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Barrage sur le Nil : l'Éthiopie reprend le remplissage, l'Égypte et le Soudan protestent

Le Caire et Khartoum s'opposent au remplissage du Grand barrage de la Renaissance construit par l'Éthiopie en amont du Nil. Le Conseil de sécurité de l'ONU doit se réunir jeudi pour étudier un projet de résolution de la Tunisie.

L'Égypte et le Soudan rejettent l'initiative de l'Éthiopie d'entamer sans accord préalable la seconde phase de remplissage de son barrage controversé sur le Nil, une opération qui risque d'aggraver la tension avant une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU jeudi.

L'Égypte a annoncé, lundi 5 juillet, avoir été informée par Addis Abeba du début de la seconde phase de remplissage du Grand barrage de la Renaissance (Gerd) construit par l'Éthiopie en amont du Nil. Et mardi, le Soudan a dit avoir reçu la même notification.

Mais l'Éthiopie n'a pas confirmé officiellement cette opération sur le barrage, objet de longue date d'un conflit avec l'Égypte et le Soudan, qui craignent pour leurs ressources en eau.

Un responsable éthiopien a seulement indiqué sous couvert d'anonymat que l'opération aurait lieu "en juillet et en août" et que l'ajout d'eau était un processus naturel, en particulier pendant la saison estivale des pluies.

L'Égypte rejette "fermement (cette) mesure unilatérale", a indiqué le ministre égyptien de l’Irrigation, Abdel Aty, dans un communiqué, dénonçant "une violation du droit et des normes internationales qui régulent les projets de construction sur des bassins partagés de rivières internationales".

À Khartoum, le ministère des Affaires étrangères a également dénoncé une "violation flagrante du droit international" et qualifié l'initiative éthiopienne de "risque et de menace imminente".

Deux jours avant la réunion du Conseil de sécurité sur ce dossier, le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Choukri a rencontré à New York son homologue soudanaise, Mariam al-Mahdi. Les deux chefs de la diplomatie ont exprimé dans un communiqué leur "strict rejet" de l'initiative de remplissage et ont appelé le Conseil de sécurité à "soutenir leur position sur un accord contraignant sur le remplissage et l'exploitation du barrage".

Le Conseil de sécurité se réunit à la demande de la Tunisie, membre non permanent du Conseil et représentant du monde arabe, au nom de l'Égypte et du Soudan. L'Éthiopie est opposée à cette réunion mais devrait y participer.

Un projet de résolution sur la table

La Tunisie a remis à ses quatorze partenaires du Conseil de sécurité un projet de résolution réclamant l'arrêt du remplissage du réservoir, a-t-on appris mardi de sources diplomatiques.

Dans ce projet, obtenu par l'AFP, le Conseil de sécurité demande à "l'Égypte, à l'Éthiopie et au Soudan de reprendre leurs négociations (...) afin de finaliser, sous six mois, le texte d'un accord contraignant sur le remplissage et la gestion du Gerd".

L'objectif est de "garantir la capacité de l'Éthiopie à produire de l'hydroélectricité à partir du Gerd tout en évitant d'infliger des dommages importants à la sécurité en eau des États en aval", précise le texte.

Ce texte prévoit que le Conseil de sécurité réclame aussi "aux trois pays de s'abstenir de toute déclaration ou mesure susceptibles de compromettre le processus de négociation".

La France, qui préside en juillet le Conseil de sécurité, avait auparavant estimé que la capacité de l'instance onusienne à trouver une solution au conflit était limitée, ce dossier étant plutôt géré par l'Union africaine.

L'Éthiopie, qui a dit avoir opéré la première phase de remplissage à l'été 2020, avait annoncé qu'elle procéderait en juillet à la seconde phase, avec ou sans accord. Le barrage, dit-elle, est vital pour répondre aux besoins en énergie de ses 110 millions d’habitants.

L'achèvement du barrage est aussi une priorité politique pour le Premier ministre éthiopien, après des mois de guerre au Tigré, estime Costantinos Berhutesfa Costantinos, enseignant à l'université d'Addis Abeba. "Il s'agit d'un facteur d'unité pour les Éthiopiens au milieu de tous ces conflits ethniques et il est donc important pour le pays et ses dirigeants d'achever le barrage conformément au calendrier prévu", poursuit-il.

"Une ligne intransigeante"

L'Égypte a déploré que les négociations soient dans l'impasse depuis avril et a accusé l'Éthiopie d'avoir "adopté une ligne intransigeante" diminuant les chances de parvenir à un accord.

Le Soudan espère que le barrage va réguler ses crues annuelles mais craint des effets néfastes sans accord. L'Égypte, qui dépend du fleuve à 97 % pour son approvisionnement en eau, le voit comme une menace pour ses ressources.

Costantinos Berhutesfa Costantinos estime qu'"au contraire, il aura un impact positif car il empêchera les inondations au Soudan et cette eau sera disponible pour eux. Elle ne sera pas retenue de manière permanente."

Le mégabarrage, d'une contenance totale prévue de 74 milliards de m3 d'eau, est construit depuis 2011 dans le nord-ouest de l'Éthiopie, près de la frontière avec le Soudan, sur le Nil bleu qui rejoint le Nil blanc à Khartoum pour former le Nil.

Avec une capacité de production d'électricité annoncée de près de 6 500 mégawatts, il pourrait devenir le plus grand barrage hydroélectrique d'Afrique.

Le regain de tension créé par le remplissage du barrage entre Khartoum et Addis Abeba s'ajoute à d'autres dossiers épineux qui ont empoisonné les relations entre les deux pays voisins.

La guerre au Tigré fin 2020 dans le nord de l'Éthiopie a poussé quelque 60 000 personnes à fuir vers le Soudan déjà en proie à des difficultés économiques. Et un contentieux frontalier vieux de plusieurs décennies, lié à des agriculteurs éthiopiens qui s'étaient installés en territoire soudanais, reste potentiellement actif.

Avec AFP