
Marlène Schiappa a confirmé dimanche sa volonté de supprimer l'Observatoire de la laïcité sous sa forme actuelle, jugé coupable selon elle de ne pas épouser la ligne du gouvernement sur une thématique devenue centrale dans le débat politique.
Il a suffi de quelques phrases de Marlène Schiappa pour relancer la bataille de la laïcité sur les réseaux sociaux et au-delà. En confirmant, dimanche 13 décembre sur Radio J, sa volonté de supprimer l'Observatoire de la laïcité tel qu'il existe aujourd'hui, la ministre déléguée à la Citoyenneté a clairement expliqué ce qui était reproché à cet organisme indépendant.
"J'ai fait des propositions au Premier ministre pour faire évoluer l'Observatoire de la laïcité, pour renforcer le rôle d'une structure qui ne serait pas forcément un observatoire, mais une structure qui porterait la parole de l'État", a-t-elle affirmé, précisant que Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène, respectivement président et rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité, iraient jusqu'au bout de leur mandat, fixé au 2 avril 2021.
Cette commission consultative créée en 2007 par Jacques Chirac est sous le feu des critiques depuis la vague d'attentats qui a frappé la France en 2015. Défendant une laïcité ouverte ou modérée, elle est accusée par les tenants d'une laïcité plus franche d'adopter des positions laxistes, en particulier sur les sujets liés à la montée de l'islamisme politique en France.
"Pourtant, personne n'a pu prendre l'Observatoire en défaut sur son expertise. On lui fait des procès d'intention qui ne sont pas basés sur les faits. Jean-Louis Bianco comme Nicolas Cadène ne font que rappeler le droit lors de chacune de leurs interventions", juge l'historien spécialiste de la laïcité, Jean Baubérot, contacté par France 24.
Ainsi, lorsqu'une mère voilée accompagnatrice d'une sortie scolaire au Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté est prise à partie par un élu du Rassemblement national, en octobre 2019, Nicolas Cadène rappelle que l'interdiction des signes religieux ne vaut que pour les agents exerçant une mission de service public.
Il en fait de même lorsque l'audition, à l'Assemblée nationale, d'une syndicaliste étudiante voilée fait polémique en septembre 2020. "Évidemment que la laïcité est respectée, c'est un fait. […] La laïcité n'impose pas la neutralité aux usagers", insiste-t-il.
"Un raidissement très net" d'Emmanuel Macron sur la laïcité
"C'est une vision de la laïcité que j'appelle séparatiste inclusive qui est défendue par les représentants de l'Observatoire de la laïcité, explique Jean Baubérot. Ses tenants considèrent que la séparation entre les religions et l'État est le fer de lance de la laïcité, mais soutiennent une application inclusive et souple."
"Face à eux, les partisans d'une laïcité gallicane semblent avoir conquis le gouvernement, poursuit l'historien. Ceux-ci veulent contrôler les religions et sacralisent la République, avec une attention particulière portée au vêtement dit religieux. En 1905, déjà, le député Charles Chabert voulait interdire le port de la soutane dans l'espace public pour ‘libérer le prêtre'. On entend aujourd'hui les mêmes arguments à destination des musulmanes portant le foulard."
Ainsi, "la laïcité à la française" n'existe pas selon Jean Baubérot, pour qui sept visions différentes de la laïcité s'affrontent en France depuis 150 ans en fonction d'un rapport de forces changeant.
Or, le contexte sécuritaire et politique a permis aux hérauts d'une laïcité offensive de gagner les esprits. Représenté par des figures médiatiques comme Caroline Fourest ou Élisabeth Badinter, ce courant de pensée qui se veut ferme face aux accommodements est aujourd'hui porté au sein du gouvernement par Marlène Schiappa, mais aussi par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, ou par le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Et par Emmanuel Macron lui-même, qui a désormais épousé cette vision, comme l'illustre le projet de loi confortant les principes républicains, présenté le 9 décembre en Conseil des ministres.
"J'observe un raidissement très net sur la laïcité par rapport à sa campagne de 2017, lorsqu'il mettait en garde contre une 'laïcité revancharde', estime Jean Baubérot. Je ne nie pas que, confronté à des attentats récurrents, ce soit tentant , mais la façon d'agir est contre-productive."
Vifs débats attendus à l'Assemblée nationale
La loi confortant les principes républicains permettra notamment un contrôle accru du fonctionnement et du financement des associations, dont les plus controversées ont déjà été dissoutes (CCIF, BarakaCity), ainsi que des lieux de culte, alors que le gouvernement a lancé des opérations contre des dizaines de mosquées "soupçonnées de séparatisme".
"Comme pour l'Observatoire de la laïcité, les associations ayant un discours qui ne colle pas avec le discours officiel sont visées, estime le spécialiste de la laïcité. Or, les effets non voulus risquent d'être considérables. Cela rappelle le début du XXe siècle lorsque la IIIe République combattait les catholiques avec des mesures toujours plus fortes, menant le pays au bord de la guerre civile, avant que la situation ne soit pacifiée grâce à la loi de 1905."
Outre de nombreux députés de gauche, un certain nombre d'élus de la majorité partagent les craintes de Jean Baubérot. Les oppositions à l'œuvre au sujet de l'Observatoire de la laïcité devraient donc se retrouver à l'Assemblée nationale lors des débats sur le projet de loi confortant les principes républicains, début 2021.
La présidente déléguée des députés La République en marche (LREM), Aurore Bergé, compte ainsi réclamer l'interdiction du port du voile aux jeunes filles. A contrario, le numéro un de LREM, Stanislas Guerini, a insisté, jeudi 10 décembre, sur la "stratégie globale" de la majorité en matière de lutte contre le séparatisme en mettant l'accent sur ses "deux jambes" : l'ordre républicain et l'égalité des chances.
"Deux visions s'affrontent", d'un côté la "laïcité de combat", de l'autre la volonté de ne pas stigmatiser l'islam et de promouvoir l'égalité des chances, observe une source parlementaire citée par l'AFP. Si l'Observatoire de la laïcité venait effectivement à disparaître au printemps prochain, le débat sur la "laïcité à la française" devrait de son côté lui survivre encore longtemps.