
Le navire humanitaire Ocean Viking, bloqué en Méditerranée, sera accueilli à Toulon "à titre exceptionnel", a souligné jeudi le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, alors que la tension avait grimpé d'un cran entre la France et l'Italie, mercredi, Paris dénonçant le refus "inacceptable" de Rome de le laisser accoster. En guise de protestation, le gouvernement a décidé de suspendre "à effet immédiat" l'accueil prévu cet été de 3 500 réfugiés actuellement en Italie.
L'Ocean Viking va être accueilli vendredi à Toulon "à titre exceptionnel", a annoncé jeudi le ministre de l'Intérieur, Gérald Darminin, qui a critiqué le "choix incompréhensible" de l'Italie de ne pas accepter le navire humanitaire, avec 230 migrants à bord, dont 57 enfants.
"J'ai bien précisé, à la demande du président de la République, que c'est à titre exceptionnel que nous accueillons ce bateau, au vu des quinze jours d'attente en mer que les autorités italiennes ont fait subir aux passagers", a déclaré le ministre à l'issue du Conseil des ministres.
Il a en outre taclé le "choix incompréhensible" de l'Italie de ne pas accueillir le navire. Le ministre a précisé que Paris allait tirer "toutes les conséquences" de cette attitude sur les relations entre les deux pays, à commencer par la suspension du transfert en France de quelque 3 500 migrants arrivés sur le sol italien, prévu dans le cadre d'un accord de répartition au niveau européen, "tant que l'Italie gardera son comportement qui est contraire au droit international et contraire à la solidarité et aux engagements" pris par Rome.
Soulagement teinté d'amertume
"Un tiers" des migrants à bord de l'Ocean Viking seront "relocalisés" en France, a poursuivi Gérald Darmanin, et ceux qui ne répondront pas aux critères de demandeurs d'asile "seront reconduits directement", a-t-il ajouté, sans plus de précisions.
Jeudi, quatre migrants sur les 234 que comptait le navire, dont trois pour des raisons médicales et un accompagnant, ont été évacués vers Bastia (Corse) depuis l'Ocean Viking.
L'un de ces patients "est instable et ne réagit pas aux soins prodigués à bord depuis le 27 octobre. Les deux autres ont subi des blessures en Libye qui, en raison du long délai de traitement, risquent maintenant d'avoir des conséquences négatives à long terme", a détaillé une porte-parole de SOS Méditerranée, qui affrète l'Ocean Viking, auprès de l'AFP.
L'Ocean Viking a secouru ces migrants, pour certains il y a presque trois semaines, entre la Libye et l'Italie, alors qu'ils tentaient de rejoindre l'Europe sur des embarcations de fortune.
"Nous sommes à la fois soulagés de ce dénouement qui va arriver dans 24 heures et qui met fin à la situation critique sur le navire mais la solution a un goût amer parce que ces 234 personnes viennent de vivre un véritable calvaire", a déclaré Sophie Beau."C'est un soulagement teinté d'amertume, c'est vraiment un constat d'échec des politiques des Etats européens qui ont bafoué le droit maritime de manière inédite", a-t-elle poursuivi.
Selon le droit maritime international, les navires de secours doivent pouvoir débarquer les rescapés dans le port sûr le plus proche, qui était en l'occurrence en Italie mais l'Ocean Viking n'a jamais reçu de réponse à ses demandes en ce sens.
"Débarquement immédiat"
"Je crois que c'est le gouvernement italien qui est perdant dans cette situation", a affirmé Gerald Darmanin. "Il est évident qu'il y aura des conséquences extrêmement fortes sur la relation bilatérale mais aussi sur la relation entre l'Europe (...) et le gouvernement italien qui ne peuvent pas se limiter à la question migratoire. L'Europe, ce n'est pas à tiroirs."
Gérald Darmanin a ajouté que l'Allemagne s'était engagée à accueillir sur son territoire un tiers des migrants se trouvant actuellement à bord de l'Ocean Viking, une fois leurs dossiers examinés après l'arrivée du bateau à Toulon, prévue vendredi, et que des discussions étaient en cours avec d'autres gouvernements européens.
Il a également dit que la France allait organiser "dans les prochains jours" une réunion avec la Commission européenne et Berlin pour mettre en place un "cadre permettant de tirer les conséquences de l'attitude italienne, de mieux réguler les actions de secours en mer par les ONG en Méditerranée".
La Commission européenne avait estimé mercredi que "la situation à bord du navire a atteint un niveau critique et doit être résolue de toute urgence pour éviter une tragédie humanitaire".
Trois autres bateaux d'ONG ont eux réussi à débarquer les migrants secourus, quelque 800 personnes. À quai à Catane depuis dimanche, le Geo Barents de Médecins sans frontières (MSF) et Humanity 1 de l'ONG allemande du même nom ont finalement pu débarquer la totalité de leurs passagers mardi soir, après un premier refus des autorités italiennes d'accepter toutes ces personnes.
Au départ les autorités italiennes n'avaient accepté que les femmes, enfants et personnes malades, un tri décrit par Rome comme un moyen de pression sur l'UE pour qu'elle aide davantage l'Italie. Le Rise Above a lui débarqué la totalité de ses 89 rescapés en Calabre, mardi.
Depuis juin, un système de relocalisation, qui avait déjà connu un premier volet en 2019, prévoit qu'une douzaine d'États membres, dont la France et l'Allemagne, accueillent de manière volontaire 8 000 migrants arrivés dans des pays comme l'Italie, proche des côtes libyennes.
Cependant, seuls 164 migrants ont été relocalisés en 2022 d'Italie vers d'autres Etats membres, dont 117 en vertu du mécanisme adopté en juin. Un nombre insuffisant, juge l'Italie qui affirme que quelque 88.100 migrants sont arrivés sur ses côtes depuis le 1er janvier, dont seulement 14 % via des navires humanitaires.
Avec AFP et Reuters