
Alors que l'Union européenne connaît une campagne de vaccination contre le Covid-19 plutôt chaotique, celle-ci se déroule à toute allure au Royaume-Uni. Certains analystes reprochent à Bruxelles son manque d'expertise dans la négociation avec les laboratoires et des erreurs d'appréciation stratégiques.
Le constat est sans appel : la campagne de vaccination au sein de l'UE, qui a mutualisé son approvisionnement en vaccins, est bien moins avancée qu'outre-Manche. Le Royaume-Uni a déjà vacciné plus de 10 millions de personnes – soit le troisième meilleur taux au monde, derrière Israël et les Émirats arabes unis –, après s'être assuré la livraison du plus grand nombre de doses par habitant au monde.
Pourtant, l'Union européenne a grandement besoin de vaccins pour faire face à l'actuelle vague de Covid-19. Au Portugal, devenu l'épicentre mondial de la pandémie, le "monsieur vaccin" du pays a prévenu mercredi 3 février que le pays "ne pouvait faire grande chose de plus", car l'UE n'avait pas assez de doses pour accélérer la cadence de vaccination.
Pour la même raison, les autorités espagnoles ont quant à elles arrêté les injections dans la région de Madrid, et ce pour dix jours, à partir du 27 janvier. Le lendemain, trois régions françaises, dont la région parisienne, ont dû suspendre tous les rendez-vous pour l'administration des premières doses afin de garantir que la deuxième puisse être faite à temps.
"Pas d'urgence" pour Bruxelles
Fin janvier, les retards de livraisons de vaccins anti-Covid ont mis en lumière les faiblesses de l'UE sur sa gestion de l'approvisionnement en vaccins. AstraZeneca a prévenu Bruxelles le 22 janvier qu'en raison de problèmes de fabrication en Belgique, il ne pourrait finalement livrer que 31 millions de doses d'ici fin mars.
Les Européens avaient pourtant misé sur la livraison de 80 millions de doses sur la période. L'UE a alors demandé que la Belgique détourne les doses destinées au Royaume-Uni vers le bloc. Impossible, selon AstraZeneca : le contrat avec les Britanniques l'interdit formellement.
En effet, Londres avait signé le contrat avec AstraZeneca trois mois plus tôt que l'UE, donnant ainsi assez de temps au laboratoire pour régler d'éventuels problèmes logistiques, a expliqué l'entreprise.
Il s'avère que le Royaume-Uni a négocié un "contrat bien plus strict", affirme Adrian Wooldridge, rédacteur en chef du service politique de l'hebdomadaire britannique The Economist et co-auteur de The Wake-Up Call ("Le signal d'alarme", non traduit), un livre sur la pandémie de Covid-19.
AstraZeneca a finalement accepté le 1er février de fournir 9 millions de doses supplémentaires à l'UE, totalisant 40 millions de doses d'ici fin mars… soit la moitié de ce que Bruxelles avait prévu.
Le bloc européen a également connu des problèmes pour se procurer les vaccins de Moderna et de Pfizer/BioNTech, contrairement aux Britanniques qui ont été plus rapides, achetant leurs doses du vaccin de Pfizer/BioNTech dès le mois de juillet. Le laboratoire avait pourtant proposé à l'UE de lui vendre 500 millions de doses le même mois, mais Bruxelles a refusé l'offre, la jugeant trop chère, selon un document interne consulté par Reuters.
"Les commandes ont été passées tard et étaient centrées sur le prix des doses, avant tout : on dirait que l'UE ne considérait pas prioritaire d'avoir le vaccin", explique Nicolas Bouzou, à la tête du cabinet de conseil parisien Astères.
Au cours de l'été 2020, Bruxelles estimait qu'il n'y avait "pas d'urgence", car "le contraste avec l'état sanitaire désespérant aux États-Unis a fait oublier aux Européens que la pandémie était toujours une urgence qui demandait une stratégie de vaccination décisive", analyse Bruno Maçães, politologue pour le Hudson Institute à Washington et ancien ministre portugais des Affaires européennes, dans le magazine britannique UnHerd.
La Commission "pas à la hauteur"
Avant la pandémie de Covid-19, l'Union européenne déléguait la politique sanitaire aux gouvernements nationaux. Mais Bruxelles s'est chargée de procurer les vaccins pour le bloc à partir de l'été 2020, dans le cadre de "l'Union européenne de la santé", selon la formule utilisée par Ursula von der Leyen lors de son premier discours sur l'état de l'Union en septembre.
Les pays-membres restaient toutefois libres de refuser ce schéma supranational, mais aucun ne l'a fait. Avec le Brexit, il était "facile" pour le Royaume-Uni d'établir sa propre stratégie vaccinale, a ajouté Nicolas Bouzou.
"La Commission européenne est très forte pour négocier des accords commerciaux, entre autres, mais elle n'a pas de compétence particulière pour des vaccins ou des négociations contractuelles, qui étaient traditionnellement déléguées aux pays-membres", pointe Adrian Wooldridge.
"La Commission a décidé d'agrandir son champ d'action et elle n'était pas à la hauteur de la tâche : elle n'avait pas les bonnes équipes, ni les bonnes compétences", poursuit-il.
Le gouvernement britannique, de son côté, a nommé Kate Bingham à la tête de son programme d'achat de vaccins, une spécialiste venue d'une firme de capital-risque dans les biosciences. "Elle est compétente dans l'achat de vaccins et la négociation des contrats, et Ursula von der Leyen n'a pas les mêmes compétences, ni personne autour d'elle", analyse Adrian Wooldridge.
"La meilleure des pubs" pour le Brexit
Les mésaventures de l'UE sur l'approvisionnement en vaccins ont même provoqué des vives critiques en Allemagne, le pays le plus pro-européen du continent. La gestion par la Commission européenne a été "merdique", a déclaré jeudi 4 février le vice-chancelier et ministre des Finances allemand, Olaf Scholz, lors d'un conseil des ministres.
Elle a conduit à la "meilleure publicité pro-Brexit", a résumé le très pro-européen hebdomadaire Die Zeit dans un éditorial fin janvier.
Cependant, le fiasco de la stratégie vaccinale dans l'UE "n'aurait pu mieux tomber pour les pro-Brexit, illustrant leur idée que quitter l'UE signifiait quitter une institution sclérosée", poursuit le journaliste.
"Cela a un effet géopolitique", ajoute Nicolas Bouzou. "L'UE finit par avoir l'air d'une ratée alors que le Royaume-Uni, les États-Unis, Israël et même la Russie ont l'air de leaders."
Cet article a été traduit de l'anglais, retrouvez la version originale ici.