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Suicides, noyade, venin de crapaud : les morts mystérieuses de 14 oligarques russes

Officiellement en voyage touristique, le multimillionnaire Pavel Antov, grand patron de l'agroalimentaire russe, a été retrouvé mort, dimanche, au pied de son hôtel en Inde. Quelques jours plus tôt, son ami Vladimir Bydanov, qui voyageait avec lui, est également décédé. Ces noms s’ajoutent à une longue liste d’oligarques mystérieusement morts ces derniers mois. 

Faut-il y voir l’ombre du Kremlin ? Chutes, empoisonnements, suicides... depuis le début de la guerre en Ukraine, c'est une série de morts suspectes digne d’une intrigue de roman policier. En tout, quatorze oligarques russes ont trouvé la mort dans des circonstances douteuses. Le dernier en date est le multimillionnaire Pavel Antov, mort après être tombé d’une terrasse dans un hôtel de Rayagada, dans la province indienne d'Odisha. Le corps de l’homme de 65 ans, député du parti Russie unie du président Vladimir Poutine, a été découvert le 25 décembre, dans une mare de sang, devant l'hôtel où il passait ses vacances en compagnie de trois autres Russes. Il a apparemment fait une chute mortelle depuis la terrasse de l'établissement.  

Suicides, noyade, venin de crapaud : les morts mystérieuses de 14 oligarques russes

Un message sur WhatsApp en cause ?  

Avant d'entrer en politique, Pavel Antov avait fondé l'entreprise agroalimentaire Vladimirski Standart et s'était retrouvé,  en 2019, en haut du classement des hommes politiques les plus riches de Russie de l'édition russe du Forbes magazine. En juin, les médias russes avaient publié un message sur WhatsApp attribué à Pavel Antov et déclarant que les bombardements russes sur l'Ukraine étaient des actes de "terrorisme". Il avait ensuite démenti avoir écrit ce message, affirmant qu'il soutenait "l'opération militaire spéciale", formule officielle des autorités pour désigner la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine.  

Selon la police indienne, Pavel Antov "était probablement perturbé par le décès de son ami et s'est rendu sur la terrasse de l'hôtel d'où il a vraisemblablement fait une chute mortelle". En effet, deux jours auparavant, un autre membre du groupe de touristes russes, Vladimir Bidenov, a été retrouvé inconscient, dans une chambre du même hôtel, entouré de bouteilles d’alcool, victime apparemment d'une crise cardiaque. Il n'a pas pu être réanimé. La police a visionné toutes les images des caméras de surveillance, interrogé le personnel de l'hôtel en attendant le compte-rendu détaillé des autopsies. Elle n'a découvert, jusqu'à présent, aucun indice suggérant l’hypothèse d’un homicide. La crise cardiaque à l'origine du décès de Vladimir Bidenov a vraisemblablement été causée par un abus d'alcool et une possible overdose de drogue, a déclaré le chef régional de la police, Rajesh Pandit. Ces deux décès s’ajoutent à la liste des douze autres oligarques russes décédés dans les mêmes circonstances équivoques. 

Chute dans un escalier, sur un chantier ou par-dessus bord

Le 9 décembre dernier, Dmitry Zelenov, magnat de l'immobilier russe de 50 ans, est mort dans des circonstances mystérieuses lors d’une visite chez des amis à Antibes, dans le sud de la France. Ressentant un malaise après le dîner, l’oligarque serait alors tombé dans les escaliers et passé par-dessus une balustrade. L’homme aurait succombé après son transport à l’hôpital à un traumatisme crânien. Le parquet de Grasse confirme qu'il est décédé le 10 décembre à l'hôpital Pasteur de Nice. Selon le procureur, une enquête, confiée au commissariat d'Antibes, est ouverte pour rechercher les causes de la mort. 

