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Kaboul voit les renforts américains d'un mauvais œil

Le chef de l'État afghan Hamid Karzaï a estimé que l'envoi des 20 000 à 30 000 soldats américains supplémentaires, annoncé samedi, ne serait utile que si les GI "regagnaient les zones" rebelles du sud et de l'est du pays.

AFP - L'arrivée de 20.000 à 30.000 renforts américains l'été prochain en Afghanistan pourrait être utile mais ne suffira pas à mater la rébellion, préviennent des responsables afghans, qui réclament surtout une stratégie américaine moins brutale et plus pragmatique.

"Plus le nombre de troupes a augmenté, et plus la sécurité s'est dégradée et la rébellion s'est renforcée", déplore la députée kaboulie Shukria Barakzai, peu convaincue par la décision annoncée samedi par l'armée américaine.

"Je ne pense pas que cela va avoir des effets positifs sur la sécurité dans le pays", abonde Safia Sidiqi, députée de la province du Nangarhar (est).

D'autres sont moins sceptiques, comme l'analyste politique Haroon Mir, qui juge l'augmentation du nombre de soldats étrangers "positive" et "nécessaire" au vu de la faiblesse du gouvernement et des forces de sécurité afghane, même si "ce n'est pas la solution à long terme".

Le président afghan Hamid Karzai, arrivé au pouvoir avec le soutien des Américains, a jugé dimanche que ces renforts ne seront utiles que s'ils sont envoyés "pour regagner les zones" abandonnées à la rébellion dans le sud et l'est du pays, notamment le long de la frontière pakistanaise.

"Autrement, (envoyer plus de troupes) n'a pas de sens", a-t-il déclaré au quotidien américain Chicago Tribune.

Au delà du nombre de troupes, un constat fait l'unanimité chez les responsables afghans interrogés par l'AFP: la situation ne pourra s'améliorer que si les Etats-Unis atténuent la brutalité de leur stratégie militaire, jugée contre-productive et sans issue, et privilégient le dialogue politique.

"S'ils continuent à bombarder et arrêter des innocents, à s'introduire de force dans les maisons, le peuple finira par se soulever, quel que soit le nombre de troupes, et ils échoueront comme les Soviétiques" dans les années 1980, prévient Mosa Khan Nasrat, un député de la province de Farah (ouest).

Les bombardements américains indiscriminés, fatals à de nombreux civils, "nourrissent le sentiment de défiance de la population vis-à-vis de la présence étrangères en Afghanistan, et cela est exploité par les talibans", souligne Haroon Mir. Un gâchis, selon lui, car "vu la faiblesse de l'Etat, les Afghans étaient au départ plutôt favorables à la présence étrangère, au moins temporaire, dans leur pays, ce qui n'était pas le cas avec les Soviétiques".

"Traitez les Afghans en amis (...), ne défoncez pas la portes de leur maison, rangez-les de votre côté, ne les éloignez pas de vous", a imploré le président Karzai dans le Chicago Tribune, en soulignant que cela discréditait son gouvernement, jugé complice des Américains, aux yeux de la population.

Nombre d'observateurs soulignent, à l'image du député Abdul Kabir Rangbar, que "la crise afghane ne pourra être réglée uniquement par les armes", et appellent les Américains à renforcer des institutions jugées défaillantes et largement corrompues, à commencer par la police, et à multiplier l'aide en faveur d'une population laminée par les sécheresses et l'inflation.

Certains soulignent également la nécessité de négociations politiques avec le Pakistan, souvent considéré comme la base arrière des talibans, voire avec les rebelles eux-mêmes, une idée qui gagne du terrain à Washington.

Fin connaisseur de l'Afghanistan, dont il est originaire, l'ambassadeur américain à l'ONU, Zalmay Khalilzad a affirmé dimanche sur CNN que les Etats-Unis et le gouvernement afghan pouvaient négocier avec des talibans modérés, mais uniquement s'ils se trouvaient en position de force.

Un discours qui laisse à penser que les Américains pourraient intensifier les combats prochainement, comme ils l'ont fait, avec un certain succès, en Irak en 2007. "Avec le risque de continuer à se mettre la population à dos, surtout si rien ne change du côté du gouvernement afghan", souligne cependant Haroon Mir.