De retour aux affaires, le président Lula veut faire de la lutte contre la pauvreté et contre la faim une de ses priorités. Après quatre ans de présidence Bolsonaro, le leader de la gauche brésilienne mise sur des programmes sociaux, dans un Brésil qui affronte une période de récession encore plus forte depuis la pandémie.
Une page se tourne pour le Brésil, après quatre ans de présidence de Jair Bolsonaro. Luiz Inacio Lula da Silva a été investi, dimanche 1er janvier, président du Brésil pour un troisième mandat. Lors de son discours devant le Congrès à Brasilia, Lula s'est engagé "à reconstruire le pays", après le bilan "désastreux" de son prédécesseur.
Il a notamment promis de lutter contre la faim, "le plus grave des crimes", et de "combattre toutes les formes d'inégalités". Ces thèmes sociaux, chers au leader de la gauche, mettent en lumière les défis sociaux et économiques post-Bolsonaro.
Quelques jours avant son intronisation, Lula a gagné une première bataille. Le 21 décembre, le Congrès brésilien a approuvé un amendement à la Constitution autorisant le gouvernement à dépasser le plafond des dépenses pour financer des programmes sociaux. Concrètement, le plafond pourra être dépassé de 145 milliards de reais (soit environ 26 milliards d'euros).
Cet argent devrait servir à augmenter le salaire minimum et à maintenir l'allocation mensuelle de 600 reais (110 euros) versée aux familles les plus pauvres. Cette aide, qui correspond à l'ancienne "Bolsa Familia" ("Bourse famille"), lancée pendant le premier gouvernement Lula, avait été remplacée par l'Auxilio Brasil de Jair Bolsonaro, aujourd'hui encore en vigueur.
Une façon pour le président sortant d’"imposer son empreinte" sur le mécanisme d'aides sociales, selon François-Michel Le Tourneau, géographe, directeur de recherche au CNRS. "Les montants de l'Auxilio Brasil étaient plus élevés et il y avait moins de conditions pour en bénéficier par rapport à la 'Bolsa Familia'. Mais le programme étant trop large, il distribuait trop. Il a coûté très cher et n'était pas très bien focalisé sur les niches de pauvreté", détaille le spécialiste du Brésil.
Un enfant pauvre du Nordeste devenu président
Aujourd'hui, le gouvernement Lula voudrait redessiner ce programme. Avec le même objectif qu'au début des années 2000 : éradiquer la faim au Brésil. Un fléau que Lula, fils d'une famille d’agriculteurs pauvres du Nordeste, a connu pendant son enfance. Pour la géographe Martine Droulers, directrice de recherche émérite au CNRS, ce passé explique, entre autres, cette obsession qui n'a jamais quitté celui qu'on surnomme "le père des pauvres". "Son enfance a été marquée par des problèmes d'alimentation. Le sort de la famille s'est ensuite amélioré à Sao Paulo mais il a toujours gardé un regard sur le Nordeste, où subsiste encore une grande pauvreté", rappelle-t-elle.
Rien de surprenant, donc, que le président brésilien en ait fait son cheval de bataille. En 2003, au début de son premier mandat, il avait promis que chaque Brésilien mangerait trois repas par jour. Dans la foulée, le chef de la gauche brésilienne avait lancé le plan "Fome Zero" ("Faim zéro"), qui incluait notamment la "Bolsa Familia", une hausse du salaire minimum ou encore des programmes d'aide au développement de l'agriculture familiale.
En 2010, l'action de Lula contre la faim avait été saluée par l'ONU. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO), la malnutrition au Brésil avait reculé de 70 % et le taux de mortalité infantile de 47 % au terme du second mandat de Lula. En 2014, l'ONU a officiellement sorti le Brésil de sa cartographie de la faim dans le monde.
"Les pauvres sont devenus un peu moins pauvres mais ne se sont pas pour autant hissés dans la classe moyenne ou aisée du jour au lendemain. Ces pauvres extrêmes sont passés dans la catégorie supérieure mais ne vivent pas dans une situation confortable", nuance François-Michel Le Tourneau.
"Quand Lula a terminé ses deux mandats en 2010, c'était l'apogée de la croissance économique pour le pays mais ça n'a pas duré", explique Martine Droulers. "La récession s'est installée puis s'est aggravée à partir de 2013", poursuit François-Michel Le Tourneau. Et le Brésil n'en est jamais vraiment sorti. La pandémie de Covid-19 n'a fait qu'aggraver la situation en provoquant un choc bien plus intense. "Il y a moins d'emplois, un ralentissement de la croissance économique et une augmentation des prix, donc une partie de la population se retrouve dans une situation difficile", résume le géographe.
15 % de la population en insécurité alimentaire
Ces difficultés s'illustrent notamment par la hausse de la faim : 33 millions de Brésiliens, soit 15 % de la population, en souffrent, d'après une étude du réseau Penssan, spécialisé dans la sécurité alimentaire. La population touchée a doublé depuis 2020 à cause de la pandémie.
Dans ce contexte de crise, le chemin sera semé d'embûches pour Lula et son programme social. Le gouvernement tente de rassurer les milieux d’affaires, qui craignent que le gouvernement néglige la rigueur budgétaire pour financer ses programmes sociaux. La confiance de l'électorat de gauche est aussi en jeu : "Il va falloir dire à certaines personnes qui avaient droit à l'Auxilio Brasil qu'elles n'y ont plus droit aujourd'hui. Ça risque de faire des mécontents", explique François-Michel Le Tourneau.
Les mêmes désaccords qui avaient marqué le débat public au moment du lancement du plan "Fome Zero" risquent aussi de réapparaître. "La lutte contre la faim et la pauvreté ne va pas rendre Lula populaire auprès de ses adversaires idéologiques, comme les conservateurs et les évangélistes. Donc je ne pense pas que la lutte contre la pauvreté soit à court terme capable d'unifier le pays derrière Lula. En revanche, le gouvernement Lula pourrait décrocher une assise électorale beaucoup plus large s'il réussit à renouer avec une croissance économique forte, si le chômage baisse et la pauvreté recule", affirme François-Michel Le Tourneau.
"Lula va probablement mettre l'accent sur ce qui a été négligé ces dernières années, comme le soutien à l'agriculture familiale ou une politique de crédits. Mais il ne pourra peut-être pas tout faire, prévient Martine Droulers. Et si jamais il y a des résultats, on ne les verra pas tout de suite."