Un nombre record d'emprisonnement de journalistes a été enregistré en 2020, selon le Comité de protection des journalistes (CPJ), qui accuse mardi les gouvernements du monde entier de réprimer les médias et d'alimenter la désinformation en période de pandémie de Covid-19. Des conclusions qui rejoignent celles de Reporters Sans Frontières (RSF) publiées la veille. Sa porte-parole, Pauline Adès-Mevel, répond aux questions de France 24 sur la liberté d'informer au temps du coronavirus.
C'est une nouvelle année noire pour les journalistes du monde entier. Selon le rapport annuel du Comité de protection des journalistes (CPJ) dévoilé mardi 15 décembre, 274 journalistes ont été emprisonnés et 26 personnes travaillant pour des médias ont été tués au cours de l'année écoulée.
Le pays emprisonnant le plus de journalistes est la Chine pour la deuxième année consécutive, selon le CPJ, avec 47 d'entre eux derrière les barreaux. La Turquie, l'Égypte, l'Arabie saoudite, ainsi que la Biélorussie et l'Éthiopie, figurent également parmi les pays les plus répressifs à l'égard des professionnels des médias.
Les conclusions de ce rapport rejoignent celles de Reporters Sans Frontières (RSF), qui note dans son bilan annuel publié lundi que le nombre de journalistes emprisonnés arbitrairement dans le monde reste "historiquement haut" en 2020, avec près de 400 personnes incarcérées.
"Effet Covid" sur la liberté de la presse, augmentation du nombre de femmes journalistes emprisonnées… France 24 revient avec Pauline Adès-Mevel, la porte-parole de RSF, sur les faits marquants de l'année 2020.
France 24 : Selon le dernier rapport annuel de RSF, 387 journalistes sont emprisonnés pour avoir exercé leur métier d'informer fin 2020, alors qu'ils étaient 389 en 2019. On a l'impression que les années se suivent et se ressemblent…
Pauline Adès-Mevel : Avec 387 journalistes incarcérés en 2020, on observe une hausse de 12 % par rapport à 2015 où l'on comptait 328 journalistes emprisonnés. C'est le signe que la situation empire. Cette année, nous avons constaté un nombre record d'interpellations arbitraires en lien avec la couverture de la crise sanitaire notamment parce que des médias véhiculaient un discours qui ne convenait pas aux autorités ou parce qu'ils critiquaient la gestion de la pandémie.
Comment interpréter cette augmentation de 35 % du nombre de femmes incarcérées pour avoir exercer leur métier de journalistes ?
De manière générale, les femmes sont de plus en plus nombreuses dans la profession. Il faut aussi interpréter cette augmentation au regard de l'actualité. Par exemple, en Biélorussie, quatre femmes journalistes étaient incarcérées au 1er décembre. C'est une crise qui est beaucoup couverte par des femmes. Comme leurs collègues masculins, elles n'échappent pas à la répression féroce exercée en Biélorussie.
Les journalistes y sont détenus dans des conditions terribles. Nous avons de nombreux témoignages de passages à tabac, de mises à nu, d'humiliations, de privations de soins et de nourriture. Depuis le 9 août et le début de ce vaste mouvement de protestation [contre la réélection d'Alexandre Loukachenko], nous avons compté 370 journalistes arrêtés. Huit sont toujours derrière les barreaux.
RSF a mis en place "l'Observatoire 19" le 31 mars 2020, un outil de suivi des atteintes à la liberté de la presse en période de pandémie. Que révèlent les données que vous avez pu recueillir ?
Nous avons senti très rapidement la nécessité de documenter un nouveau type d'exactions. Au 30 novembre, nous avons constaté 300 incidents liés à la crise sanitaire : des violences, des menaces, des pressions judiciaires, des suspensions de médias, des rédactions vandalisées…
Par ailleurs, le nombre d'arrestations et d'interpellations arbitraires a été multiplié par quatre entre les mois de mars 2020 et de mai 2020 par rapport à la même période l'année précédente. Tous les continents ont été touchés à des degrés divers par cette vague de répression.
L'Asie, le continent où est apparu le coronavirus, concentre une majorité des violations de la liberté de la presse. En Chine, sept journalistes sont toujours emprisonnés en lien avec la couverture de la crise sanitaire.
En Afrique, continent pourtant largement épargné par la crise sanitaire, la liberté de la presse a aussi été mise à l'épreuve…
En Afrique subsaharienne, on a constaté trois fois plus d'arrestations de journalistes entre le 15 mars 2020 et le 15 mai 2020 par rapport à 2019. Très souvent les autorités ont justifié ces arrestations par des violations des règles du confinement.
Au total, nous avons relevé 109 atteintes à la liberté de la presse depuis le début de la crise sanitaire sur le continent et nous sommes probablement bien en deçà de la réalité.
Sur 48 pays d'Afrique subsaharienne, 29 sont concernés par au moins une violation de la liberté d'informer en lien avec la pandémie de Covid-19 avec en tête le Nigéria, le Zimbabwe et l'Ouganda.
Faut-il s'inquiéter pour l'année 2021 ? Après la crise sanitaire, la crise économique pourrait-elle fragiliser encore un peu plus la liberté d'expression ?
Absolument. La crise pointe le bout de son nez et a même déjà commencé à affecter les médias qui se retrouvent en difficulté pour produire du contenu. Même s'il ne s'agit pas d'une entrave directe à la liberté de la presse, il faut le déplorer.
On a aussi constaté que pendant la crise, certains pays pouvaient profiter d'un état général d'étourdissement et de sidération lié à la mise à l'arrêt de la planète pendant le premier confinement pour faire passer des mesures. Par exemple, en Hongrie, le gouvernement Orban a fait passer une loi qui pouvait conduire à l'emprisonnement de journalistes pour diffusion de "fausses informations".
Nous craignons qu'en 2021, à la faveur d'une crise économique, d'autres états puissent tenter de faire passer des mesures contre la liberté de la presse. La situation est inédite et il faut rester extrêmement vigilant.