Deux mois plus tôt, le 21 septembre, Anatoly Gerashchenko, 72 ans, expert et scientifique russe de premier plan dans le domaine de l'aviation, est lui aussi victime d'une mauvaise chute. Il s’agit cette fois d’une rambarde mal scellée, lors d'une visite de chantier. Quant à Ivan Pechorin, 39 ans, directeur de la société russe de développement de l'Extrême-Orient et de l'Arctique, il serait passé par-dessus bord lors d'une balade en voilier, le 10 septembre. Son corps a été retrouvé dans la mer du Japon, à l'est de la Russie. Les médias russes affirment qu'il était ivre lorsqu'il est tombé à l'eau.  

Drames familiaux, pendaisons, empoisonnement 

Les causes du décès de l’homme d'affaires russe Ravil Maganov, survenu le 1er septembre, sont elles aussi énigmatiques. Officiellement, on le dit mort d’une "grave maladie" mais les agences de presse russes Tass et Interax affirment qu'il se serait suicidé en se défenestrant du sixième étage de l'hôpital où il était soigné. 

Plus étrange encore, Alexander Subbotin, 49 ans, ancien haut responsable du groupe pétrolier russe Lukoil, aurait, lui, été mortellement intoxiqué par du venin de crapaud lors d'une séance arrosée de chamanisme. 

Yuri Voronov, 61 ans, dirigeant russe d’une entreprise partenaire du groupe Gazprom, est retrouvé mort le 4 juillet au fond de la piscine de sa résidence de Saint-Pétersbourg, une balle dans la tête. Le 19 avril, Sergey Protoseny, 53 ans, est découvert pendu à un arbre dans le jardin de sa villa de vacances de Lloret de Mar, en Espagne, où il se trouvait avec sa femme et sa fille de 18 ans. Les deux femmes ont été retrouvées poignardées à mort. Les enquêteurs soupçonnent le Russe d'avoir tué sa femme et sa fille avant de se suicider. Les médias espagnols soutiennent la thèse d’un triple assassinat maquillé en drame familial.  

Même scénario pour Vladislav Avaev, ancien vice-président de la Gazprombank. Officiellement, l’homme de 51 ans s’est donné la mort après avoir tué sa famille, dans son appartement à Moscou, le 18 avril 2022. L'homme d'affaires Vasily Melnikov aurait, lui aussi, tué sa femme et ses deux enfants de 4 et 10 ans après s'être suicidé dans son appartement à Nijni-Novgorod, dans l'ouest de la Russie. Mikhail Watford, un milliardaire qui a fait fortune dans le pétrole et le gaz, a pour sa part été retrouvé pendu dans son garage le 28 février, dans la banlieue ouest de Londres. Alexander Tyulyakov, directeur financier de Gazprom, 61 ans, est lui aussi retrouvé pendu dans son garage, à proximité de Saint-Pétersbourg, le 25 février, au lendemain du début de la guerre.  

Le Kremlin mais pas que... 

Enfin, le corps de Leonid Shulman, 60 ans, directeur général de Gazprom, a été découvert avec une lettre de suicide, dans la salle de bain de son cottage dans la région de Saint-Pétersbourg, le 30 janvier 2022, soit un peu moins d'un mois avant l'invasion de l'Ukraine ordonnée par Vladimir Poutine.  

Au moment où la Russie s'enlise dans le conflit en Ukraine et qu'une certaine opposition commence à poindre dans le pays, cette série de "morts accidentelles" et de "suicides" ébranle. “La Russie traverse actuellement une période de troubles avec la guerre, estime dans un entretien à RFI Julien Vercueil, professeur d’économie à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et membre du centre de recherches Europes-Eurasie. Il y a donc un certain nombre de règlements de compte pour obtenir le pouvoir régional et des luttes économiques qui sévissent. Certains règlements de compte peuvent certes être commandités par le Kremlin mais pas tous. Certains d’entre eux peuvent aussi être imputés à d’autres personnes que Vladimir Poutine.”