Entendu par la chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins vendredi à Bordeaux, le controversé professeur marseillais Didier Raoult dénonce un "procès de la réussite" établi à son encontre, alors qu'il est accusé d'avoir enfreint le Code de déontologie médicale en promouvant l'hydroxychloroquine contre le Covid-19.
"Charlatanisme", "risques inconsidérés" pour les patients, manque de confraternité, le controversé professeur Didier Raoult était vendredi 5 novembre face à la justice de ses pairs qui l'accusaient devant une chambre disciplinaire à Bordeaux d'avoir enfreint plusieurs articles du Code de déontologie médicale, en promouvant l'hydroxychloroquine contre le Covid-19.
"On fait le procès de la réussite", s'est défendu l'infectiologue marseillais de 69 ans, debout, pull vert et chemise à carreaux, devant la chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins de Nouvelle-Aquitaine, qui a examiné deux plaintes lors d'une audience dépaysée loin de Marseille.
En arrivant, le directeur de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection avait salué en silence, d'un signe de tête, la trentaine de manifestants venus le soutenir et l'applaudir. "Raoult, notre phare dans la nuit", "Touche pas à mon Raoult" : des banderoles témoignaient de la popularité du médecin auprès des "anti-système".
Durant près de trois heures, la chambre disciplinaire, présidée par un magistrat administratif, assisté de huit médecins, a examiné deux plaintes déposées fin 2020 par l'Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône et le conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom), sur la base de plusieurs signalements initialement effectués par la société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf), par des praticiens hospitaliers et des particuliers contre Didier Raoult.
Il est reproché au praticien marseillais d'avoir fait la promotion de l'hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19, "sans données scientifiques établies", ce qui s'apparente à du "charlatanisme" ; d'avoir pris des "risques inconsidérés" en soignant des patients avec ce traitement "non éprouvé par la science [et d'avoir] manqué à son devoir de confraternité" envers d'autres médecins, a détaillé la rapporteure de la chambre disciplinaire.
Pour Me Philippe Carlini, avocat de l'Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône, ces poursuites ont été entreprises pour soutenir les "médecins libéraux héroïques [bousculés par] des patients angoissés [réclamant], sans rien y connaitre", un traitement à l'hydroxychloroquine, en se basant uniquement "sur la parole d'un éminent scientifique marseillais, émise sans aucun prudence" sur les plateaux télés et les réseaux sociaux.
"Comme un criminel"
"Ce sont les médecins qui se plaignent de nous, pas les patients", a rétorqué Didier Raoult, assurant avoir reçu "plus de 600 000 patients" au sein de l'IHU durant la crise sanitaire, "sans aucune plainte".
Devant ses pairs, le professeur a maintenu "la réussite" de son traitement malgré l'absence d'effets prouvés aujourd'hui encore.
Plusieurs études randomisées – la britannique Recovery, la française Hycovid, ou Solidarity menée par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) – ont toutes conclu que l'hydroxychloroquine n'était pas efficace contre le Covid-19, a pourtant rappelé la chambre disciplinaire.
Pour Me Fabrice Di Vizio, avocat de Didier Raoult et chantre des anti-vaccins, le sujet de l'hydroxychloroquine est un "faux débat". Son client, dit-il, est jugé "comme un criminel", essentiellement pour ses prises de positions critiques sur la gestion de la crise sanitaire par les autorités.
Selon l'avocat, très mobile à la barre, le dossier ne comporte aucun propos précis ou daté, prouvant le dénigrement du professeur marseillais envers la profession.
À l'inverse, la "communication générale" de l'IHU et de son directeur a permis notamment de mettre en évidence l'intérêt de recourir à "des tests massifs de patients" ou d'identifier "la problématique des cycles" du virus pour mieux gérer la crise sanitaire en France, a-t-il plaidé.
Le Pr Raoult encourt une sanction allant du simple avertissement à la radiation, en passant par la suspension temporaire.
La juridiction bordelaise a également examiné une troisième plainte déposée cette fois par le professeur marseillais lui-même, contre le vice-président de l'Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône, le Dr Guillaume Gorincour, pour "non-confraternité".
Didier Raoult reproche à ce médecin chargé de la déontologie au sein de l'instance une cinquantaine de tweets le dénigrant, postés au long de l'année 2020.
Les décisions sur ces deux audiences ont été mises en délibéré et seront publiées le 3 décembre.
Le Pr Raoult, à la retraite comme professeur d'université praticien hospitalier, doit quitter la tête de l'IHU au plus tard fin juin 2022.
Depuis la fin octobre, il est également accusé, tout comme l'IHU, d'avoir mené, depuis 2017, de supposés "essais cliniques" illégaux contre la tuberculose, ce qu'ils nient.
Avec AFP