De nombreux personnels civils de recrutement local (PCRL) afghans ayant travaillé pour la France se trouvent toujours en Afghanistan. Bloqués aux portes de l’aéroport de Kaboul, alors que Paris doit bientôt cesser ses évacuations, leur avenir est plus qu’incertain. Éclairage avec Antoine Ory, l'avocat de plusieurs interprètes afghans.
Au lendemain de l'attentat meurtrier qui a provoqué le chaos à l’aéroport de Kaboul, jeudi 26 août, d'anciens employés afghans au service de la France espèrent désespérément une exfiltration d'ici au 31 août, date butoir pour le départ des troupes américaines.
"La situation est compliquée. Beaucoup ont pu avoir une protection fonctionnelle leur permettant d’obtenir un visa pour venir en France, mais désormais, le sujet n’est plus d’avoir un visa ou une protection, c’est de pouvoir accéder à l’aéroport", explique Antoine Ory, avocat de plusieurs anciens interprètes et auxiliaires afghans de l’armée française, contacté par France 24.
Un convoi d’une vingtaine de bus se trouvaient jeudi après-midi aux portes de l’aéroport, avec à leur bord, selon Emmanuel Macron, qui s’est exprimé hier lors d’une conférence de presse depuis l’Irlande, "des ressortissants binationaux et plusieurs Afghans en danger que nous souhaitons pouvoir rapatrier".
Les personnels civils de recrutement local (PCRL), en majorité des interprètes qui ont travaillé avec l'armée française, sont considérés par les Taliban comme des traîtres qu’il faut exécuter. "Depuis que les Taliban sont arrivés, je reste caché chez moi. […] Je ne sais pas ce qui nous arrivera ici en Afghanistan. Je suis marié, j’ai quatre enfants, je suis inquiet pour moi, mais aussi pour ma famille. Notre travail n’était pas secret, les gens vont dire aux Taliban que j’ai travaillé pour l’armée, tout le monde le sait", a confié aux Observateurs de France 24 l’un d’entre eux, qui a travaillé pour l’armée française durant sept ans comme interprète.
Mais il y a urgence : les Américains se sont engagés à quitter l’Afghanistan au 31 août et ont imposé aux Français, selon le Premier ministre Jean Castex, de cesser les évacuations après le 27 août. "Ça peut aller peut-être au-delà de ce soir, mais nous devons rester prudents sur ce sujet", a toutefois indiqué vendredi matin le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Clément Beaune, sur Europe 1.
"La chance joue un rôle important dans leur destin"
Au total, 1 067 PCRL, dont 538 interprètes, ont travaillé pour la France en Afghanistan depuis 2001, selon un rapport parlementaire publié en avril 2021. Parmi eux, "222 ex-PCRL et leurs familles, soit près de 800 personnes", selon la ministre des Armées, Florence Parly, ont été évacués à partir de 2012. Les autres ont en revanche vu leurs demandes d’asile déboutées ces dernières années ou, par manque d’information, n’en ont tout simplement pas fait.
"Il y avait une volonté politique de ne pas les rapatrier, regrette Me Ory. Le Quai d’Orsay était d’une mauvaise foi absolue et ne voulait pas reconnaître qu’ils étaient en situation de danger. Puis il y a eu un revirement après les déclarations d’Emmanuel Macron le 16 août."
Au lendemain de la chute de Kaboul aux mains des Taliban, le président de la République a affirmé ce jour-là que "notre devoir et notre dignité" était "de protéger" les Afghans ayant aidé la France et désormais menacés par les Taliban, qu'ils soient "interprètes, chauffeurs ou cuisiniers".
Depuis, un peu plus d’une vingtaine de PCRL ont pu quitter l’Afghanistan. Mais ils sont encore au moins 150 à espérer être évacués, selon l’Association des interprètes et auxiliaires afghans de l’armée française, dont fait partie Antoine Ory.
Ce dernier reconnaît n’avoir "aucune information sur la suite des opérations". "Tout se joue au barrage de l’aéroport qui est cogéré par les Taliban et les Américains, dit-il. Parfois, certains Afghans avec qui je suis en contact parviennent à être exfiltrés par des soldats français. D’autres attendent plusieurs jours pour rien. La chance joue un rôle important dans leur destin."
La France a des "contacts opérationnels" avec les Taliban
Le double attentat de jeudi revendiqué par le groupe jihadistes État islamique est venu compliquer encore davantage une situation déjà complexe. La porte de l’aéroport reste fermée depuis hier.
Le salut des PCRL viendra peut-être d’un accord diplomatique. Le ministère des Affaires étrangères français a indiqué vendredi que la France a des "contacts opérationnels" avec les Taliban afin de faciliter les opérations d’évacuation à l’aéroport de Kaboul.
Plus d'une centaine de Français et plus de 2 500 Afghans ont rejoint la France depuis la chute de Kaboul aux mains des Taliban le 15 août.
Un treizième vol français, transportant 260 personnes, parmi lesquelles huit Français et 252 Afghans, est arrivé vendredi matin à l'aéroport international de Roissy, près de Paris, en provenance d'Abu Dhabi, pivot du pont aérien français entre Kaboul et Paris, a précisé le gouvernement. Un quatorzième vol est attendu en fin de soirée avec à son bord près de 200 personnes.
"L'attaque terroriste ne doit pas empêcher ces opérations […]. Nous continuerons jusqu'à la dernière seconde possible", a déclaré vendredi matin Clément Beaune. "Est-ce que cela veut dire que toutes les personnes qui ont travaillé en Afghanistan pour des alliés, pour des Européens pourront quitter l'aéroport ? Sans doute non", a-t-il toutefois concédé.