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Covid-19 en Côte d’Ivoire : les infox découragent les candidats aux vaccins

La désinformation en ligne a entraîné une lenteur dans le déploiement du vaccin en Côte d'Ivoire. Plus de deux mois après la livraison de 504 000 doses d'AstraZeneca, les autorités peinent à attirer la population dans les centres de vaccination contre le Covid-19.

Affalé contre le mur de sa petite échoppe, Anderson Dago n’en démord pas : "Les vaccins rendent malade. Et puis sur les réseaux sociaux, j’ai lu que les gens qui sont vaccinés deviennent contrôlés par la 5G". À Yopougon, commune la plus peuplée du district d’Abidjan, ce point de vue est largement partagé. "Je ne crois pas à l’existence du Covid-19, lance Camara Djaka Sissoko. Les Blancs n’arrivent pas à supporter une petite crise de paludisme. Nous sommes plus résistants. Le Covid-19 ne peut pas nous atteindre". 

La Côte d’Ivoire fait face à une pandémie de désinformation. Le pays a reçu 504 000 doses du vaccin Astrazeneca, fin février, dans le cadre du dispositif Covax – une initiative portée par l’Organisation mondiale de la santé et d’autres institutions, dont l’objectif est de s’assurer que tous les pays puissent avoir accès aux vaccins. La Côte d’Ivoire a également reçu 50 000 doses offertes par l’Inde. Deux mois et demi plus tard, moins de la moitié des doses ont trouvé preneur.  

Au centre de vaccination de Yopougon, Estelle Yapi s’ennuie ferme.  L’assistante sociale de 47 ans, reconvertie en infirmière le temps de la pandémie, attend sous une bâche blanche. Face à elle, des rangées de chaises désespérément vides. “Il y a plus de monde le matin”, explique-t-elle. Selon l’infirmière, le centre est en capacité d’inoculer de 200 à 300 doses par jour. Mais dans ce centre de vaccination, le record plafonne à 14 personnes vaccinées en une journée.

Un message sur Facebook et un centre de dépistage détruit

Comment expliquer ce manque d’engouement pour ces vaccins pourtant gratuits ? "Les gens s’informent sur internet. Il y a tellement de fausses nouvelles !", avance Jean Baptiste Yaté Elélé, le directeur de la logistique du centre de vaccination.

En avril 2020, des riverains ont détruit un centre de dépistage du Covid-19 à proximité. Les assaillants se sont déchaînés suite à un message posté sur Facebook par un cybermilitant proche de l’opposition. Connu sous le nom de Serge Koffi Le Drône, il affirmait que le site était utilisé pour accueillir des patients malades du Covid-19, un complot du gouvernement pour tuer les riverains.

"Cette fausse affirmation a poussé la population à se révolter", estime Jean Baptiste Yaté Elélé.  

Une étude, publiée en mars par le Centre de contrôle et de prévention des maladies en Afrique, a scruté à la loupe 15 pays – dont la Côte d’Ivoire – et interrogé près de 16 000 personnes. Elle a conclu que les réseaux sociaux sont la source d’information privilégiée des anti-vaccins.

Les Africains servent de cobayes pour 38 % des Ivoiriens interrogés

54% des Ivoiriens interrogés ont déclaré avoir vu des infox en ligne, soit plus que la moyenne (41 %) observée sur les 15 pays. Toujours, selon cette étude, deux Ivoiriens sur trois estiment que la menace que représente le virus est exagérée, deux sur cinq pensent que le Covid-19 est une invention venant de l’étranger et 38 % pensent que les Africains servent de cobayes.

Pour le docteur Richard Mihigo, coordinateur de la vaccination et du développement des vaccins pour la branche Afrique de l'OMS, plus les pays ont un usage plus élevé de l’Internet, plus ils sont susceptibles d’être victimes de désinformation.

"Ce phénomène ne concerne pas que l’Afrique. Malheureusement, avec le Covid-19, nous observons une méfiance généralisée à l’égard des vaccins", déplore-t-il. "D’autant que l’Afrique n’a pas connu la première vague avec la même intensité que l’Occident. Les populations ont commencé à penser qu’ils (les gouvernements et l’OMS) ont trop mis l’accent sur quelque chose qui ne nous concerne pas vraiment".  

"On s’en fout du Corona!"

En 2020, une série d’incidents avec des officiels ont provoqué des tollés sur les réseaux sociaux, dénonçant une certaine hypocrisie autour des mesures prises contre le Covid-19. L’instauration de l’état d’urgence sanitaire, avec pour conséquence l’interdiction des manifestations en amont de l’élection présidentielle, a été vu, pour beaucoup de personnes en Côte d’Ivoire, comme une récupération politique de la crise sanitaire.

Ce sentiment s’est encore renforcé lorsque le président Alassane Ouattara, candidat à sa réélection, a soufflé “on s’en fout du Corona!” sans respecter les gestes barrières lors de sa cérémonie d’investiture en tant que candidat de son parti, le RHDP.  

Mais les fausses informations ne sont pas les seules responsables de cette méfiance à l’égard des vaccins en Côte d’Ivoire. Les médias français, très regardés en Afrique francophone, ont aussi leur part de responsabilité. "En avril ou mai 2020, quelqu’un a déclaré lors d’un débat télévisé en France que le vaccin devrait être testé en Afrique", se souvient le professeur Daniel Ekra, en charge du programme de vaccination en Côte d’Ivoire. Cela a provoqué un tollé.  

Le professeur et le gouvernement ivoirien ont pourtant multiplié les campagnes de communication en ligne, sur les radios et à la télé pour convaincre les ivoiriens de se faire vacciner. Patrick Achi, le Premier ministre, a été le premier patient du pays à recevoir une dose de vaccin devant les médias. Mais il semble qu'il faudra attendre un certain temps avant que la vague d'infox ne soit contrée.

Article original en anglais adapté par Thaïs Brouck.