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Google vs ChatGPT : la grande faucheuse boursière

Alphabet, la maison mère de Google, a perdu plus de 150 milliards de dollars en Bourse à cause d’une erreur de son nouveau chatbot ou robot conversationnel, Bard. Une dégringolade liée à la guerre que se livrent Microsoft, Google, Alibaba et d’autres dans le domaine. La Bourse deviendra-il l’arbitre de cette course à l’IA ?

Il aura suffi d’une petite erreur en astronomie pour effacer plus de 150 milliards de dollars en Bourse. L’action d’Alphabet, la maison mère de Google, a continué à chuter jeudi 9 février après une prestation discutable de Bard, nouveau rival du célèbre robot conversationnel ChatGPT. Elle a baissé de 4 % après s’être effondrée de 7,7 % la veille.

Une déculottée boursière due à une vidéo postée par Google, le 7 février sur Twitter et censée faire la démonstration des prouesses de son IA. Mais Bard s’est trompé en affirmant que le télescope James Webb a été le premier à prendre une photo d’une exoplanète. En réalité, cet exploit avait été réalisé bien plus tôt, en 2004, par un télescope européen.

Bard is an experimental conversational AI service, powered by LaMDA. Built using our large language models and drawing on information from the web, it’s a launchpad for curiosity and can help simplify complex topics → https://t.co/fSp531xKy3 pic.twitter.com/JecHXVmt8l

— Google (@Google) February 6, 2023

Bard vs ChatGPT

La réaction boursière peut sembler excessive, d’autant que Bard n’a pas tort à 100 %. Le télescope James Webb a bien été le premier à photographier une exoplanète précise (HIP 65426 b). Dans le communiqué de septembre 2022 célébrant cette photo, la Nasa se garde bien de revenir sur le précédent de 2004, lorsqu’une équipe européenne avait capturé une image de l’exoplanète 2M1207b sans vraiment savoir de quoi il s’agissait. 

Bard s’est donc laissé duper par le talent narratif des communicants de la Nasa. Est-ce que cela mérite une perte de 150 milliards de dollars en Bourse pour Alphabet ? "La réaction des marchés est compréhensible et aurait même pu être plus violente car il faut tenir compte du contexte", assure Alexandre Baradez, analyste des marchés chez IG France.

Depuis l’apparition de l’agent conversationnel ChatGPT, en novembre dernier, il y a une course aux chatbots parmi les géants de la Tech qui semble tourner à l’idée fixe chez les investisseurs, souligne la chaîne économique américaine Bloomberg.

Les mésaventures d’Alphabet sont en grande partie liées au pari de Microsoft sur ChatGPT. La firme de Redmond a investi plus de 10 milliards de dollars dans l’agent conversationnel de l'entreprise Open AI et a annoncé que ce "Mr IA Sait-Tout" sera intégré à Bing… son moteur de recherche. ChatGPT est censé permettre à ce concurrent de Google de mieux comprendre les requêtes des internautes et fournir des résultats plus pertinents.

De quoi donner l’impression aux investisseurs que le roi des moteurs de recherche a été pris de court et s’est empressé de sortir un chatbot de son chapeau pour répondre à la menace de l’alliance ChatGPT-Bing.

L’erreur de Bard - qui plus est dans une vidéo promotionnelle - a convaincu les investisseurs que cette IA n’était pas encore prête à tenir tête à celle d’Open AI. Autrement dit, Alphabet semble avoir perdu la première manche dans une guerre contre un adversaire qui "représente potentiellement un danger existentiel pour le modèle économique de Google qui repose à près de 80 % sur la publicité dans son moteur de recherche", souligne Alexandre Baradez.

Tout le monde veut son agent conversationnel ?

Mais cette déconvenue boursière n’est pas qu’une sanction infligée à Alphabet pour avoir été pris de vitesse par Microsoft. C’est aussi plus généralement le reflet de l’importance prise par les chatbots aux yeux des boursicoteurs.

En effet, le géant chinois Baidu a connu une envolée boursière, mercredi, après avoir annoncé que son propre chatbot serait disponible dès le mois de mars. Une nouvelle qui, par ricochet, a entraîné la chute de l’action d’Alibaba, l’autre géant chinois, qui n’avait pas encore évoqué ses plans pour contrer ChatGPT et Baidu. 

Erreur corrigée dès jeudi : Alibaba a, à son tour, assuré travailler sur un agent conversationnel maison… mais sans donner beaucoup plus de précision. Qu’importe, cela à suffi à rassurer les investisseurs, permettant à l’action d’Alibaba de remonter en flèche.

À croire que la survie boursière des Big Tech dépend actuellement de leurs projets en matière de chatbots. Les agents conversationnels représentent "un possible relais de croissance pour des grands groupes qui pouvaient en avoir besoin", souligne Alexandre Baradez.

Les groupes tels que Google, Microsoft, Alibaba ou encore Facebook sont "ce qu’on appelle des sociétés de croissance, c’est-à-dire que le performance boursière dépend beaucoup de leur capacité à afficher des taux de croissance toujours plus élevés", note Alexandre Baradez. Problème : ces mastodontes ont tous connu un ralentissement du rythme de leur croissance, ces derniers temps.

Dans ce contexte, ChatGPT & Co ont ravivé les espoirs des investisseurs de voir les géants de la tech renouer avec une croissance insolente. Mais pour Alexandre Baradez, il est encore "un peu trop tôt" pour affirmer qu’un chatbot peut faire ou défaire la fortune boursière d’un groupe tech.

Les réactions des boursicoteurs relèvent encore beaucoup de l’irrationnel. Rien ne prouve, par exemple, que ChatGPT va réellement permettre d’améliorer sensiblement les résultats de Bing et de prendre des parts de marché à Google.

"Les agents conversationnels vont peut-être connaître un sort similaire aux voitures autonomes. Au début tout le monde voulait investir dans ce secteur, mais dix ans plus tard, on attend encore de voir les promesses se matérialiser", souligne Alexandre Baradez.

Pour cet expert, il faut encore que les chatbots prouvent qu’ils sont bons à autre chose qu’aider les étudiants à tricher ou écrire des chansons plus ou moins dans le style de la star australienne Nick Cave.