Une campagne en ligne visant à accorder une procuration au prince héritier iranien, qui vit en exil aux États-Unis, pour représenter le mouvement de protestation en cours en Iran, ne cesse de prendre de l'ampleur depuis quelques jours. Et ce, tout en nourrissant le débat entre les partisans et les opposants de Reza Pahlavi, et ceux qui le soutiennent par pragmatisme, pour que l'opposition à la République islamique puisse se coordonner.
En exil depuis quarante-trois ans, le prince Reza Pahlavi, fils du dernier Shah d'Iran et héritier du trône, réside aujourd'hui aux États-Unis. Farouche opposant au régime théocratique au pouvoir en Iran, le prince pourrait, à 62 ans, voir son combat prendre une nouvelle tournure alors qu'une campagne change.org en ligne s'est fixée pour objectif de le propulser comme porte-parole de l'opposition.
Tout commence le 1er janvier, lorsqu'un groupe hétéroclite de personnalités iraniennes, dont le prince héritier, la lauréate du prix Nobel Shirin Ebadi, l'ancien footballeur Ali Karimi et la militante des droits de la femme Masih Alinejad, publient en même temps un message d'espoir via leurs comptes de réseaux sociaux.
"En s'organisant et en étant solidaires, 2023 sera l'année de la victoire pour la nation iranienne. L'année de la liberté et de la justice en Iran", ont-ils écrit, montrant implicitement la voie pour faire front commun contre le régime.
Un régime qui réprime depuis plus quatre mois le mouvement de contestation provoqué par la mort de Mahsa Amini, une jeune iranienne de 22 ans, à la suite de son arrestation par la police des mœurs pour infraction au code vestimentaire.
Alors que l'ONU a dénombré 14 000 arrestations depuis mi-septembre, l'ONG norvégienne Iran Human Rights indique qu'au moins 481 personnes ont été tuées et au moins 109 personnes risquent d'être exécutées en lien avec les manifestations, en plus des quatre déjà pendues.
Une pétition signée par plus de 423 000 personnes
Plus d'une dizaine de jours après le message du 1er janvier, Reza Pahlavi accorde, le 13 janvier, une interview à Manoto TV, chaîne iranienne royaliste basée à Londres, au cours de laquelle il plaide en faveur de l'organisation d'élections libres et pour la formation d'une assemblée constituante.
"Quoi que nous voulions faire, nous devons avoir une légitimité à l'intérieur du pays, a-t-il toutefois précisé, alors qu'il était interrogé sur son rôle au sein de l'opposition. Si nous devons négocier sur la scène internationale au nom de nos compatriotes, nous devons pouvoir dire que nous sommes soutenus par des prisonniers politiques, des militants civiques et des courants politiques et des intellectuels à l'intérieur du pays, qui nous donnent une procuration pour parler en leur nom."
Il n'en fallait pas plus que l'acteur iranien Ehsan Karami, qui vit aux États-Unis, lance une pétition en ligne sur le site Change.org, intitulée "Le prince Reza Pahlavi est mon représentant".
براى امضاى كمپين اعطاى وكالت به شاهزاده رضا پهلوى به لينك زير برويد👇🏾https://t.co/nWQFqNzQ4b
— Ehsan Karami (@ehsaankaramy) January 17, 2023Un court texte introductif explique la démarche, sans faire aucune mention d'une éventuelle restauration de la monarchie : "Compte tenu de la révolution qui se déroule en Iran et du fait que le prince Reza Pahlavi a demandé au peuple iranien de lui donner une procuration pour diriger ce mouvement, cette pétition permet au peuple iranien d'exprimer son opinion".
Depuis, et à ce jour, elle a été signée par plus de 423 000 personnes, dont des artistes comme l'actrice iranienne Shohreh Aghdashloo et des sportifs comme Ali Karimi, qui a accordé son soutien "le temps d'une transition", ou encore la championne de taekwondo Kimia Alizadeh, première médaillée olympique de l'histoire de son pays.
#Iran's Taekwondo athlete and Olympic champion Kimiya Alizade has declared her support for Reza Pahlavi as a transition figure to succeed the Islamic Republic pic.twitter.com/awUB2s3QuM
— Arash Azizi آرش عزیزی (@arash_tehran) January 21, 2023Parallèlement, sur les réseaux sociaux, le hashtag #من_وکالت_میدهم (#tu_me_représentes), lancé par le journaliste Saeed Hafezi, est repris par des milliers d'Iraniens, qui accompagnent parfois leur tweet d'une photo de Reza Pahlavi.
