La réforme des retraites présentée lundi en conseil des ministres arrivera le 30 janvier à l’Assemblée nationale. Une fois n’est pas coutume, elle sera examinée via un projet de loi de finances rectificatif de la Sécurité sociale. Un choix qui devrait permettre au gouvernement d’éviter un enlisement parlementaire et le recours à l’article 49.3 déjà utilisé dix fois par Élisabeth Borne.
Emmanuel Macron a-t-il retenu la leçon de 2020 ? Contrairement à la méthode utilisée il y a trois ans pour l’examen parlementaire de son précédent projet de réforme du système des retraites, le président de la République et sa Première ministre Élisabeth Borne ont opté cette fois-ci pour un projet de loi de finances rectificatif de la Sécurité sociale (PLFSSR) qui sera examiné à partir du 30 janvier à l’Assemblée nationale.
En 2020, le gouvernement d’Édouard Philippe avait dû faire face à l’Assemblée nationale à une avalanche d’amendements des oppositions – plus de 40 000 – et avait été contraint de batailler durant de longues semaines, avant de se résigner à utiliser l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter son texte sans le vote des députés. Élisabeth Borne compte bien s’épargner une telle séquence d’obstruction parlementaire.
La méthode choisie est inédite. Mais pour la Première ministre, interrogée à ce sujet lundi après-midi lors de ses vœux à la presse, "les mesures" de la réforme "relèvent d'un PLFSS, et donc on a retenu ce véhicule parce que c'est le véhicule naturel".
"C'est aussi un type de projet de loi qui est soumis par la Constitution à un certain nombre de règles qui peuvent permettre de lever les obstructions, les blocages", a-t-elle toutefois ajouté, alors que les députés La France insoumise (LFI) avaient un temps soulevé la possibilité de présenter des milliers d'amendements.
Un PLFSSR permet en effet une nouvelle utilisation d’un 49.3 par le gouvernement – l’utilisation de cet article n’étant pas limité sur les lois de finances, tandis qu’un seul est autorisé par session parlementaire sur les autres textes –, mais pourrait aussi entraîner, comme le révélait Politico, une accélération de l’examen du projet de loi grâce à l’article 47.1 de la Constitution, qui limite à cinquante jours les discussions au Parlement.
Une première dans l’histoire de la Ve République
Ce dernier permet de réduire drastiquement les débats parlementaires. Ainsi, "si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours". En clair, la commission des Affaires sociales va démarrer l’examen de la réforme des retraites à partir du 30 janvier. Le texte passera ensuite dans l'hémicycle le 6 février, et jusqu'au 17 à minuit au maximum.
"Cela paraîtrait très brutal, mais ce serait automatique passé le délai de vingt jours", explique Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public citée par Le Figaro.
Après la pause parlementaire du 20 au 26 février, la chambre haute dominée par la droite examinera le texte adopté par l'Assemblée, ou à défaut le texte initial du gouvernement, modifié par les amendements que l'Assemblée aura eu le temps de voter et auxquels l'exécutif est favorable. Les sénateurs disposeront alors de 15 jours maximum.
Enfin, "si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours" – soit jusqu’au 26 mars à minuit –, "les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance", stipule l’article 47.1 de la Constitution.
Cette méthode, qui n’a jamais été utilisée dans l’histoire de la Ve République, permet d’éviter un 49.3 et une éventuelle motion de censure du gouvernement. De plus, le 47.1 a "un effet édulcoré, on voit moins que c'est violent démocratiquement", juge un membre de la Nupes cité par l’AFP.
Débat juridique
Mais cette utilisation du PLFSSR est contestée, à la fois par l’opposition et par certains constitutionnalistes.
"En usant d’un tel dispositif, le gouvernement prend un risque procédural. D’abord, beaucoup de dispositions risquent de ne pas entrer de manière évidente dans le cadre d’un PLFSS. Ce véhicule n’a pas été pensé pour porter une réforme des retraites et les cadres de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sont flous en la matière. L’introduction de la fin des régimes spéciaux notamment représente un risque", écrit ainsi le professeur de droit public Benjamin Morel dans une tribune publiée le 17 janvier dans Le Monde.
"Ensuite, si le Conseil constitutionnel a validé l’usage des délais pour les PLFSS rectificatifs, c’était parce que ces derniers étaient jugés urgents pour le maintien des comptes sociaux. En revanche, il les a écartés pour les lois de règlement au motif que celles-ci ne revêtaient pas un caractère d’urgence. Or ici, encore une fois, nulle urgence au sens où cela est entendu dans le cadre de la procédure de l’article 47.1", poursuit Benjamin Morel.
Les députés LFI ont saisi le Conseil d’État dans un courrier envoyé le 18 janvier. Ils y dénoncent des "entraves à la liberté des parlementaires", reprenant les arguments avancés par les constitutionnalistes sur le détournement de la procédure du PLFSSR et la présence de "cavaliers sociaux" comme la création d’un indicateur de l’emploi des seniors.
Or, selon des propos du président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, rapportés par Le Canard enchaîné : "tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un cavalier budgétaire" et par conséquent censuré.
"On a bien conscience qu'il y a un Conseil constitutionnel. On regardera attentivement les mesures dont on veille qu'elles soient conformes à la Constitution. (...) Quand on prépare un texte, on veille à ce qu'il soit constitutionnel", a pour sa part assuré Élisabeth Borne lundi après-midi. Au-delà des débats politiques, c’est donc aussi sur le plan juridique que se jouera la réforme des retraites.