Le Kazakhstan a décrété l'état d'urgence sur tout son territoire et obtenu, mercredi soir, l'aide militaire de la Russie et ses alliés pour une opération de maintien de la paix. Le pays est en proie à des manifestations violentes depuis plusieurs jours et la foule a pris d'assaut les bâtiments gouvernementaux de l'ex-république soviétique d'Asie centrale.
Devant le chaos de la situation, le président du Kazakhstan a décrété, mercredi 5 janvier au soir, l'état d'urgence dans tout le pays et demandé l'aide de la Russie et de ses alliés, attribuant à des "terroristes" entraînés à l'étranger les émeutes qui ont vu la foule prendre d'assaut des bâtiments gouvernementaux de cette ex-république soviétique d'Asie centrale riche en ressources naturelles.
Dans la soirée, Moscou et ses alliés ont annoncé l'envoi des "forces de maintien de la paix" dans le pays.
Au moins huit membres des forces de l'ordre et militaires ont été tués dans les émeutes et 317 blessés "par la foule déchaînée", selon le ministère de l'Intérieur kazakhastanais cité par des médias locaux.
"J'ai appelé aujourd'hui les chefs des États de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) à aider le Kazakhstan à vaincre la menace terroriste", a déclaré le président Kassym-Jomart Tokaïev à la télévision d'État. Cette organisation rassemble autour de la Russie plusieurs anciennes républiques soviétiques, dont le Belarus et l'Ouzbékistan.
Le président kazakhastanais, confronté à des manifestations qui ont démarré dimanche dans l'ouest du pays après la hausse du prix du gaz, puis se sont étendues et ont viré à l'émeute la nuit dernière à Almaty, la capitale économique et plus grande ville du pays, a affirmé que des "gangs terroristes" ayant "reçu un entraînement approfondi à l'étranger" étaient à la tête des manifestations.
Des attaques massives contre les forces de l’ordre
Le président kazakhastanais avait auparavant dénoncé, dans une allocution télévisée, "des attaques massives contre les forces de l'ordre". "Des groupes d'éléments criminels battent nos soldats, les humilient, les traînant nus dans les rues, agressent les femmes, pillent les magasins", a-t-il décrit.
Le mouvement de colère, qui avait éclaté dimanche dans une ville de province après une hausse des prix du gaz, s'est étendu à Almaty dans la nuit de mardi à mercredi. L'internet et les téléphones portables étaient bloqués mercredi dans le pays.
Après une nuit d'émeutes qui a vu l'arrestation de plus de 200 personnes, des milliers de manifestants ont pris d'assaut le siège de l'administration d'Almaty mercredi après-midi, semblant en avoir pris le contrôle.
La police a tiré grenades assourdissantes et gaz lacrymogène sur les manifestants, dont certains étaient armés de matraques et de boucliers pris aux forces de l'ordre, mais n'a pas pu les empêcher de pénétrer dans le bâtiment, selon des journalistes de l'AFP.
Des informations floues
Des hommes en uniforme de police ont été aperçus déposant leurs boucliers et leurs casques pour embrasser les protestataires. "Ils passent de notre côté!", a lancé une femme en enlaçant un autre manifestant.
Des médias locaux ont rapporté que les manifestants s'étaient ensuite dirigés vers la résidence présidentielle dans la ville, et que les deux bâtiments étaient en flammes.
Des informations impossibles à vérifier dans l'immédiat faisaient état de troubles dans tout le pays, et de la prise de l'aéroport d'Almaty par les manifestants. La compagnie russe Aeroflot a annulé son vol au départ de Moscou pour cette ville.
Dans un effort pour juguler la crise, le président Tokaïev avait déjà limogé le gouvernement et décrété l'état d'urgence dans plusieurs régions dont Almaty et la capitale, Nur-Sultan, récemment rebaptisée ainsi en l'honneur de l'ancien président Noursoultan Nazarbaïev. Un couvre-feu est en vigueur de 23 h à 7 h.
Internet et communications coupés
Les manifestations de protestation sont rares au Kazakhstan, pays autoritaire où les rassemblements doivent recevoir l'autorisation préalable des autorités.
Il était impossible mercredi d'avoir une vision complète de la situation dans le pays, journalistes et témoins ne pouvant plus être joints par internet ou par téléphone.
Le groupe spécialisé dans la surveillance du web NetBlocks a fait état sur Twitter d'une "coupure d'internet à l'échelle nationale, (...) susceptible de limiter sévèrement la couverture des manifestations antigouvernementales qui s'intensifient".
Les correspondants de l'AFP étaient injoignables mercredi soir. Auparavant, ils avaient signalé que les connexions internet étaient intermittentes et que les applications de messagerie Telegram, Signal et WhatsApp étaient toutes indisponibles.
"Gouvernement démission!" et "Le vieillard dehors!", scandaient les manifestants en référence à l'ancien président.
Noursoultan Nazarbaïev, aujourd'hui âgé de 81 ans, avait régné sur le pays depuis 1989 et est dans l'ombre du pouvoir depuis qu'il a quitté la présidence en 2019 en gardant un statut sur-mesure de "Leader de la nation" et en installant un successeur à sa botte.
Cet allié du président russe Vladimir Poutine était également resté président du puissant Conseil de sécurité, mais M. Tokaïev a annoncé mercredi qu'il exercerait désormais lui-même cette fonction.
Les puissances internationales appellent au dialogue
Le Kazakhstan, le plus grand des cinq pays ex-soviétiques d'Asie centrale, qui comprend une importante minorité considérée comme ethniquement russe, est d'une importance économique et géopolitique cruciale pour la Russie.
Moscou a appelé mercredi à résoudre la crise par le dialogue "et non par des émeutes de rues et la violation des lois". Les États-Unis et l'Union européenne ont, quant à eux, appelé toutes les parties à la "retenue".
La porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki, a aussi critiqué les "folles allégations de la Russie" sur une responsabilité supposée des États-Unis dans les émeutes qui secouent le Kazakhstan. "C'est absolument faux" et cela relève "de la stratégie de désinformation russe", a-t-elle dit.
Le mouvement de colère a débuté dimanche après une hausse des prix du gaz naturel liquéfié (GNL), dans la ville de Janaozen, dans l'ouest du pays, avant de s'étendre à la grande ville régionale d'Aktau, sur les bords de la mer Caspienne, puis à Almaty.
Le gouvernement avait dans un premier temps tenté de calmer, sans succès, les protestataires en concédant une réduction du prix du GNL. La hausse des prix du gaz est perçue par la population comme injuste au vu des vastes ressources gazières et pétrolières du Kazakhstan.
Le Kazakhstan, première économie d'Asie centrale habituée par le passé à des taux de croissance à deux chiffres, souffre de la baisse des prix du pétrole et de la crise économique en Russie, qui a mené à la dévaluation du tenge kazakhastanais et à une forte inflation.
Avec AFP