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Syrie : Bachar al-Assad, un président sous tutelle ?

Au pouvoir depuis l’an 2000, le président syrien Bachar al-Assad, bien qu’accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, est parvenu à sauver son régime au prix de la destruction de son pays, grâce à ses alliés russe et iranien. Mais après dix ans de guerre, est-il vraiment le maître de la Syrie ? Et à quelles conditions ?

À en croire les bruits qui circulaient dans les chancelleries occidentales, au cours du printemps 2011, sa chute inéluctable n’était plus qu’une question de s emaines .  Mais d ix ans après les premières manifestations du soulèvement contre  son régime, Bachar  al-Assad  est toujours au pouvoir dans un  pays  e n ruines ,  à genoux économiquement et  traumatisé par un interminable conflit.  Cette guerre  a coûté la vie à plusieurs centaines de milliers de personnes , provoqué l’exode de millions de Syriens, et plongé  plus de 80 % de la population dans la pauvreté, selon l’ONU.

Sauvé par les  intervention s  de ses alliés russe et iranien , avec lesquels il doit désormais  composer  dans son propre pays ,   le  président syrien  a repris le contrôle militaire d’une grande partie d e la Syrie ,  même si les affrontements violents et la présence jihadiste sont encore une réalité dans certaines zones  du  territoire .   Bien qu’accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, r ien ne semble empêcher Bachar  al-Assad , 55 ans et au pouvoir depuis l’an 2000, de remporter l’élection présidentielle prévue cet été.

Un président  redevable aux Russes et aux Iraniens

" Il  est toujours au pouvoir et on ne voit pas bien quelle alternative on pourrait lui opposer, notamment du côté des Occidentaux,  et  quant à ses alliés russes et iraniens, ils n’ont aucune raison de le remplacer, donc oui,  il a gagné son pari  de sauver son régime ",  explique à France 24 Fabrice  Balanche , maître de conférences à l’Université Lyon 2, géographe et spécialiste de la Syrie.

" Contrairement à  Zine  el- Abidine  Ben Ali , Hosni Moubarak ou au colonel  Khadafi , qui ont tous été emportés par les révoltes arabes, Bachar  al-Assad  s'est maintenu au pouvoir   e n faisan t payer à sa population le prix fort.  S i on peut considérer qu’il est sous la tutelle de ses protecteurs russes et iraniens, il n’en demeure pas moins qu’il est bel et bien le président syrien, ce n’est pas Vladimir Poutine, c’est Bachar  al-Assad " ,  insiste  de son côté Antoine  Mariotti ,  journaliste à France 24 et auteur de "La Honte de l'Occident - Les Coulisses du fiasco syrien", publié le 11 mars aux éditions Tallandier.

Interrogé par France 24, Ziad  Majed ,  professeur à l'université américaine de Paris et l'un des auteurs de "Dans la tête de Bachar  al-Assad ", publié aux éditions Actes Sud, estime  cependant  que le président syrien n’est plus maître de son destin, ni de celui du conflit syrien et de sa résolution , et  que  ce sont surtout la Russie et l’Iran qui se sont imposés en Syrie .

" Même si le départ du président syrien n'est plus exigé par aucun acteur étranger du conflit, et cette question n’étant plus prioritaire depuis l’intervention russe qui a sanctuarisé le régime,  Moscou et Téhéran  ont bien fait  comprendre  à Bachar  al-Assad   qu’ils sont son seul espoir pour rester au pouvoir, précise-t-il. Et cette réalité pourrait le fragiliser si jamais,  et c’est loin d’être le cas aujourd’hui , des négociations sérieuses s’engageaient pour trouver une solution comprenant une transition politique ".

Une  souveraineté  limitée

D'ailleurs, le  président syrien semble se satisfaire d’une souveraineté limitée sur son propre pays .   " Il sait  à quel poin t il  est redevable aux Russes et aux Iraniens,  souligne Antoine  Mariotti .  C ar  sans leur soutien politique, diplomatique et surtout militaire, il n’est pas certain qu’il serait toujours au pouvoir aujourd’hui " .

Selon Fabrice  Balanche ,  Bachar  al-Assad   n’a pas d’autre choix que d’accepter la donne actuelle  parce qu’il a besoin de ses alliés pour  le protéger sur la scène internationale mais aussi pour  achever la reconquête de la Syrie . "En Orient, on  sait être  extrêmement patient, et Bachar  al - Assad  fait le dos rond   dans le but de  se re ster  indispensable à leurs yeux , dit-il.  Finalement, ce  que veulent Moscou et Téhéran c’est la stabilité du pays,  et  tant qu 'il  est capable d’assurer cela,  cette configuration  restera inchangée , car il en est le pilier sur lequel tout repose " .

Alors que l e territoire syrien est sous l'influence de  plusieurs  acteurs  étrangers du conflit  comme  la Russie, l'Iran,  et  la Turquie ,  qui contrôlent directement ou à travers leurs alliés des zones du territoire syrien , la réalité du pouvoir de Bachar  al-Assad paraît affaiblie.

" Pour comprendre qui contrôle quoi en Syrie " , il faut se pencher sur le contrôle des frontières du pays, parce qu'elles sont un marqueur de souveraineté et une projection du pouvoir régalien , explique Fabrice  Balanche .   "A ujourd'hui,  l’armée syrienne ne contrôle directement que 15 % des frontières du pays, essentiellement celle qui sépare la Syrie de la Jordanie et un petit bout de la frontière au nord du Liban , affirme-t-il.  Ce qui est extrêmement révélateur de la réalité du pouvoir de Bachar  al-Assad ,  car  s’il était fort  et s’il avait le choix,  il ne laisserait pas le Hezbollah libanais, les milices chiites pro-iraniennes et la Russie contrôler le reste des frontières, en lieu et place de l’armée syrienne ” .

