En France, le gouvernement a dévoilé jeudi sa stratégie vaccinale contre le Covid-19, en s’engageant à faire preuve de transparence. Un défi majeur s'annonce pour l'exécutif, dans un pays où la défiance vaccinale est ancrée dans les esprits.
Alors que le gouvernement a présenté jeudi les étapes du plan de vaccination contre le Covid-19, l'exécutif va devoir convaincre les Français, parmi les plus méfiants d'Europe vis-à-vis de la vaccination.
La campagne débutera en janvier. Elle concernera d'abord les résidents en Ehpad avant d'être étendue en février aux personnes fragiles en raison de leur âge ou de pathologies. Enfin, au printemps, le vaccin sera accessible au reste de la population. La vaccination sera par ailleurs gratuite pour tous et non obligatoire.
Les Français pourront notamment bénéficier des vaccins de Pfizer/BioNtech et Moderna, disponibles au mieux aux derniers jours de décembre, sinon à partir de janvier, après autorisation des autorités de santé européenne et française.
Esquissant la stratégie vaccinale de la France, le Premier ministre Jean Castex a insisté jeudi sur le besoin de clarté. "Je m'engage à ce que toute la transparence, toute la pédagogie soient faites sur les décisions que nous prendrons", a-t-il déclaré. Le ministre de la Santé Olivier Véran est lui aussi revenu à la charge. "Avant même de nous immuniser contre le coronavirus, nous devons d'abord nous immuniser contre les peurs", a-t-il lancé jeudi, à juste titre.
Plusieurs sondages récents montrent que les Français sont peu enclins à se faire vacciner. "Seule la moitié des personnes interrogées (53%) répondait vouloir certainement ou probablement se faire vacciner contre la Covid-19", en novembre, selon un sondage mené sur 2 000 personnes et dévoilé vendredi par l'agence Santé publique France. Un chiffre bien inférieur à celui du mois de juillet : à cette époque, ils étaient 64 % à accepter de se faire vacciner, indique l'organisme.
Alain Fischer, le nouveau "monsieur vaccin"
Ces enquêtes illustrent une défiance plus globale. "Par rapport aux autres pays européens, en France, la population reste très marquée par l'épisode de la vaccination contre l'hépatite B. Dans les années 90, elle a, en effet, été soupçonnée, à tort, d'être le déclencheur de plusieurs types de scléroses en plaques", explique Caroline de Pauw, docteure en sociologie au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques. "Il y a encore une crainte qui est assez forte : certains se disent que lorsqu'ils se font vacciner, ils peuvent tomber malades par l'acte de vaccination", poursuit-elle.
À l'heure du Covid-19, cette peur semble également s'exprimer au sein de la population, alors que les effets indésirables des vaccins ne sont pas encore communiqués. "Parmi les personnes qui ne sont pas fragiles, certaines se demandent si elles ne vont pas s'exposer à plus de risques avec un vaccin aux effets encore méconnus qu'en s'exposant au virus", explique la sociologue.
Dans ce contexte, l'exécutif doit se montrer convaincant sur la vaccination, tout en évitant les discours contradictoires comme, il y a quelques mois, sur les masques et les tests. Le gouvernement va s'appuyer sur "un comité scientifique chargé du suivi de la vaccination" et sur "un collectif de citoyens pour associer plus largement la population", a affirmé Emmanuel Macron.
Cette initiative a été détaillée jeudi par Alain Fischer, immunologue et professeur de biologie, qui sera chargé de coordonner la stratégie vaccinale. Il a assuré vouloir travailler avec "les professionnels de santé, qui doivent être eux-mêmes convaincus par une communication transparente et complète sur l'analyse bénéfice-risque de ces vaccins, la société civile (comme les associations de patients atteints de maladies chroniques) et les chercheurs 'spécialistes de l'hésitation vaccinale' [la réticence à se faire vacciner, NDLR] qui sont susceptibles d'apporter des propositions sur la meilleure façon de communiquer".
Pour Caroline de Pauw, l'exécutif va en effet devoir faire preuve de pédagogie. "Il faut vraiment prendre le temps d'expliquer le fonctionnement de ces différents vaccins à la population, tout en répondant à toutes les questions, même à celles qui pourraient paraître les plus naïves", assure-t-elle.
La sociologue est convaincue que les anti-vaccins ne refusent pas "la vaccination par principe mais parce qu'ils craignent indirectement pour leur santé". "Il va donc falloir expliquer quels sont les bénéfices de la vaccination et ses effets négatifs", ajoute Caroline de Pauw.
"Rassurer les Français"
Le gouvernement "doit rassurer les Français", notamment "en leur disant que l'on peut se faire vacciner sans danger", résume la chercheuse. Outre ce message positif, l'exécutif devra également "renforcer ses messages sur l'intérêt collectif de la vaccination".
Mais pour le moment, de nombreuses zones d'ombre entourent ces vaccins. Alain Fischer a rappelé jeudi qu'"à ce jour", on ne savait pas si le vaccin "protégeait l'individu vacciné contre l'infection" ni "contre la transmission". "Nous ne disposons que de communiqués de presse de la part des industriels, en tant que scientifique j'attends avec impatience des publications scientifiques", a-t-il commenté.
Si les vaccins en eux-mêmes suscitent encore des questions chez les scientifiques, il semble encore difficile d'anticiper le comportement des Français. "Dans toute période de vaccination, il y a toujours une frange de la population qui décide de ne pas se faire vacciner. Si elle représente 5 % des Français, ce n'est pas inquiétant. Mais si elle s'établit à 50 % ou 60 %, alors il faudra se poser des questions", prévoit Caroline de Pauw.