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Des soldats américains ont décidé de poursuivre en justice une entreprise chargée de nourrir, loger et blanchir les troupes en Irak. La société est accusée d'avoir fourni aux militaires de l'eau insalubre et de la nourriture périmée.

“Environ 90 % des soldats de mon unité sont venus me voir au moins une fois parce qu’ils avaient des difficultés respiratoires”, explique Sergent Dennis Gogel, un infirmier qui a servi en Irak entre mai 2005 et mai 2006.

Ce soldat de 29 ans appartenait à l’unité anti-projectile de la base militaire de Balad, une base américaine balayée par les vents, au nord de Bagdad, connue pour la chaleur intense qui y règne.

Gogel a rejoint dans son combat Joshua Eller, un ancien militaire américain aujourd’hui technicien informatique, qui a décidé, en novembre 2008, d’intenter un procès contre les deux principaux sous-traitants du Pentagone, KBR et son ancienne maison mère Halliburton, une entreprise que Dick Cheney dirigeait avant de devenir vice-président des Etats-Unis.

Dans leur plainte déposée au Texas, ils accusent les deux compagnies de contaminer l'air et de fournir de la nourriture et de l'eau polluées aux soldats américains à la base aérienne de Balad – la plus importante base américaine d’Irak.

Les deux hommes affirment souffrir, comme d’autres soldats, de ce qu’ils appellent “la saleté irakienne”, un mélange de problèmes respiratoires et gastriques, qu’ils avaient dans un premier temps attribué au changement d’environnement et au climat. Aujourd’hui, ils assurent être malades à cause d’une contamination que KBR aurait pu éviter. “Cette compagnie est payée des millions et des millions. Elle fait du travail bâclé et met en danger la vie de soldats américains,” estime Eller.

Selon de hauts dignitaires de l’armée, cités par le Defense Industry Daily, KBR a reçu au total 15,4 milliards de dollars pour nourrir, blanchir, loger et fournir du carburant aux troupes américaines en Irak. Son contrat avec le Pentagone s’est étendu sur cinq ans de 2001 à 2006. Il n’a pas été renouvelé lorsque des critiques ont fait état de surfacturations de la part de l’entreprise.


Gaspillage toxique

Gogel se rappelle de son séjour dans le camp, surnommé "Mortaritaville", la ville des mortiers, tant elle est la cible d’attaques. “A cette époque, nous ne nous préoccupions pas de la pollution ; nous nous inquiétions davantage des frappes de mortiers”. Il raconte qu’il soignait alors les symptômes de la “saleté irakienne” sans en chercher plus loin la cause. “On était entraînés à penser que c’était quelque chose dont on ne devait pas s’inquiéter", précise-t-il.

Gogel affirme lui aussi avoir souffert d’un manque d’appétit accompagnée de diarrhées chroniques et explique que le service médical de la base avait alors diagnostiqué un épaississement de sa paroi intestinale. En un an à Balad, il a perdu 27 kilos, passant de 86 à 59 kilos.

Un trou d'incinération à la base aérienne de Balad. Photo prise par Joshua Eller depuis les baraquements.

“Les spécialistes n’arrivaient pas à trouver ce qui n’allait pas chez moi, raconte Gogel. Mais avant d’aller en Irak, je n’avais jamais eu aucun problème médical.”

Eller explique avoir lui aussi été malade à Balad et l’être encore aujourd’hui. Il souffre régulièrement de crampes, de diarrhées et vomit fréquemment. Pendant son déploiement en Irak, ses pieds pelaient fréquemment, jusqu’à l’empêcher de marcher correctement.

Eller et Gogel ne sont pas les seuls soldats américains à se plaindre des conditions de vie sur la base. Une journaliste d’Army Times, Kelly Kennedy, raconte avoir reçu plus de cent lettres envoyées par des militaires malades avoir la publication d’un article portant sur les déchets toxiques en Irak et en Afghanistan.

Les soldats racontaient souffrir d’asthme, de bronchites chroniques, de migraines, de quintes de toux. Ils déclaraient également faire de l’apnée du sommeil. Leur endurance physique, mesurée lors de tests, avait également chuté. La majorité d’entre eux avait séjourné sur la base de Balad. “Nous avons aussi entendu parler de quelques militaires à qui l’on a diagnostiqué des leucémies ou des lymphomes quand ils étaient encore à Balad ou peu de temps après”, ajoute-t-elle.

La poursuite contre KBR pourrait bien se transformer en action collective si d’autres soldats joignent leurs plaintes à celle d’Eller et de Gogel.

Des chiens sauvages rodent autour des incinérateurs

“À peine descendu de l’avion sur le tarmac de Balad, j’ai senti une odeur de fumée. Habitué aux zones de guerre, je n’y ai pas prêté attention au début, témoigne Gogel. Ce n’est qu’après deux ou trois jours que j’ai vu un trou destiné à l'incinération. Il fumait en permanence.”

A en croire la plainte d’Eller, KBR a installé un système d’incinération à l'air libre dans un trou creusé à Balad, où brûlaient, à ciel ouvert juste à côté de la zone de repos des soldats, les déchets médicaux toxiques de l’hôpital du camp. “Le trou était à moins de 800 mètres de mon logement et encore plus près de l’hôpital”, explique Gogel.

L'un des trous d'incinération. Photo de Joshua Eller.

“Tout au long des sept mois que j’ai passés sur la base, l'incinérateur était défectueux, ajoute Eller. Tout était brûlé dans le trou à l’air libre.” Eller affirme que des restes humains y étaient même jetés. “Je me rappelle avoir vu un chien sauvage courir autour du site avec un avant-bras dans sa gueule.” D’après deux chirurgiens contactés par l’Army Times, KBR était chargé d’assurer l’entretien et le bon fonctionnement de l’incinérateur.

Contactée par FRANCE 24, la responsable presse de KBR, Heather Browne, a déclaré que sa compagnie refusait de parler de ce cas, avant d’ajouter que "KBR n’était pas responsable de la maintenance technique au camp de Balad”.

Nourriture et eau contaminées

Depuis leur retour de la tempête irakienne, les membres de l’armée américaine en service en Irak s’inquiètent surtout d'un danger moins visible, celui de la contamination des produits alimentaires et de l'eau. Dans leur plainte, ils affirment que KBR fournissait aux soldats des denrées périmées ou pourries.

L’affaire de l’eau insalubre en Irak a provoqué beaucoup de remous aux Etats-Unis. Le sénateur démocrate Byron Dorgan, qui enquête sur les pratiques de KBR depuis des années, a demandé au gouvernement qu’il examine ces allégations. Publié en mars 2008, l'audit de l’inspecteur général du ministère de la Défense révèle que KBR “a négligé de mener à bien les tests de contrôle de qualité” et “a exposé les forces américaines à de l’eau potentiellement insalubre et dont la qualité n’avait pas été contrôlée.”

KBR a entièrement rejeté les accusations, affirmant qu’elle avait respecté tous les critères militaires en matière de production et de traitement de l’eau.
 

Base aérienne de Balad en Irak. Photo de Joshua Eller.