"Même au niveau de l’espace aérien, Damas ne contrôle rien, puisque les avions israéliens peuvent bombarder des cibles en Syrie à tout moment,  et  que normalement le ciel syrien est censé être protégé par la Russie" .

Pour Ziad  Majed ,  "le régime  n’a plus son mot à dire dans un pays fragmenté et occupé par des forces étrangères car il ne  gère  plus rien mis à part son système carcéral  et sa politique interne dans les zones  dont   il a le  contrôle . C'est tout ce qu’il reste de la souveraineté de l’État syrien puisqu 'il  n’est  ni  maître de sa défense , ni de sa diplomatie qui est calquée sur celles de ses protecteurs russe et iranien" . 

Une relation asymétrique avec ses protecteurs

L e politologue franco-libanais compare  même  la  réalité du pouvoir du président Bachar  al-Assad  à celle des responsables libanais pendant l’occupation syrienne du pays du C èdre ( de  1976 à 2005).

" Ironie de l’histoire,  il  est traité par les Russes de la  même  manière qu’il traitait  et humiliait   les  présidents fantoches et les  hommes politiques libanais pendant l’occupation, puisqu ’il est à la merci  de  Vladimir Poutine  qui  peut  lui taper sur les doigts ou  le convoquer à Moscou quand bon lui semble" .   Les Russes, comme les Iraniens, préfèrent avoir sous leur coupe un dirigeant affaibli afin de le rendre encore plus dépendant de leur soutien, argumente-t-il.

La  situation  peut être  compar ée  avec celle du Liban occupé ,   acquiesce  Fabrice   Balanche ,  "dans le sens où  la Syrie est devenue un protectorat irano-russe, et que  Moscou  est en position d’imposer sa volonté au président syrien, qui est son obligé" . Il  précise toutefois  que "lorsqu’il est convoqué  en Russie , Vladimir Poutine ne cherche pas à humilier Bachar  al-Assad ,  alors que les dirigeants libanais étaient mandés plus ostensiblement à Damas " . 

Dans  cette relation asymétrique , poursuit-il, le président syrien   n’est pas vraiment en mesure de dire non aux Russes et se voit parfois  contraint  de faire des concessions.  " Cependant , il garde toujours un certain pouvoir de nuisance pour tenir tête à Moscou, en  leur  rappelant par exemple qu’il reste indispensable pour faire remonter des informations   récoltées par ses services de renseignements,  et qui sont  cruciales pour la sécurité des troupes russes en Syrie " .

Bachar  al-Assad   " sait que les Iraniens et les Russes sont obligés de faire avec lui,  puisqu’il a lui-même empêché l’émergence de tout concurrent potentiel , et c’est de cela dont il se sert pour équilibrer ses rapports avec ses deux protecteurs bien partis pour rester un certain temps  " ,  décrypte  Antoine  Mariotti .  " Personne au sein du régime ne peut se dresser contre lui, et il se succédera à lui-même lors de la présidentielle, et les Russes le savent très bien" .

Le  président syrien  garde une liberté de se rapprocher des Iraniens quand les Russes sont un peu trop exigeants, et inversement, et lorsqu’il sent une faille ,  confirm e Fabrice  Balanche .  " Il sait comment  manœuvrer entre ces deux protecteurs  qu’il considère un  peu piégés en Syrie  où ils sont obligés de rester après avoir beaucoup investi ,  et ce,   tout en respectant les lignes rouges qu’ils ont dû sûrement lui fixer " ,  précise-t-il. 

Vers une réhabilitation internationale ?

Dans un tel contexte, reste à savoir si l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche peut relancer la question d’une transition politique en Syrie , alors que son prédécesseur Donald Trump s’était totalement désintéressé de la question.

"Lorsque le régime syrien était le plus en difficulté, c’est Barack Obama qui était au pouvoir aux États-Unis, et Joe Biden était son vice-président, rappelle Antoine  Mariotti . Or, Bachar  al-Assad  avait bien compris qu’il n’avait pas grand-chose à craindre, même après des attaques chimiques de grande ampleur. Donc il ne doit pas être particulièrement effrayé par le retour aux affaires des démocrates, Joe Biden n’ayant pas vraiment envie de se lancer  d’entrée  dans un  bras de fer  avec Moscou pour une opposition qui n’existe presque plus".  

S'il est assuré de rester au pouvoir, que  peut espérer  d’autre  Bachar  al-Assad  ? Une  réhabilit at ion  internationale ?    Mardi 9 mars, le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, le Cheikh Abdallah ben  Zayed , a déclaré que les sanctions américaines contre la Syrie entravaient un retour de Damas au sein de la Ligue arabe.

La Syrie avait été suspendue de l'organisation panarabe fin 2011  en   raison de la férocité  d e  la répression de s  manifestations  contre le régime de Damas ,  et  plusieurs puissances  du Golfe, futurs soutiens de mouvements rebelles syriens, avaient pari é   sur  une  chute  rapide  de Bachar  al-Assad .

"En termes de réhabilitation,  il est lucide et   devine qu ’il n’a pas beaucoup d’espoir vis-à-vis de l’Occident, car cela demanderait au régime de faire des concessions qu'il ne peut pas faire en matière de droits de l’Homme et de transition politique,  analyse Fabrice  Balanche . Mais  Bachar  al-Assad  peut renouer avec les pays arabes qui paraissent moins fermés à cette idée que les Européens et les Américains " .  

Et de conclure : " Damas regarde surtout vers la Russie et la Chine qui incarnent à ses yeux un modèle alternatif au modèle occidental, et avec lesquels la Syrie peut traiter économiquement sans que la question des droits de l’Homme ne soient au milieu de la table".