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Analyse : À quoi le président Ben Ali doit-il sa longévité ?

, chercheur au Carnegie Middle East Center à Beyrouth – Pour cette spécialiste des transformations de l'islam politique, le président tunisien (photo), en place depuis 22 ans et qui sera très certainement réélu, doit sa longévité à son instrumentalisation du "risque islamiste".

Le président tunisien Ben Ali sera reconduit sans suspens pour un cinquième mandat lors des élections présidentielles du 25 octobre. Depuis 22 ans, le consensus autour de son pouvoir doit beaucoup à son instrumentalisation du « risque islamiste ». Mais contrairement au Maroc et à l'Algérie, la Tunisie a refusé de légaliser ses islamistes dans le cadre d'un parti. Principalement représentés par le mouvement Annahda, ils ont été soit emprisonnés et torturés, soit forcés à l'exil. Malgré la marginalisation et l'amoindrissement considérable de la popularité de cette tendance, l'Etat continue d'entretenir l'idée que la menace islamiste est le problème majeur de la Tunisie. Cela lui permet de convaincre du bien-fondé de ses méthodes policières et mettre sous tutelle l'ensemble de la classe politique et de la société tunisienne.

En occupant continuellement la scène tunisienne, le conflit entre Ben Ali et Annahda permet surtout de réduire le reste des partis d'opposition à un rôle de figuration. N'ayant pour seul choix que d'être « contre » les islamistes et de facto « pour » le président Ben Ali, les divisions autour de la réémergence possible d'un parti islamiste tuent dans l'œuf toute stratégie de front commun pour assurer un minimum de pluralisme.

En avril 2002, un attentat terroriste, revendiqué par le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) qui deviendra en 2007 al-Qaïda au Maghreb islamique, frappe une synagogue dans la région touristique de Djerba. Le contexte international de lutte contre le terrorisme dans lequel s'inscrit cet attentat va encore une fois permettre au président d'utiliser le risque islamiste pour renforcer son contrôle.

En décembre 2003, une loi de « soutien à l'effort international de lutte contre le terrorisme » est votée.  Elle va permettre l'arrestation arbitraire de 1 000 à 2 000 Tunisiens (les chiffres varient selon les différentes organisations et tous les cas ne sont pas reportés) soupçonnés d'activités militantes à caractère religieux et qui se plaignent souvent d’avoir été torturés. Les hommes barbus sont harcelés par la police. Les femmes voilées sont interdites de travailler au sein des écoles, hôpitaux et administrations publiques ou même simplement d'y avoir accès. Elles sont aussi arrêtées dans la rue pour retirer leur foulard, puis conduites au commissariat.

Ces actions, qui s'inscrivent officiellement dans le cadre de la lutte mondiale contre le terrorisme, permettent principalement de maintenir la peur du régime au-delà des partisans d'Annahda. Cependant, cette amplification superficielle et arbitraire du risque terroriste contribue surtout à la radicalisation des victimes de ces dérives et de leur famille. Les accrochages, fin 2006, entre la police et une petite armée amateur de 30 jeunes banlieusards tunisois se réclamant du salafisme en sont l'un des exemples.

Le président tunisien n'a pas choisi de mettre en place des solutions transparentes et respectueuses des libertés fondamentales pour faire face aux questions de la radicalisation religieuse et du terrorisme. Entretenir le risque islamiste lui a permis de s'assurer le soutien de ses citoyens et partenaires internationaux. Aujourd'hui, il n'y a certes pas de parti islamiste en Tunisie mais toute contestation du régime reste impossible. Le « tout sécuritaire » est de moins en moins synonyme de stabilité au fur et à mesure que le gouvernement se désengage de son rôle social au profit du contrôle policier. De plus en plus de jeunes Tunisiens se radicalisent, rejetant dos à dos l’échec de la participation politique d’Annahda et l’offre du président d’un islam d’Etat sous contrôle, incapable d’améliorer leurs conditions de vie.