milliers d'euros) aux meilleures imitations.
Subianto n’est pas le seul, les autres candidats ont eux aussi largement investi les réseaux sociaux pour séduire la génération Z (née entre 1997 et 2010), dont certains vont voter pour la toute première fois. Le vote de la jeunesse pèse lourd dans la balance, puisque les moins de 40 ans représentent la moitié des électeurs indonésiens. Or une partie de cette jeunesse ignore souvent les accusations portées contre Prabowo Subianto pendant sa carrière militaire et apprécie sa promesse de poursuivre la politique de Joko Widodo, estiment les analystes.
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Une corruption endémique
Aujourd’hui encore, la corruption reste très répandue en Indonésie. Le Parlement est considéré comme l'une des institutions les plus touchées. Selon l'ONG Indonesia Corruption Watch (ICW), au moins 56 candidats précédemment reconnus coupables de corruption sont encore en lice cette année pour les élections législatives.
Des électeurs, des candidats et des volontaires ont ainsi assuré à l'AFP avoir vu des cadeaux et des enveloppes d'argent être échangés. Pour moraliser la vie politique, l'agence de supervision des élections, Bawaslu, a appelé les citoyens à dénoncer tout achat ou tentative d'achat de voix.
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Mais ces pratiques persistent malgré les mises en garde des autorités. Et certains candidats se gardent bien de les condamner explicitement. Tout en expliquant aux électeurs qu'ils pouvaient accepter des cadeaux, Prabowo Subianto leur a ainsi demandé de voter selon leurs convictions. "Si quelqu'un vous promet de l'argent, acceptez-le, c'est votre argent, l'argent du peuple. Mais s'il vous plaît, votez selon votre cœur", a-t-il récemment déclaré à ses partisans.
David Camroux y voit une responsabilité de Joko Widodo qui a "affaibli la commission anti-corruption créée après 1998". Transparency International estime dans son rapport de 2023 que cet organe a été "gravement privée de ses pouvoirs".
Toutefois, relativise le chercheur, la distribution frauduleuse de cadeaux et d’enveloppes d’argent liquide ne pèsent pas si lourd sur le scrutin. "La plupart des candidats corrompus lors de la précédente élection législative ont été battus", fait-il savoir.
Avec AFP