Battue à l'échelle nationale, Marine Le Pen s'est toutefois classée en tête dans une majorité de départements et régions d'Outre-mer dimanche, au second tour de la présidentielle. La candidate du Rassemblement national a signé des scores importants dans ces terres, où l'abstention a également été élevée.
Dans son allocution, peu après 20 h dimanche 24 avril, alors que les premiers résultats la donnaient battue à nouveau par Emmanuel Macron au second tour de l'élection présidentielle, Marine Le Pen a eu quelques mots pour les départements et régions d'Outre-mer (Drom). "Cette France trop oubliée, nous, nous ne l'oublions pas", a-t-elle déclaré.
La photographie du second tour de 2022 n'a plus rien à voir avec celle de 2017. Il y a cinq ans, dans les dix Drom hors Français établis à l'étranger (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon, Mayotte, Saint-Martin/Saint-Barthélémy, Wallis-et-Futuna, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie), Marine Le Pen avait été systématiquement devancée par Emmanuel Macron. Dimanche, le rapport s'est largement inversé : il n'y a qu'à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie que le président sortant est arrivé en tête. Ailleurs, les électeurs ont choisi sa concurrente.
"Le sentiment anti-Macron est d'une puissance considérable"
En Guadeloupe, la progression de la candidate du Rassemblement national est nette : elle a recueilli 69,60 % des suffrages, contre 24,87 % en 2017. Elle dépasse aussi des 60 % en Martinique et en Guyane, alors qu'elle était à 22,45 % et 35,11 % respectivement en 2017. À Mayotte, Marine Le Pen a fait le plein avec 59,10 % des voix – tout sauf une surprise dans cet archipel où elle avait déjà signé son meilleur score au premier tour du 10 avril. À La Réunion, elle l'a emporté avec 59,57 % des suffrages.
Dans les Drom, l'abstention a également progressé par rapport à 2017. Elle s'est élevée à 65,20 % en Nouvelle-Calédonie et n'est restée en-dessous de la barre des 50 % qu'à Wallis-et-Futuna (38,62 %), La Réunion (40,61 %) et Saint-Pierre-et-Miquelon (42,91 %). Dans tous les cas, l'abstention a été largement plus importante que dans l'ensemble du pays, où elle se situe autour de 28 %.
Pourtant, en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, les électeurs se sont plus déplacés dans les bureaux de vote qu'au premier tour. Pour le politologue Martial Foucault, il s'agit bien d'électeurs "qui se sont déplacés et n'ont pas voulu voter Emmanuel Macron". Aux Antilles, "le sentiment anti-Macron est d'une puissance considérable", explique-t-il. Martial Foucault poursuit : "Le vote Le Pen est quand même un vote par défaut avant tout, pas un vote d'adhésion au programme de Marine Le Pen."
Dans ces trois derniers départements, Jean-Luc Mélenchon s'était classé de loin en tête au premier tour il y a deux semaines. En dépit de la consigne "pas un vote à Marine Le Pen" du chef des insoumis, la candidate d'extrême droite a quand même glané nombre de voix.
"Colère sanitaire" et "colère sociale" contre Emmanuel Macron
À partir de la fin de l'année 2021, la Guadeloupe et la Martinique ont été secouées pendant plusieurs mois par une violente contestation de la vaccination anti-Covid qui a tourné à la crise sociale, poussant le gouvernement à envoyer des renforts de forces de l'ordre. L'étincelle des violences avait été déclenchée en Guadeloupe en novembre par l'entrée en vigueur de l'obligation faite aux soignants et pompiers de se faire vacciner contre le Covid-19.
Les confidences de Georges, 82 ans, dans un bureau de vote de Baie-Mahault, en Guadeloupe, illustrent ce ressentiment contre Emmanuel Macron. Ce retraité de la Poste revendique un "vote de contestation" : "Quand on s'autorise le droit de bafouer la liberté, d'empêcher les gens de parler, d'envoyer le GIGN 'massacrer' une population, ça ne va pas. Si on ne peut pas profiter de la liberté et de la fraternité française, ça n'est pas la peine."
Martial Foucault fait une "distinction" entre la "colère sanitaire" qui a animé les Antilles et "une colère sociale à La Réunion, qui est la suite du mouvement des Gilets jaunes" lancé en 2018. L'île de La Réunion est le territoire ultramarin "le plus puissamment touché en terme de mobilisation chez les jeunes", décrypte le politologue. Mayotte est également un cas particulier. Dans ce département marqué par l'insécurité et l'immigration clandestine, le vote Marine Le Pen progresse depuis plusieurs années, à la présidentielle comme aux européennes.
L'Outre-mer représente un nouveau vivier de voix pour le Rassemblement national. En 2002, lorsque le parti, alors encore nommé Front national et mené par Jean-Marie Le Pen, avait accédé au second tour pour la première fois de son histoire, il n'avait pas séduit. Face à Jacques Chirac, le "Menhir" n'avait recueilli qu'entre 3,85 % (en Martinique) et 19,58 % (en Nouvelle-Calédonie) des suffrages. Vingt ans plus tard, sa fille Marine y signe des scores historiques.
Avec AFP