
Le sable, un mot qui évoque la plage ou des vacances au soleil. Pourtant, chaque grain est surtout une marchandise très convoitée, utile pour fabriquer du verre, des ordinateurs ou encore des panneaux solaires et du béton. 50 milliards de tonnes de granulats sont extraites par an, elles proviennent des carrières, des rivières, mais aussi des océans.
Extraire pour construire
À côté de Rouen, Laurent Biagetti, chef de carrière chez CEMEX, gère un immense site qui a extrait près d’un million de tonnes de granulats en 2021, différentes roches, de différentes granulométries, du sable jusqu’au caillou. Un produit qui va intégrer les formulations dans le béton ou les travaux routiers. "Lorsqu’on exploite une carrière, on n’exploite pas n’importe comment", prévient le chef de carrière. "On va déterminer les volumes et les zones qu’on va extraire en fonction des différentes années, ensuite cette zone-là sera destinée à être réaménagée par la suite pour être restituée aux différentes communes, quasiment identique à ce qu’il y avait à l’origine." Par nécessité, l’entreprise s’est également lancée dans le recyclage de matériaux de construction, "le granulat est une ressource qui devient de plus en plus rare. Ça devient extrêmement difficile d’ouvrir des carrières ou d’avoir des extensions de carrière, bien que ce soit un matériau qui est primordial dans la vie de tous les jours."
Le sable s’épuise
Aujourd’hui, le sable est devenu la deuxième ressource la plus utilisée sur terre après l’eau. Les précieux grains sont extraits plus rapidement qu’ils ne se reconstituent naturellement et ceux du Sahara, qui pourraient nous sembler infinis, ne sont pas adaptés à la construction.
Aujourd'hui, des voix s’élèvent pour dire stop à l'expansion des mines et protéger les terres. Comme en Loire-Atlantique, près de Nantes. Un groupe de simples citoyens se dressent contre deux géants, Lafarge et GMS. Les deux carrières qui font déjà 115 hectares à elles deux, veulent s’étendre. L’association La Tête dans le Sable est sur leur route : manifestations, recours, mesures diverses et variées.
Sylvain Jallot, leur porte-parole, explique l’impact des carrières sur l’eau par exemple : "Ces entreprises vont faire des trous qui sont énormes. La nappe phréatique, réserve d’eau colossale qui se trouve en sous-sol et qu’on ne voit pas, va se trouver mise à nue, à ciel ouvert. On a une évaporation des surfaces de l’ordre d’un million de mètres cubes par an, soit la consommation domestique de 30 000 personnes". Pour l'association, leur territoire n’est pas une réserve où venir se servir. "Notre objectif, c’est de dire : 'faisons attention à cette ressource'. Ce n’est pas en autorisant les yeux fermés ces extensions de carrière et en se mettant la tête dans le sable, qu’on va résoudre le problème du sable", estime Sylvain Jallot.
Quand la mer reprend des forces
Laure Simplet, ingénieure géologue, observe ses carottes, où sable et vase se superposent. Il s'agit de prélèvements qu’elle a faits sur un ancien site d’extraction de sable au large de La Rochelle avec ses équipes de l’Ifremer de Brest. 40 millions de mètres cubes de sable en ont été extraits, à l’aide de bateaux équipés de sortes de gros aspirateurs, des dragues aspiratrices.
En bien moins grandes quantités, en France, le sable est aussi extrait en mer. Quel est l’impact sur les fonds ? C’est précisément l'objet d'étude de la chercheuse. "L'intérêt de l'étude, c’est, maintenant que les travaux ont arrêté, d’essayer d’observer et de comprendre comment les fonds vont pouvoir se remettre à l’issue des extractions", précise-t-elle. Son premier constat est que le sol a changé : il y a plus de vase qu’auparavant, sur une épaisseur plus importante. Par ailleurs, le site est loin d’être un désert de biodiversité, une faune particulière s’est installée, des vers déposivores par exemple, que l’on ne retrouve pas à l’extérieur du site.
Les chercheurs n’en sont qu’au début de l’étude, qui doit durer dix ans. Un temps long qui leur permettra d’étudier les moindres changements. Laure Simplet explique : "L’intérêt est d’apprendre peut-être des erreurs qu’on a pu faire pour à l’avenir faire des recommandations. De regarder jusqu’à quel stade on peut modifier la nature des fonds sans que cela perturbe l’équilibre des communautés biologiques."
Remplacer le sable ?
Quoi qu’il en soit, consommer moins de sable est devenu aujourd’hui un impératif, car la pénurie guette. Mais il y a un problème : dans un avenir proche, notre appétit pour le sable ne va pas faiblir, bien au contraire. D'ici au milieu du siècle, 70 % de la population mondiale vivra en ville. Il faudra donc construire des bâtiments en masse et trouver impérativement des solutions viables pour utiliser beaucoup moins de sable.
Dans le bâtiment, le secteur le plus gourmand, on cherche des alternatives. Chez Cycle Terre, au nord de Paris, de la terre d’excavation des travaux du Grand Paris est récupérée pour en faire un matériau de construction : des blocs de terre comprimée, mélange de terre, de sable et d’eau. "On utilise beaucoup moins de sable que dans le béton", explique Teddy Dusausaye, le directeur général.
Le béton contient habituellement deux tiers de sable, quand un bloc de terre comprimée en contient à peine un tiers. Ces briques, couleur ocre, sont utilisées notamment pour construire des murs. Dans d’autres régions où la terre est naturellement plus riche en sable, la proportion serait moindre, voire nulle. "On pourrait se dédouaner du sable", ambitionne le jeune patron, "la terre crue a un vrai potentiel et doit être présente dans le futur logement. On peut faire baisser l’empreinte carbone du bâtiment".