Absence de candidat de gauche qualifié au second tour, affiche identique à celle de 2017, campagne sans éclat : les raisons pour expliquer l’abstention considérable du second tour de l’élection présidentielle ne manquent pas. Dimanche, plus de 28 % des inscrits ne se sont pas rendus aux urnes, soit le deuxième score le plus élevé de l’histoire de la Ve République.
C’est l’un des faits marquants des résultats de cette élection présidentielle : 28,01 % des Français inscrits sur les listes électorales, soit environ 14 millions d’électeurs, ne se sont pas déplacés pour aller voter dimanche 24 avril, selon les résultats définitifs communiqués par le ministère de l'Intérieur.
Pour trouver un taux d’abstention plus élevé à une présidentielle, il faut remonter à 1969. Ce scrutin opposait deux candidats de droite : Georges Pompidou et Alain Poher, renvoyés dos à dos par le communiste Jacques Duclos à travers la célèbre expression "Bonnet blanc et blanc bonnet". À l’époque, 31,15 % des votants avaient boudé les urnes. Un chiffre qui reste difficilement comparable avec l’élection de 2022 dans la mesure où le corps électoral français n’a cessé de croître et de se modifier depuis.
Toutefois, comme en 1969, l’absence de candidat de gauche explique en bonne partie cette abstention massive. "Il y a toujours eu une abstention très forte lorsqu’il n’y a pas de candidat de gauche au second tour. C’était déjà le cas en 2017 avec plus de 25 % d’abstention", note le professeur en sciences politique à l’Université de Nantes, Arnauld Leclerc, interrogé par France 24.
Selon un sondage de notre partenaire Ipsos Steria, les électeurs de la France Insoumise se sont abstenus presque deux fois plus que tous les autres (43 %). Dans des départements comme le Val-d’Oise ou la Seine Saint-Denis, qui ont largement placé en tête Jean-Luc Mélenchon, l’abstention a été logiquement plus élevée qu’au premier tour.
De manière générale, le taux d’abstention a augmenté entre les deux tours de cette l’élection présidentielle. Après 1969 et 2017, c’est seulement la troisième fois que cela se produit dans l’histoire de la Ve République.
Un vote blanc moins fort qu’attendu
Les Français ont donc été plus nombreux qu’en 2017 à appliquer le slogan "ni Le Pen, ni Macron", popularisé dans cet entre-deux-tours, signe d’une banalisation de l’extrême droite au sein d’une grande partie de l’électorat.
"La tendance observée à la dernière élection présidentielle, qui était une exception sous la Ve République, se confirme : beaucoup de Français n'ont pas voulu participer à ce débat de second tour", analyse le sondeur Frédéric Dabi de l’Ifop.
"La logique du front républicain et du réflexe anti-extrême droite est toujours bien là", tempère Arnaud Leclerc. "Simplement, ce front républicain n’a pas la même puissance qu’il y a 20 ou 30 ans", ajoute le politologue qui souligne le peu d’enthousiasme suscité par cette campagne marquée par la guerre en Ukraine et l’entrée tardive d’Emmanuel Macron dans la bataille.
En revanche, si l’abstention a progressé en cinq ans, le record des bulletins blancs et nuls de 2017 - plus de 3 millions de bulletins blancs et un million de bulletins nuls au second tour - n'a pas été égalé. "C'est une petite surprise que nous n’ayons pas eu plus d’abstention et de bulletins blancs et nuls qu'en 2017, vu le climat anti-Macron, avec une partie de la gauche qui le déteste vraiment, et le fait qu'il y a eu cinq ans de mandat entretemps", assure auprès de l’AFP la politiste Anne Jadot.
"L’électorat qui vote blanc a une norme civique puissante. Pour eux, le vote est un devoir, explique Arnauld Leclerc. "Or, ce devoir s’est plutôt exprimé par un vote en faveur d’Emmanuel Macron compte tenu de la présence de l’extrême droite au second tour. On constate qu’il y a bien eu une mobilisation d’électeurs inquiets du saut dans l’inconnu qu’aurait représenté l’élection de Marine Le Pen."
Un nouveau record aux législatives ?
Largement documentée, cette abstention massive représente une tendance de fond et traduit un désintérêt croissant des électeurs pour les partis politiques et les rendez-vous électoraux. "C’est un phénomène récurrent et cette élection présidentielle confirme un processus de désaffiliation des Français", analyse sur France 24 le politologue Arnaud Benedetti, c’est-à-dire d’électeurs qui ne reconnaissent aucune proximité avec un parti ou une tendance politique.
"Il y a un essoufflement du rapport à la démocratie représentative qui est confirmé par de très nombreuses enquêtes", abonde Réjane Senec Slawinsky, chercheure au Cevipof, selon qui cette abstention va durer tant que continuera chez les partis politiques "une logique de bataille électorale qui ne prend pas ou peu en compte la voix des mobilisations citoyennes".
Un désintérêt particulièrement flagrant chez les plus jeunes : 41 % des moins de 25 ans se sont abstenus lors de ce second tour ainsi que plus d’un tiers des 25-34 ans et des 35-49 ans. Selon ce sondage Ipsos/Sopra Steria, 24 % de ceux qui se sont abstenus disent qu'ils l'ont fait parce qu'ils "refusent de choisir entre deux candidats" qu'ils "rejettent totalement", comme 49 % de ceux qui ont voté blanc ou nul.
Après la présidentielle, les législatives de juin feront figure de nouveau test pour évaluer le poids du camp des abstentionnistes. "Il est certain que l’abstention sera très élevée car c’est une élection infiniment moins mobilisatrice que la présidentielle. Traditionnellement, l’abstention représente le double de celle observée lors du scrutin présidentiel", rappelle Arnauld Leclerc.
En 2017, près de 57 % des inscrits ne s’étaient pas déplacés pour élire le député de leur circonscription, établissant un record depuis 1958 pour un second tour des législatives.