Même d'anciens détenus politiques comme Amirhossein Moradi, ou des parents de victimes tuées par les forces de sécurité depuis le début du mouvement de protestation ont publiquement apporté leur soutien à Reza Pahlavi, comme Nasrine Shakarami, mère de Nika, une manifestante tuée à l'âge de 16 ans, au cours du mois de septembre.
Une initiative qui fait débat en Iran et au sein de la diaspora
De son côté, Reza Pahlavi a assuré dans entretien accordé cette semaine à Skynews "ne pas être candidat à un poste et ne pas chercher à obtenir une position politique dans l'appareil d'État […]."
"Je préfère être un défenseur du peuple […]. Je n'ai pas d'ambition pour le pouvoir ou l'autorité, a-t-il ajouté, non sans annoncer qu'il prévoyait des déplacements internationaux dans les prochaines semaines pour discuter avec des responsables et des élus des mesures à prendre pour aider l'Iran.
Avant ce référendum numérique, le nom de Reza Pahlavi avait rarement été cité en Iran, depuis la mort de Mahsa Amini, explique un universitaire iranien qui a requis l'anonymat pour s'exprimer librement. "Toutefois, même si sa popularité et son poids politique sont difficilement mesurables, le fils du Shah est une personnalité très connue dans le pays, souligne-t-il. Même et surtout parmi les jeunes, grâce notamment à l'impact considérable des chaînes de télévision comme Manoto et Iran international, soutiens affichés de la monarchie".
Si la pétition rencontre un certain succès sur les réseaux sociaux, cette initiative fait débat en Iran et au sein de la diaspora, comme l'a démontré l'apparition du hashtag, #من_وکالت_نمیدهم (#tu_me_représentes-pas), ou des graffitis anti-Pahlavi dans des rues iraniennes.
Graffiti dans un lieu non identifié en Iran:"Une révolution qui vit n'a pas besoin d'avocat". Probablement en référence à la promotion de Reza Pahlavi en tant que représentant de l'opposition au sein d'une partie de la diaspora pic.twitter.com/7O88rgGXFB
— Jonathan Piron (@jonathanpiron1) January 26, 2023"Cette initiative et l'idée que le fils du Shah puisse représenter l'opposition ont provoqué un vaste débat entre ceux qui contestent sa légitimité, en raison du lourd bilan de la dynastie des Pahlavi en matière de droits de l'Homme, et ceux qui estiment qu'il est le seul, parmi les personnalités iraniennes, à avoir l'aura nécessaire pour s'exprimer au nom du peuple iranien", poursuit l'universitaire.
Certains craignent même qu'elle ne nuise au mouvement dans le sens où elle pourrait nourrir la propagande du pouvoir iranien qui décrit fréquemment les manifestants comme des "émeutiers" manipulés par les "ennemis" de l'Iran à l'étranger.
LA TÉLÉVISION D’ÉTAT iranienne n’a pas tardé à s’attaquer à Reza Pahlavi, fils du dernier Shah d’#Iran dont une campagne en ligne réclame qu’il représente l’opposition iranienne.« Je n’ai pas de métier et c’est ma mère qui règle les dépenses de ma vie », affirme cette pub hostile pic.twitter.com/gmf7DQDB0U
— Armin Arefi (@arminarefi) January 25, 2023"La République islamique n'a pas tardé à instrumentaliser la pétition en minimisant son impact, pointant le fait que 400 000 signataires ne sauraient représenter l'opinion des 87 millions d'habitants que compte le pays, ou encore en ironisant sur le poids politique du fils du Shah", indique l'universitaire installé en France.
"Il ne peut pas représenter à lui seul le mouvement en cours"
Arrêté, placé en détention et "systématiquement torturé" à plusieurs reprises au cours des années 1970, alors qu'il militait activement dans le milieu universitaire en faveur de la démocratie en Iran, Ebrahim* estime ainsi que "ce n'est pas une bonne idée" de confier un rôle de porte-parole à Reza Pahlavi.
"En tant que victime de la dictature du Shah et de la Savak [la police politique de la monarchie], je ne peux pas cautionner une telle option même si le discours de Reza Pahlavi, qui ne s'est jamais désolidarisé du bilan de son père, me paraît clair et ouvert à tout le monde", explique celui qui s'est réfugié en France au début des années 1980, pour fuir la répression des Gardiens de la révolution. "Il ne peut pas, et ne doit pas, représenter à lui seul le mouvement en cours dans le pays, ce n'est ni dans son intérêt ni dans l'intérêt de personne".
