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"Sólo sí es sí" : en Espagne, la réforme de la loi sur le consentement sexuel divise la gauche

En Espagne, un rapport sexuel sans consentement explicite constitue un viol depuis l'entrée en vigueur de la loi dite "Sólo sí es sí" ("Seul un oui est un oui"), en octobre 2022. Mais les réductions de peine et les libérations anticipées qu’elle a permises ces derniers mois ont conduit à une réforme, votée au Parlement la semaine dernière. France 24 a consulté des experts du droit pénal en Espagne pour comprendre les enjeux de cette controverse politico-judiciaire.

Six mois après son application, la loi "Sólo sí es sí" ("Seul un oui est un oui") subit déjà des modifications, avec une réforme adoptée à la Chambre basse, jeudi 20 avril, qui doit encore être approuvée par le Sénat. L'adoption de cette loi pionnière pour la protection des droits des femmes contre les agressions sexuelles avait constitué un jalon historique en Espagne.

Portée par Podemos et entrée en vigueur en octobre, la loi a introduit l'obligation d'un consentement sexuel explicite. Une promesse faite par le gouvernement de gauche après un viol collectif qui avait indigné le pays en juillet 2016. En première instance, le tribunal avait condamné les agresseurs à neuf ans de prison pour abus sexuel et non pour viol, estimant que la jeune fille de 18 ans n'avait pas opposé de résistance.

Cette affaire, baptisée "La Manada" ("la meute", en français), a obligé le législateur à modifier le code pénal dans un sens plus restrictif. Il était jusque là nécessaire pour une victime de prouver qu’il y avait eu violence ou intimidation lors d’une agression pour qualifier les faits de viol. Avec la loi "Sólo sí es sí", les rôles sont inversés. C’est à l’agresseur de prouver qu’il y a eu consentement.

"Sólo sí es sí" : en Espagne, la réforme de la loi sur le consentement sexuel divise la gauche

Si l'Espagne est l'un des pays de l'Union européenne appliquant les peines les plus sévères pour les crimes sexuels – un maximum de 15 ans –, cette loi a eu pour effet pervers de réduire les peines d'environ 1 000 condamnés et d'en faire sortir de prison une centaine, selon les chiffres des tribunaux, provoquant un scandale dans le pays.

  • Pourquoi l'introduction de la loi a-t-elle conduit à des réductions de peine et à des libérations anticipées ?

La raison réside dans l’unification de tous les délits* sexuels, explique Patricia Faraldo, professeure de droit pénal à l'université de La Corogne ayant participé à l'élaboration de la loi.

En d'autres termes, avant l’entrée en vigueur de la loi "Sólo sí es sí", le Code pénal espagnol faisait la distinction entre le délit d'"abus sexuel", aux peines plus faibles, et celui d'"agression sexuelle", nécessitant la présence de violence ou d’intimidation pour être retenu.

Depuis, le délit d'"abus sexuel" a été supprimé par la loi, pour ne retenir que celui d'"agression sexuelle" incluant le viol. La mise en œuvre de cette loi a cependant entraîné une vive polémique, le texte ayant paradoxalement abaissé les peines pour certains types de violences sexuelles.

"Sólo sí es sí" : en Espagne, la réforme de la loi sur le consentement sexuel divise la gauche

"Lorsqu’il n’existe plus qu’un seul délit pour des comportements qui étaient auparavant punis par des peines différentes, il est logique d'élargir l'éventail des peines", souligne Patricia Faraldo. "En élargissant l'éventail des peines, la peine minimale a été abaissée. Ce qui a donné lieu à des demandes de révision des peines avec application rétroactive de la loi [en Espagne, les peines sont modifiées rétroactivement lorsqu’une modification du Code pénal bénéficie aux condamnés, NDLR]." Une situation dont ont profité les avocats de certains condamnés.

De son côté, Podemos, la formation de gauche radicale alliée des socialistes au sein du gouvernement, soutient que les réductions de peine sont dues à la mauvaise interprétation de juges "machistes". Mais pour l'avocat pénaliste et expert en crimes sexuels Álvaro Escudero, il s'agit plutôt d'une application de la loi et de la Constitution espagnole.

"La peine minimale pour une agression sexuelle n'est plus de sept ans, mais de cinq", donne l’avocat pour exemple. "Donc, lorsque la peine minimale a été prononcée lors du jugement initial, le juge chargé du nouvel examen de l'affaire est obligé de réduire cette peine à cinq ans. C'est pourquoi il y a eu tant de réductions de peine et de libérations de personnes condamnées pour viol", développe l'expert.

  • Qu'est-ce qui change avec la réforme de la loi 

Les juristes consultés s'accordent à dire qu'il s'agit d'un retour à l'ancien modèle de différenciation des délits sexuels qui existait avant la loi. Cependant, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) du Premier ministre Pedro Sánchez, à l'origine de la réforme approuvée cette semaine, insiste sur le fait que la réforme ne supprime pas le principe de consentement.

En ce sens, la ministre de la Justice, María Pilar Llop, défend le maintien des articles du Code pénal qui définissent ce concept : l'article 178.1, qui souligne que le consentement doit être explicite, et l'article 178.2, qui précise que les "actes de nature sexuelle" réalisés avec violence, intimidation, par une personne abusant de son autorité ou sur des personnes en situation de vulnérabilité sont considérés comme des agressions. Dans ce cadre, et selon le ministère de la Justice, la victime n'a pas à prouver qu'elle n'a pas consenti à l'acte sexuel.

