Le missile tombé mardi sur une localité frontalière polonaise aurait été tiré par la défense ukrainienne. Un scénario qui éloigne le risque d’un embrasement du conflit avec l’Otan, dans l'obligation de répondre à une agression russe contre l’un de ses membres. Mais le verdict n’est pas encore définitif, car attribuer un tir de missile n’est pas toujours évident.
"Vraisemblablement" tiré par les Ukrainiens. Depuis mardi 15 novembre au soir, les responsables politiques – à commencer par le président américain Joe Biden – se succèdent pour souligner que le missile qui a coûté la vie à deux personnes en frappant le village polonais de Przewodów ne vient pas du camp russe.
Jan Stoltenberg, le secrétaire général de l’Otan, a précisé mercredi que la piste la plus probable est celle d’une erreur de la défense ukrainienne, et que rien ne laisse penser qu’il s’agissait d’une attaque délibérée.
Les indices sont dans les débris du missile
Ce serait un important soulagement pour la communauté internationale. Dans le cas contraire – l’hypothèse d’une frappe volontaire de Moscou – il s'agirait du premier missile russe ayant visé le sol d’un pays membre de l’Otan. Difficile d’échapper, dans ce scénario noir, à une escalade de la guerre en Ukraine et à une implication plus directe des grandes puissances occidentales.
Néanmoins, plusieurs pays, dont la France, l’Allemagne et la Chine, ont appelé à la “prudence”. En marge du sommet du G20 à Bali, ils ont jugé urgent d’attendre les conclusions de l’enquête. “Cela devrait prendre au moins encore quelques jours pour avoir l'avis le plus définitif possible”, estime Sim Tack, un analyste militaire pour Forces Analysis, une société de surveillance des conflits.
Le travail d’attribution peut se révéler très délicat et sensible, comportant le risque de voir l’Otan forcé de prendre un rôle plus actif dans le conflit parce qu’un de ses membres a été frappé.
Tout commence par l’analyse de la scène de l’impact. “Les images publiques et ce qu’on peut voir sur les photos satellites suggèrent qu’il y a des débris qui devraient permettre de déterminer le type de missile”, souligne Sim Tack. Chaque pays utilise des armes différentes, et cette première étape peut suffire à déterminer qui est responsable. Sauf quand les deux belligérants ont recours au même type de missile. C’est le cas dans cette guerre : l’Ukraine dispose notamment d’armements d’origine russe ou soviétique.
“L’une des hypothèses les plus probables est qu’on a affaire à un missile S-300”, estime Sim Tack. Il s’agit “de missiles sol-air développés en Russie et qui sont utilisés dans ce conflit à la fois par la défense ukrainienne et l’armée russe”, précise Jeff Hawn, spécialiste des questions militaires russes et consultant extérieur pour le New Lines Institute, un centre américain de recherche en géopolitique.
Il s'agirait alors d'une première indication que le missile a été lancé par l’Ukraine. Les S-300 n’ayant pas une longue portée, l'hypothèse la plus probable serait un tir depuis l’ouest de l’Ukraine, “une zone où il n’y, à notre connaissance, aucune présence de forces armées russes”, précise Sim Tack.
Trouver la trace du missile sur les radars
Mais là encore, ce n’est pas une preuve à 100 %. “Il ne faut pas écarter la possibilité que ce missile ait été tiré depuis la Biélorussie”, ajoute l’expert de Forces Analysis. Ce serait, certes, un peu au-delà de la distance d’efficacité maximum de ce type d’arme, qui oscille aux alentours de 100 à 150 km (Przewodów se trouve à un peu plus de 200 km de la frontière biélorusse). Cependant, “rien n’empêche, en théorie, de tirer ces S-300 sur une plus longue distance, ce qui leur ferait surtout perdre en précision. C’est peut-être ce que Moscou fait puisque le pays a déjà utilisé la plupart de ses missiles les plus performants”, note Jeff Hawn.
Les débris peuvent receler d’autres indices qui permettraient de déterminer l’auteur du tir. “En fonction de l’état des restes du missile, il peut y avoir des chances de trouver des détails d’identification plus précis comme des numéros de série”, note Jeff Hawn. Dans cette hypothèse, il serait alors aisé de remonter la piste du missile pour savoir dans quel dépôt à munitions il était entreposé.
D’autre part, les débris peuvent révéler, dans le cas d’un S-300, s’il s’agit ou non d’un modèle récent (les premiers ont été fabriqués à l’époque soviétique). “S’il s’agissait d’un missile plus moderne, il proviendrait probablement des stocks russes car l’Ukraine dispose plutôt de S-300 plus anciens”, précise Jeff Hawn.
Les enquêteurs peuvent ensuite se tourner vers les enregistrements des radars. “De nombreux pays comme la Pologne, mais aussi les États-Unis, ont pointé leur dispositif de surveillance vers l’Ukraine pour avoir des informations sur les bombardements en Ukraine”, rappelle Sim Tack.
C’est l’un des moyens les plus efficaces pour remonter aux points de départ d’un missile. Les radars permettent “de calculer la trajectoire du missile et ainsi déduire d’où il est parti”, indique Jeff Hawn.
Mais ce n’est pas une science exacte. D’abord, parce que certains missiles peuvent changer de trajectoire en cours de vol. C’est par exemple le cas des missiles téléguidées. Un des scenarii évoqués dans l’incident de mardi rendrait l’utilisation des radars plus délicate : l’hypothèse d’un missile russe dont la trajectoire a été déviée par les défenses anti-aériennes ukrainiennes.
Escalade dans le conflit de toute façon ?
La journée de mardi a aussi été marquée par un grand nombre de tirs russes, ce qui fait “qu’il n’est pas toujours aisé d’isoler un missile par rapport à un autre sur les enregistrements des radars”, ajoute Jeff Hawn.
Pour ce spécialiste, “il ne faut pas s’attendre à être sûr à 100 %, même à l’issue de l’enquête”. Mais elle devrait permettre de lever la plupart des doutes qui subsistent.
La plupart des observateurs espèrent que la thèse d’une erreur de tir (russe ou ukrainien) va être confortée par les analyses. Une issue qui éloignerait le spectre d’un engagement plus important de l’Otan dans le conflit – et le risque d’une confrontation militaire directe avec la Russie.
Mais cela ne signifie pas que le risque d’escalade est écarté dans l’hypothèse du tragique accident. “Cet épisode à malheureusement démontré que les pays de l’Otan peuvent être des victimes collatérales d’une guerre en Ukraine”, note Jeff Hawn.
Des États comme la Pologne pourraient vouloir renforcer la défense à leurs frontières face à la Russie. De quoi relancer le débat sur l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’ouest de l’Ukraine, souligne le Guardian. Une telle décision nécessiterait que des avions de l’Otan soient prêts à abattre le moindre aéronef russe à l’horizon – avion, drone. Moscou n’apprécierait sûrement pas.