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La bataille du ciel ukrainien ne passe pas forcément par une "no-fly zone"

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a demandé, mercredi, aux États-Unis d’instaurer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine. Ce n’est pas la première fois qu’il appelle ainsi l’Occident à entraver la guerre menée par la Russie en ciblant l’aviation. Mais Washington a toujours refusé. Et il existe des moyens moins drastiques de gagner la guerre des airs.

Il le demande à chaque occasion et sur tous les tons. Après avoir interpellé l'Otan sur la question, Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, a réitéré sa requête aux puissances occidentales d'instaurer une "no-fly zone" au-dessus de l'Ukraine lors de son allocution devant le Congrès des États-Unis, mercredi 16 mars.

Et Washington a, de nouveau, adressé une fin de non-recevoir. Pour le président américain, Joe Biden, l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne – qui consisterait à empêcher les avions russes d'utiliser l'espace aérien ukrainien pour soutenir l'invasion du pays – semble être la ligne rouge à ne pas franchir. Imposer une telle mesure doit venir du Conseil de sécurité des Nations unies, sans quoi elle est considérée comme un "acte de guerre", selon la charte de l'ONU.

Risque de troisième guerre mondiale

L'insistance de Volodymyr Zelensky se comprend. "Une zone d'exclusion aérienne serait la meilleure option pour protéger les populations civiles, surtout maintenant que les Russes commencent à être à court de missiles guidés", explique Jeff Hawn, spécialiste des questions militaires russes à la London School of Economics, contacté par France 24. 

En effet, les avions russes vont devoir s'armer de bombes "non guidées", bien plus susceptibles d'entraîner des dommages collatéraux au sein des populations civiles.

Mais le refus de l'Occident de satisfaire le président ukrainien sur ce point n'a rien d'étonnant non plus. "C'est géopolitiquement impossible pour Joe Biden. Une telle 'no-fly zone' signifierait que les chasseurs de l'Otan seraient autorisés à détruire les avions russes pour faire respecter la zone d'exclusion, tandis que les Russes seraient tentés de les viser pour protéger leur aviation. Ce serait la porte ouverte à la troisième guerre mondiale", résume Jeff Hawn.

Il n'y aurait donc rien à faire pour éviter que "les Russes transforment le ciel ukrainien en outil de mort pour des milliers de civils", comme l'a déclaré Volodymyr Zelensky devant les élus nord-américains ?

À l'ère des radars ultra perfectionnés, des images satellites et autres systèmes de défense anti-aérien, comme le dôme de fer israélien, la zone d'exclusion aérienne n'est plus la seule solution pour contrôler les cieux en temps de guerre.

Dans le cas de la guerre en Ukraine, "les pays occidentaux doivent déjà partager avec Kiev leurs images satellites ou données radars", estime Gustav Gressel, spécialiste des questions militaires russes au Conseil européen des relations internationales, contacté par France 24. "Comme les radars ukrainiens ont probablement été détruits par les Russes au début de l'offensive, les pays de l'Ouest qui ont des radars à très longue portée peuvent fournir à l'armée ukrainienne une image du ciel [en temps réel] qui avertit quand un missile russe est en approche, afin de mieux utiliser les dispositifs de défense", ajoute Frank Ledwidge, spécialiste des questions de guerre aérienne à l'université de Portsmouth, contacté par France 24.

Plus de missiles anti-aériens à longue portée

Mais c'est loin d'offrir la même protection qu'une zone d'exclusion aérienne stricto sensu. Ne serait-ce que parce que "les données partagées ne sont probablement pas les plus précises que Washington pourrait fournir", estime Gustav Gressel. Pour l'expert, les États-Unis craignent que la Russie intercepte les communications et le Pentagone n'a aucune envie que Moscou découvre les sources de leurs images satellites les plus précises.

Surtout l'information fournie par les radars, aussi complète soit-elle, ne suffit pas à empêcher les bombes de tomber du ciel. "Il faut fournir aux Ukrainiens tous les outils pour protéger leur espace aérien", souligne Jeff Hawn. 

"Des équipements nécessaires et que les États-Unis ont déjà commencé à livrer, ce sont les munitions pour armer les chasseurs ukrainiens qui continuent à contester à l'aviation russe la supériorité aérienne et pour pouvoir continuer à utiliser les missiles anti-aériens", affirme Gustav Gressel.

Les Ukrainiens ont aussi besoin de beaucoup plus de ces missiles sol-air. Pour l'instant, "ils ont essentiellement reçu des Stinger américains ou des Starstreak britanniques, des missiles qui sont très efficaces à courte-portée", note Frank Ledwidge. "Il faut davantage de dispositifs de défense permettant d'atteindre des avions à haute altitude [au-dessus de 4 000 mètres], de là où les chasseurs bombardiers russes peuvent larguer leurs bombes", précise Gustav Gressel.

Kiev devrait ainsi recevoir davantage de missiles S-300, "construits à l'époque soviétique et qui restent très efficaces pour frapper des cibles à longue distance", poursuit le spécialiste du Conseil européen des relations internationales. Les Ukrainiens en ont déjà et savent déjà s'en servir. "C'est aussi un dispositif mobile qu'il est facile de cacher contre les frappes aériennes russes et peut être rapidement déployé selon les besoins", énumère Jeff Hawn.

Mais ce ne sont pas les Américains qui vont livrer aux Ukrainiens des armes… soviétiques. Du moins pas directement. "Ils peuvent venir des pays qui dépendaient de l'ex-URSS et où sont entreposés les stocks de ces armes de la guerre froide", explique Frank Ledwidge. La Pologne, la Slovaquie ou encore la Hongrie pourraient ainsi en fournir rapidement à l'Ukraine.

Aider les Ukrainiens à se défendre eux-mêmes

L'Ouest pourrait faire encore plus. Certains médias ont évoqué, outre-Atlantique, la possibilité de fournir aux Ukrainiens des systèmes de défense anti-aérien plus élaboré comme le dispositif Patriot américain

Mais en l'occurrence, le mieux serait ici l'ennemi du bien, d'après les différents experts interrogés par France 24. "Ce sont des systèmes complexes à manier, qui ne sont, en outre, pas mobiles et seraient facile à cibler pour les bombardements russes", souligne Gustav Gressel.

Tous ces efforts n'empêcheront pas complètement "les avions russes de voler dans l'espace aérien ukrainien", reconnaît Jeff Hawn. En ce sens, la "no-fly zone" serait une solution plus efficace. Mais ils ont plusieurs avantages sur la zone d'exclusion aérienne. D'abord, en fournissant des armes aux Ukrainiens, "l'Occident leur fournit de quoi mieux se défendre eux-mêmes contre la menace russe. C'est important pour cette guerre, mais aussi pour être mieux équipés à l'avenir", estime Jeff Hawn. Et puis, surtout, "cette aide risque beaucoup moins de déclencher une troisième guerre mondiale", conclut cet expert. Ce n'est pas rien.

La bataille du ciel ukrainien ne passe pas forcément par une "no-fly zone"