"Après quarante-trois ans de République islamique, je suis prêt à ne pas rester bloqué sur le passé, ni sur le mien, même si j'ai failli mourir sous la torture comme certains de mes amis, ni sur celui de Reza Pahlavi, poursuit Ebrahim. Le fils du Shah peut s'il le souhaite, à condition qu'il s'engage contre toute sorte d'ingérence étrangère en Iran et à faire le ménage dans son entourage parmi ceux qui affichent un esprit revanchard, participer à une telle représentation, mais uniquement dans un cadre pluriel en s'accordant avec d'autres personnalités et pas seulement avec quelques célébrités."
"Ne pas confondre Reza Pahlavi avec son père"
D'autres estiment au contraire qu'il ne faut négliger aucune piste qui puisse permettre à l'opposition de s'organiser et d'unifier ses rangs afin de faire face efficacement au régime iranien et à sa machine répressive.
"Aucun homme politique ne fera jamais l'unanimité, mais je rappelle que Reza Pahlavi a écrit trois livres dans lesquels il évoque l'héritage politique de son père et dénonce les violations des droits de l'Homme qui ont eu lieu sous le règne du Shah", confie à France 24 Me Sahand Saber, avocat franco-iranien au barreau de Paris.
Se décrivant comme soutien de Reza Pahlavi et militant pro-démocratie, il appelle "à ne pas confondre le fils qui appartient au XXIe siècle, et qui n'a jamais été au pouvoir en Iran et propose un programme résolument démocratique et séculaire, avec son père qui appartient au XXe siècle".
Pour Me Sahand Saber, la pétition peut permettre à Reza Pahlavi de savoir "s'il est ou non en droit de porter momentanément, le temps d'une transition, la voix du peuple iranien", et aux Iraniens eux-mêmes "de nourrir le débat pour savoir qui est fondé à les représenter". Voire même à la communauté internationale "de savoir qu'il existe un interlocuteur légitime" avec lequel parler.
Graffiti in support of Prince #RezaPahlavi
A city in Iran - January 25, 2023 pic.twitter.com/1hzwDXd5Eg
Interrogé sur la possibilité que l'initiative puisse involontairement servir les intérêts du pouvoir en Iran, Me Sahand Saber s'est dit confiant car "les Iraniens ne sont pas naïfs".
"Ils sont suffisamment intelligents pour se méfier du discours officiel du régime des ayatollahs qui va évidemment instrumentaliser cette consultation, souligne-t-il. Je note d'ailleurs que plusieurs personnalités vivant en Iran ont expressément accordé leur soutien à Reza Pahlavi et signé la pétition, ce qui démontre que sa voix porte également sur place."
Une opposition hétéroclite dénuée de leader
Pour l'universitaire cité plus haut, la pétition et le débat qu'elle a suscité démontrent qu'il n'y a toujours pas de leader naturel pour l'opposition iranienne. "Et ce, alors même que, paradoxalement, on arrive progressivement au sein de l'opinion publique iranienne, à la conclusion qu'un régime théocratique ne peut pas fonctionner en Iran, et que nous assistons à un début de l'unification de l'opposition à l'étranger et même à l'intérieur de l'Iran".
Selon lui, Reza Pahlavi n'a pas réussi jusqu'ici à incarner l'alternative ni à créer une organisation suffisamment influente pour peser au sein de l'opposition iranienne. Et pas seulement en raison des réserves sur la monarchie qu'il incarne et qui n'a pas laissé "que de bons souvenirs [en Iran]".
"La répression du régime islamique ne lui a jamais permis d'avoir des relais sur place, tandis que l'éparpillement des forces iraniennes entre les républicains et les monarchistes, la gauche et la droite, et celles qui représentent les minorités, toutes divisées sur l'avenir du pays et même sur son passé, ne l'a pas aidé", décrypte-t-il.
Et de conclure : "Malgré la controverse, objectivement, Reza Pahlavi reste la figure la plus connue et la plus imposante au sein de cette opposition hétéroclite, aucune autre personnalité ou organisation iranienne ne peut souffrir la comparaison avec lui."
* Le prénom a été changé à la demande de l'intéressé.