Les enfants secourus en Méditerranée doivent être autorisés à débarquer dans un port sûr, ont déclaré, samedi, des organisations caritatives, sur fond d'impasse concernant la question des arrivées de migrants en Italie, désormais gouvernée par l'extrême droite.
Quatre navires humanitaires transportant des migrants secourus demandent actuellement l'autorisation d'accoster en toute sécurité en Italie, alors que les conditions en mer se détériorent à cause du mauvais temps.
"Nous avons beaucoup de bébés à bord, ainsi que des femmes avec des enfants. Il est urgent de nous attribuer un port", a dit à l'AFP Hermione Poschmann, de l'association allemande Mission Lifeline, qui gère le navire de sauvetage Rise Above, samedi 5 novembre.
Des bébés de 7 et 10 mois à bord
The Rise Above, qui a secouru 95 personnes en trois opérations jeudi, transporte 42 mineurs dont huit bébés, les plus petits n'ayant que sept et dix mois.
"La situation continuera de s'aggraver en raison de l'énorme pression psychologique qui pèse sur les personnes à bord", a déploré le chef de la mission, Clemens Ledwa.
Le navire allemand est l'un des quatre bateaux humanitaires qui réclament actuellement l'autorisation d'accoster, les conditions en mer se détériorant en raison du mauvais temps.
Rise Above, Humanity 1, Ocean Viking et Geo Barents hébergent à eux seuls plus de 1 000 personnes recueillies en Méditerranée.
Le nouveau gouvernement d'extrême droite italien, qui a prêté serment le mois dernier, s'est engagé à sévir contre les migrants fuyant en bateau d'Afrique du Nord vers l'Europe.
Le navire “Humanity 1” en direction de Catane
Sous pression, l'Italie a annoncé, vendredi, qu'elle autoriserait Humanity 1, géré par l'organisation allemande SOS Humanity et comptant 179 migrants à son bord, à entrer dans ses eaux territoriales afin que des contrôles médicaux puissent être effectués.
Le ministre italien des Affaires étrangères Antonio Tajani a annoncé, au cours d'une conférence de presse dans la soirée à Rome, que le navire Humanity 1 se dirigeait vers Catane.
"Il pourra rester dans nos eaux territoriales le temps nécessaire pour que nous examinions toutes les urgences à bord. Nous accepterons toutes les personnes par exemple parce qu'elles sont mineures, ou parce que, d'après ce que nous savons des médias, ce sont des femmes enceintes ou avec de jeunes enfants, des personnes qui ont la fièvre", a-t-il assuré. Mais "toutes les personnes qui ne remplissent pas ces critères devront être reconduites hors de nos eaux territoriales par le navire", a-t-il prévenu.
Le Geo Barrents, de l'ONG Médecins sans frontières (MSF) et transportant actuellement 572 personnes secourues, a fait savoir samedi qu'il était également entré dans les eaux territoriales italiennes pour y chercher refuge "après avoir demandé et reçu le feu vert des autorités".
"Nous attendons depuis plus de dix jours un lieu d'accostage sûr", a souligné le chef de la mission, Juan Matias Gil.
Plus de 1 000 migrants sur des navires de secours en mer
Plus de 1 000 migrants tentant de rejoindre l'Europe se trouvent actuellement sur des navires de secours en mer, dont 234 sur l'Ocean Viking de l'ONG SOS Méditerranée, qui opère en partenariat avec la Fédération internationale de la Croix-Rouge, et 572 sur le Géo Barents de Médecins sans frontière (MSF). S'y ajoutent ceux à bord de l'Humanity 1 et le Rise Above de l'organisation Lifeline (94 migrants secourus).
Une "révolte" à bord menacerait le Rise Above qui pourrait lui aussi être autorisé à approcher les côtes italiennes, a laissé entendre Antonio Tajani.
Dès jeudi, l'Allemagne avait envoyé une note diplomatique à l'Italie, demandant "au gouvernement italien d'apporter rapidement son aide" au vu de l'urgence humanitaire. Face à la dégradation de la météo en mer, l'ONG SOS Méditerranée, dont le siège est à Marseille, avait en effet exhorté la France, l'Espagne et la Grèce à l'aider à trouver un port de débarquement le plus rapidement possible.
Jusqu'ici, vingt demandes de ports sûrs ont été formulées par l'ONG, sans succès.
La France s'est toutefois déclarée prête vendredi à accueillir des femmes et des enfants.
"Nous avons dit à nos amis italiens, avec nos amis allemands, que nous sommes prêts à prendre bien évidemment une partie des femmes et des enfants, comme nous l'avons fait précédemment", a déclaré le ministre de l'Intérieur français Gérald Darmanin sur les chaînes RMC/BFMTV.
"Je veux remercier la France pour cette ouverture. C'est un signal important", a réagi le chef de la diplomatie italienne.
La route la plus dangereuse au monde
SOS Méditerranée a également salué l'annonce de la France mais "toute journée d'attente supplémentaire pourrait avoir de graves conséquences", a mis en garde la directrice et cofondatrice de l'ONG Sophie Beau.
Sur l'Ocean Viking, qui se trouve au large de la Sicile, "les passagers secourus sont calmes, même si certains commencent à montrer des signes de mal de mer. Cela fait aujourd'hui exactement deux semaines depuis la première opération de sauvetage", a expliqué à l'AFP un photographe présent à bord.
"La mer est de plus en plus grosse. Il pleut et la pluie devrait redoubler dans la soirée", a-t-il témoigné.
Avec l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir à Rome, les dirigeants italiens ont multiplié les déclarations antimigrants.
Le ministre italien de l'Intérieur Matteo Piantedosi a annoncé avoir émis une directive avertissant les forces de police et les autorités portuaires que son ministère envisageait une interdiction d'entrée dans les eaux territoriales de l'Ocean Viking et du Geo Barents, tous deux sous pavillon norvégien.
La communauté catholique italienne de Sant'Egidio, qui joue le rôle de bras diplomatique informel du Vatican, a appelé vendredi "l'Europe, et en particulier les pays dont les ONG battent pavillon, de trouver un accord pour relocaliser les demandeurs d'asile" arrivés sur le sol italien.
Mais le gouvernement norvégien a décliné auprès de l'AFP toute "responsabilité (...) envers les personnes embarquées" à bord des navires.
Pour la directrice générale de l'association d'aide aux migrants France terre d'asile, Delphine Rouilleault, sur Twitter, un "bras de fer (...) est sans doute un passage obligé pour ne pas laisser l'Italie piétiner le droit international".
Depuis le début de l'année, 1 765 migrants ont disparu en Méditerranée, dont 1 287 en Méditerranée centrale, la route migratoire la plus dangereuse au monde, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
D'après le ministère italien de l'Intérieur, 85 991 personnes sont arrivées par la mer en Italie entre le 1er janvier et le 2 novembre 2022, dont la moitié sont des ressortissants de Tunisie, d'Égypte et du Bangladesh.
Avec AFP