Mais pour Patricia Faraldo, également spécialisée en criminologie, la réforme représente un recul en ce qui concerne la protection des victimes. "Jusqu'à la loi de 2022, les femmes contre lesquelles des violences ont été exercées étaient plus protégées que les autres", relate l'experte. "Depuis la loi, la protection a été unifiée pour toutes les femmes. Mais avec la réforme de cette année, cette égalité de protection ne sera pas maintenue."

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— 120 minutos (@120minutosTM) April 20, 2023

Avec la modification de la loi, le processus pénal se concentrera de nouveau "sur le recours à la violence ou à l'intimidation, alors que nous devons nous concentrer sur la question de savoir si l’individu s'est efforcé de recueillir le consentement de sa victime", affirme la professeure de droit, pour qui la réforme est "dommageable".

À l’inverse de sa consœur, Álvaro Escudero estime que la réforme est favorable au système pénal. Pour lui, tous les délits sexuels ne peuvent pas être jugés sur le même principe, sans différenciation de la gravité et des circonstances. "Il n'est pas logique d'inclure dans le même délit un acte criminel très grave avec un autre beaucoup moins grave", estime l'avocat pénaliste. "Le code pénal doit nécessairement punir davantage lorsqu'il y a violence ou intimidation. C’est à cela que sert la jurisprudence."

Par ailleurs, la réforme devrait introduire de nouvelles peines plus lourdes. L'auteur d'une agression sexuelle sans circonstance aggravante risque une peine de cinq ans de prison maximum, contre quatre actuellement. En cas de circonstances aggravantes, la loi prévoyait une peine de deux à huit ans de prison. Désormais, elle devrait être comprise entre cinq et dix ans.

Concernant le viol ou les agressions sexuelles sur mineurs, la peine maximale ne changerait pas avec la réforme : 12 années de prison. Mais la peine minimale passerait de quatre à six ans en cas de viol, et de six à huit ans pour des agressions sexuelles sur mineurs.

📌 Las penas se elevan:
La ley del «solo sí ese sí» condenaba una agresión sexual sin penetración ni violencia con una horquilla de uno a cuatro años, mientras que la propuesta actual va de uno a cinco años añadiendo la variable de la fuerza e intimidación pic.twitter.com/BW3atRR4qu

— La Razón (@larazon_es) April 21, 2023
  • Frictions au sein de la coalition gouvernementale

Surnommée "Sólo sí es sí", la "loi de garantie intégrale de la liberté sexuelle" avait été approuvée l'été dernier avec le soutien du PSOE et d'Unidas Podemos (UP).

Mais face à l'avalanche de critiques sur les réductions de peine, les alliés se sont divisés sur la question. Rapidement, Pedro Sánchez a chargé la ministre de la Justice, María Pilar Llop, du PSOE, et celle de l'Égalité, Irene Montero, de trouver une solution commune.

Cependant, après des semaines de négociations infructueuses, le PSOE a présenté unilatéralement sa proposition d'amendement. Les socialistes se sont mis d’accord sur les amendements avec le principal parti d'opposition, le Parti populaire (PP), ce qui a provoqué la colère des bancs de gauche votant habituellement dans la lignée du gouvernement.

La députée socialiste Andrea Fernández a reconnu que l'accord avec le PP laissait un "sentiment doux-amer", mais elle a défendu la nécessité de la "réforme technique", qui a été approuvée au Congrès des députés par 233 voix contre 59, avec quatre abstentions, et qui doit maintenant être votée par le Sénat – une adoption qui ne fait pas l'ombre d'un doute.

Conscient de l'impact dévastateur d'une telle situation en cette année électorale, Pedro Sánchez a poussé ces derniers mois pour une réforme la plus rapide possible, allant jusqu'à demander "pardon" aux victimes le 16 avril.

"Le président du gouvernement et l'actuel Conseil des ministres ne peuvent pas se permettre d'arriver aux élections avec tous ces débats autour des réductions de peine et des libérations causées par leur loi", analyse Álvaro Escudero.

Un point de vue que partage l'avocate pénaliste Patricia Faraldo. "Il doit se différencier de Podemos et se détacher d'une loi qui n'a pas donné les résultats électoraux qu'ils attendaient", résume la professeure de droit pénal.

Alors que le PSOE défend sa réforme, UP affirme que les changements renvoient la responsabilité aux victimes. "C'est un jour triste, certainement le plus difficile que j'ai connu au Parlement comme ministre", a déclaré jeudi aux députés, le visage fermé, la ministre de l'Égalité, Irene Montero, porte-étendard de la loi et qui s'opposait aux termes de la réforme voulus par les socialistes du Premier ministre Pedro Sánchez.

"Ce n'est pas une avancée, mais un recul pour les droits des femmes", a-t-elle ajouté. À huit mois des élections législatives, la mesure divise également le vote féministe et l'électorat en général.

Cet article a été adapté de l'espagnol par Barbara Gabel. L'original est à retrouver ici.

* Le droit pénal espagnol reconnaît deux catégories d'infractions pénales : les délits et les contraventions. Le droit pénal français en reconnaît une troisième : les crimes.